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Le 20 avril, mes deux enfants, Karmel et Ibrahim, ont pris une année de plus, au beau milieu de la guerre, de la mort, de la peur et de l’exil. Karmel a fêté ses quatre ans, Ibrahim ses six.
À l’approche de cette date, ils ont commencé à insister pour que je leur prépare quelque chose de spécial pour leur anniversaire. Ils voulaient fêter ce jour d’une façon ou d’une autre, retrouver un fragment de la vie que nous menions avant — avant le génocide !
L’agression, qui dure maintenant depuis plus de dix-huit mois, nous a privés, nous les mères, de la possibilité même de nous souvenir des moments importants, même les plus simples : l’anniversaire de nos enfants.
Du riz au lait à la place du gâteau
L’année dernière, nous vivions dans une tente à Al-Mawasi, au sud de Khan Younès. Rien, dans ces conditions, ne se prêtait aux commémorations ou aux festivités. L’anniversaire de mes quatre enfants est passé inaperçu, sans que je m’en rende compte, sans même que je puisse me permettre le luxe d’y penser, comme je le faisais chaque année.
Lorsque je réalisais, une fois la date passée, que je l’avais oubliée, je ne ressentais qu’une douleur sourde, une profonde amertume — comme si une part de ma maternité m’avait été arrachée à chaque célébration manquée, ou simplement oubliée.
Cette année, je ne pouvais pas ignorer une seconde fois le souhait innocent d’Ibrahim et de Karmel de célébrer leur jour de naissance, malgré notre impuissance et l’indigence dans laquelle nous vivons.
J’ai décidé de défier tout ce noir qui nous entoure, de résister ne serait-ce qu’un peu à la peur, d’ignorer les bombardements tout proches, et d’exaucer le vœu de mes enfants avec ce que j’avais sous la main. Malgré la pénurie en produits de première nécessité et l’explosion des prix, j’ai décidé d’essayer. Ce qui m’a sans doute encouragée, cette fois, c’est notre retour récent dans la ville de Gaza.
Cette année, nous avons « fêté » d’une manière qui ne ressemblait en rien à ce que nous faisions avant le 7 octobre. Mais c’était notre manière à nous de dire : « Nous aimons la vie, autant que faire se peut ».(1)
Il aurait été bien trop luxueux, par exemple, d’imaginer acheter un gâteau d’anniversaire, ce symbole si simple de toute célébration. Le prix du plus petit gâteau — à peine suffisant pour une famille de six personnes — s’élevait à 120 shekels, soit environ 34 dollars. Avant le génocide, je l’achetais pour 35 shekels seulement, environ 10 dollars.
Premier dilemme : comment convaincre mes enfants qu’il n’y aurait pas de gâteau ? Et surtout, par quoi le remplacer ?
La tâche n’a rien eu de facile, mais après plusieurs discussions et petits compromis passés ensemble, nous avons trouvé une idée : je leur préparerais du riz au lait, ce dessert populaire que nos mères et grands-mères préparaient lors des grandes occasions. Ses ingrédients sont simples, accessibles, et nous n’aurions pas à dépenser des sommes folles — nous en avions encore suffisamment. C’est aussi un plat nourrissant, ce qui est essentiel pour mes enfants, en pleine famine.
Je leur ai promis également du chocolat chaud, leur boisson préférée, pour parfaire ce goût de fête, même avec les moyens les plus modestes.
Cette année, nous avons « fêté » d’une manière qui ne ressemblait en rien à ce que nous faisions avant le 7 octobre. Mais c’était notre manière à nous de dire : « Nous aimons la vie, autant que faire se peut ».
Un coup de fil m’a sauvée : ma sœur, qui vit elle aussi à Gaza-ville, voulait nous rendre visite. Elle est arrivée avec un petit jouet pour chacun de mes enfants. Sa présence, et ses modestes cadeaux, ont véritablement semé la joie — une nouvelle naissance de sourires sur leurs visages.
Quand j’ai servi à chacun sa portion de riz au lait, mon fils aîné, Rayan, a bondi comme à son habitude, un large sourire aux lèvres :
« Imaginez que c’est une part de gâteau… elle n’en aura que meilleur goût ! »
Puis, quand je leur ai demandé de fermer les yeux et de faire un vœu, leurs voix d’enfants se sont unies dans une seule prière :
« Seigneur, fais que la guerre s’arrête et que les frontières s’ouvrent ! »
C’était notre façon de dire : « Nous aimons la vie, autant que possible. »
La malédiction de la guerre a tout gâché
Après l’anniversaire de mes enfants, je me suis noyée dans mes pensées, réfléchissant à ce que nous sommes devenus, et à la manière dont le simple souhait de célébrer leur naissance est devenu une mission ardue, douloureuse.
Autrefois, ces anniversaires étaient pour moi source de joie et de gratitude infinies. Mes enfants sont mes petits projets de vie, ceux pour lesquels j’ai donné toute mon énergie et ma santé, afin de leur offrir une existence digne de l’amour immense que je leur porte.
Mais la guerre, sans même que je m’en aperçoive, m’a volé ces émotions lumineuses, les remplaçant par l’angoisse, l’épuisement mental, la tristesse. Même penser à la souffrance qu’endurent mes enfants est devenu insupportable — cela ne ressemble plus à notre vie, et ne correspond en rien à nos rêves.
Quand j’ai servi à chacun sa portion de riz au lait, mon fils aîné, Rayan, a bondi comme à son habitude, un large sourire aux lèvres :
« Imaginez que c’est une part de gâteau… elle n’en aura que meilleur goût ! »
Je me suis souvenue de ce que j’espérais pour Karmel. Elle est la première fille que Dieu m’a offerte après deux garçons. Je l’imaginais, à cet âge — quatre ans — radieuse dans ses plus belles robes, celles qui reflètent sa douceur et l’affection que je lui voue. Je la voyais marcher fièrement à mes côtés, dans les rues de notre belle ville, pendant que je capturais ses sourires dans des photos souvenirs.
Je rêvais de sorties en tête-à-tête, de promenades complices. De ces petits instants qui rendent la vie plus douce.
Mais aujourd’hui, nous restons cloîtrées chez nous, elle et moi. Nous n’osons pas mettre un pied dehors, prises au piège par la peur des bombardements, qui peuvent frapper n’importe où, à n’importe quel moment.
Je me suis aussi souvenue de la fermeture des points de passage, du manque cruel d’habits pour enfants — de cette impossibilité à accomplir même les souhaits les plus simples.
Je n’oublierai jamais comment je comptais les jours en imaginant Ibrahim grandir parmi ses camarades à l’école, construire son propre monde avec sa vivacité et la pureté de son esprit.
Mais la malédiction de la guerre a brisé tous mes espoirs, a détruit mes rêves. Elle a imposé sa propre loi : mes enfants grandiront ailleurs… et vivront en un an et demi ce qu’on vit en plusieurs années.
Tandis que j’étais absorbée par ces pensées, entre prières et frayeurs, des images sont remontées à la surface : celles de parents serrant contre eux les corps de leurs enfants martyrs, dans leur dernier adieu, leur ultime étreinte avant l’éternel départ.
Mon âme s’est brisée dans le silence de ces images. Je n’ai pu que lever les mains au ciel et murmurer :
« Seigneur, je Te confie la vie de mes quatre enfants — leur passé et leur avenir. Offre-leur une existence paisible et en sécurité, à la hauteur de la pureté de leurs cœurs innocents. »