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Il semblait que tout était prêt pour l’approbation définitive de la réforme de l’article 609-bis du Code pénal — celui qui définit ce qu’est le viol en Italie— en un jour hautement symbolique : le 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
Moins d’une semaine auparavant, le 19 novembre, la Chambre des Députés avait approuvé, par un vote retentissant et unanime de la majorité d'extrême-droite comme de l’opposition, le texte introduisant un nouveau paragraphe sur le consentement dans l’article 609-bis. Celui-ci stipule : « Quiconque accomplit, fait accomplir ou fait subir à une autre personne des actes sexuels sans le consentement libre et actuel de celle-ci est puni de six à douze ans de réclusion. »
Le paragraphe suivant toujours en vigueur, reprend la définition antérieure du viol — formulation depuis toujours contestée par le mouvement féministe, en raison de la forte re-victimisation qu’elle entraînait, et entraîne encore, dans les salles d’audience. Elle prévoit : « Est soumise à la même peine toute personne qui contraint quelqu’un à accomplir ou à subir des actes sexuels par violence, menace ou abus d’autorité, ou qui induit quelqu’un à accomplir ou à subir des actes sexuels en abusant d’une condition d’infériorité physique ou psychique ou de particulière vulnérabilité au moment des faits, ou en trompant la victime en se substituant à une autre personne. »
La nouvelle formulation se termine par les dispositions relatives aux cas de moindre gravité, prévoyant que « la peine peut être réduite jusqu’aux deux tiers. »
Le viol, considéré comme un crime contre la moralité jusqu'en 1996
En 1979, la RAI (la première chaîne de télévision publique en Italie) diffusa le documentaire Processo per stupro (Procès pour viol). Les images tournées au tribunal montrent comment lors du jugement des violeurs d'une jeune femme de dix-huit ans les avocats de la défense tentaient de toutes les manières de miner la crédibilité de la plaignante : la faisant passer pour une femme « consentante », insinuant qu’elle cherchait un avantage économique — puisque son violeur était son employeur, avec trois autres hommes — et affirmant qu’elle « ne s’était pas assez défendue », allant jusqu’à suggérer qu’elle aurait pu mordre le pénis de l’homme qui l’avait forcée à le lui sucer.
Depuis, les décisions judiciaires minimisant les viols ont été nombreuses, dénoncées régulièrement par les femmes — comme le fameux « arrêt du jean » rendu en 1998 par la Cour de Cassation. Cet arrêt annulait une condamnation pour viol au motif que le jean de la victime était si serré qu’elle avait dû l’enlever elle-même… Encore cité aujourd’hui comme un cas extrême de sexisme judiciaire, il avait suscité la vive protestation des députées, venues à l’Assemblée en jeans et T-shirt.
Jusqu’en 1996, le viol était encore considéré comme un crime contre la moralité. Il fallut des mobilisations incessantes et des pétitions menées par le mouvement des femmes et la presse féministe et féminine — en particulier le magazine Grazia, alors très populaire — pour que le viol devienne un crime contre la personne.
Mais dans les salles d’audience, il revient toujours à la femme de prouver la violence subie, et de lutter contre les préjugés qui influencent trop souvent le regard des magistrats : si une femme sort seule le soir, si elle accepte d’être accompagné en voiture, si elle porte une minijupe, si elle a bu, si elle a déjà eu une relation avec l’homme, si elle le connaissait, s’il la courtisait (même contre son gré)… elle est considéré corresponsable de ce qui lui est arrivé, et le risque est que l’homme ne soit même pas renvoyé en jugement, ou qu’il reçoive une peine légère, voire soit acquitté.
“La violence est structurelle et traverse aussi les tribunaux. Ils veulent introduire le consentement dans la définition du viol, mais le consentement s’apprend à l’école, dans les cours d’éducation affective pour lesquels le gouvernement exige le consentement des familles”
C’est pourquoi le consentement est essentiel. Un consentement libre, explicite, et révocable. Une femme peut commencer à embrasser un homme mais ne pas vouloir de relation sexuelle complète ; ou vouloir avoir des rapports mais refuser certaines pratiques.
Remise en cause des modifications apportées au texte par le parti d'extrême-droite la Ligue
Le piège s’est refermé au Sénat, le 25 novembre — ironie du sort.
Fort de sa victoire aux élections régionales le 23 et 24 novembre dans la Veneto (la région de Venise) — où le candidat présidentiel de la Ligue a gagné, tandis que dans les deux autres régions en lice — Campanie et Pouilles — les candidats proposés par Fratelli d’Italia ont été battus — le secrétaire de la Ligue Matteo Salvini, ministre des Transports et vice-premier ministre du gouvernement de Giorgia Meloni, leader de Fratelli d’Italia, a renié l’accord bipartisan conclu entre Meloni et la secrétaire du Parti Démocrate Elly Schlein, lequel avait permis l’approbation unanime du texte à la Chambre des députés.
Comme l’a rapporté l’Agence de presse ANSA, Salvini a affirmé que la nouvelle formulation « laisse trop de place à l’interprétation personnelle » et pourrait ouvrir la voie à « des vengeances individuelles, de la part de femmes ou d’hommes, qui sans aucun abus, pourraient tirer parti d’une norme vague à leur avantage, encombrant les tribunaux ».
Il a été immédiatement soutenu par le ministre de la Justice Carlo Nordio et surtout par la ministre de la Famille, de la Natalité et de l’Égalité des chances, Eugenia Roccella, selon laquelle : « Avec la loi sur le consentement, le risque est l’inversion de la charge de la preuve — c’est cela la crainte. »
Dans le système judiciaire italien, garantiste, une personne est présumée innocente jusqu’à sa condamnation ; il revient donc toujours à l’accusation de prouver les faits dénoncés. Selon Roccella, toutefois, l’homme accusé risquerait désormais de devoir prouver qu’il avait obtenu le consentement.
Toujours est-il que tout est — peut-être — renvoyé à février.
En attendant, la Première ministre Meloni, face à ce sabotage manifeste, n’a pas dit un mot. Il est bien connu d’ailleurs qu’elle cherche à limiter au maximum ses contacts avec la presse, refusant les questions même lors de ses rares conférences de presse, souvent à l’étranger.
La secrétaire du PD, Elly Schlein, qui avait obtenu le 12 novembre l’accord avec Meloni ayant conduit au vote unanime à la Chambre — premier et unique cas de la législature — a révélé avoir parlé à la Première ministre « pour lui demander de respecter les accords », sans préciser le résultat de cette conversation. « Ce serait grave, a-t-elle souligné, si les femmes devenaient les otages de règlements de comptes post-électoraux au sein de la majorité. »
Le féminicide devient un crime autonome dans le Code pénal itlaien
Cette controverse a fini par éclipser un autre progrès sur le plan pénal : l’approbation, ce même 25 novembre, par la Chambre des députés — après l’aval positif du Sénat — de la loi introduisant le féminicide comme crime autonome dans le Code pénal italien.
Le nouveau délit, qui pourrait servir de modèle dans d’autres pays, stipule : « Quiconque cause la mort d’une femme lorsque l’acte est commis par haine, discrimination, domination, contrôle ou possession en tant que femme, ou en relation avec le refus de la femme d’établir ou de maintenir une relation affective, ou comme acte limitant sa liberté individuelle, est puni de la réclusion à perpétuité. »
L’approbation a été qualifiée de « tournant historique » par la juge féministe Paola Di Nicola Travaglini, autrice de nombreux ouvrages déconstruisant les préjugés qui contaminent la jurisprudence en matière de crimes contre les femmes. Elle-même a été auditionnée à plusieurs reprises par les commissions de la Justice des deux chambres et a contribué à la formulation adoptée.
En réaction, dans l’après-midi du 25 novembre, les femmes sont redescendues dans les rues dans de nombreuses villes, après la manifestation nationale organisée par Non Una Di Meno, qui s’était tenue à Rome le samedi 22 novembre.
La position du mouvement féministe a été exprimée clairement par une militante de Non Una Di Meno, au mégaphone, lors de la manifestation de Milan. Elle y a souligné une autre grande lutte du mouvement transféministe, des centres anti-violence et des associations de femmes, des enseignants et de personnes LGBTQIA+ : celle pour l’éducation sexuelle et affective dans les écoles — à laquelle la droite au pouvoir continue de s’opposer.
“La violence est structurelle et traverse aussi les tribunaux. Ils veulent introduire le consentement dans la définition du viol, mais le consentement s’apprend à l’école, dans les cours d’éducation affective pour lesquels le gouvernement exige le consentement des familles”, raillent les activistes de Non Una Di Meno dans le journal La Repubblica.
“Ils ont introduit le crime de féminicide, mais il s’agit d’un crime de pouvoir et de culture : les féminicides ne diminueront pas seulement parce que le crime existe. Investir dans la formation coûte trop cher, alors la prison devient la réponse. Mais la prison seule ne prévient pas, n’éduque pas. Cher gouvernement Meloni, merci, mais lorsque le droit pénal intervient, il est déjà trop tard. La culture de la violence se combat par la prévention — justement par l’éducation au consentement. Le gouvernement nous protège de la mort, mais ne reconnaît pas nos droits de vivantes.”

























