Cette publication est également disponible en : English (Anglais) العربية (Arabe)
Que représente La Moudawana au Maroc ?
La Moudawana est un ensemble de lois qui régit les droits liés à la famille, à savoir le mariage, le divorce, la garde des enfants, la filiation, l’héritage, etc. Elle est basée sur la charia, les principes de la loi islamique, et plus spécifiquement le rite malékite.
Codifiée pour la première fois en 1958, elle a depuis été révisée trois fois. La réforme de 2004, initiée par le roi Mohammed VI est la plus ambitieuse : elle s’affranchit pour la première fois de la tradition et se place dans une approche moderne, en faveur de l’égalité entre les époux dans le mariage. La polygamie devient encadrée, l’âge légal du mariage est fixé, l’attribution de la garde des enfants à la mère est autorisé.
Que faut-il retenir de cette nouvelle réforme ?
Tant attendue, cette nouvelle réforme succède à la réforme historique de 2004, et reflète les évolutions sociales de ces vingt dernières années au Maroc. En voici les grandes lignes.
Les procédures du mariage et du divorce sont globalement simplifiées. L’acte de mariage par exemple, deviendra à présent la seule preuve du lien mariage, tandis que le divorce à l’amiable fera l’objet d’un contrat entre les époux, sans passer par une procédure en justice.
En situation de divorce, la garde des enfants et leur tutelle seront désormais considérés comme un droit acquis et partagé entre les parents, et ce, même dans le cas du remariage de la mère. La femme divorcée ne perd donc à aucun moment la garde des enfants, comme c’était le cas auparavant. Par ailleurs, la gestion du patrimoine acquis durant la relation matrimoniale sera révisée, et tiendra compte du travail effectué par la femme au foyer en le considérant comme une participation au patrimoine acquis durant la période de mariage. Une nouveauté, qui soutient d’avantage la femme divorcée.
En ce qui concerne la polygamie, celle-ci sera plus strictement encadrée. Ainsi, lors de l’acte de mariage, l’épouse devra se prononcer sur la polygamie et sera libre de s’y opposer. La polygamie sera donc permise à la condition que l’épouse l’accepte, ou qu’elle soit justifiée par la stérilité de l’épouse ou d’une maladie l’empêchant de s’acquitter du devoir conjugal.
Enfin, sur la question de l’héritage, les lois islamiques restent appliquées. Toutefois, les hommes pourront de leur vivant, faire les donations qu’ils souhaitent à leurs filles. Cette donation permettra aussi, pour la première fois, de léguer ses biens à une épouse non musulmane, et à des enfants adoptés sous le régime de la kafala. Enfin, en cas de décès de l’époux, la femme sera en droit de garder le domicile conjugal : il sera impossible d’expulser une femme veuve de chez elle, quel que soit l’héritage.
Quand est-ce que les réformes seront appliquées ?
Après l’accord favorable du Conseil des Oulémas, il a été annoncé jeudi dernier l’élaboration d’un projet de loi, avec une commission composée par les membres de plusieurs ministères. Une fois rédigée et approuvée, la loi sera ensuite transmise à la chambre du parlement, puis soumise à la signature royale. Il faudra compter, en moyenne, une année pour sa mise en application.

Que pensent les Marocain·e·s de cette nouvelle réforme ?
Au Maroc, depuis l’annonce de la nouvelle réforme, la moudawana est sur toutes les langues. Nombreux sont ceux qui font part de leur mécontentement, en particulier sur les réseaux sociaux où les débats sont virulents.
« Fini le mariage, la moudawana va décourager les hommes à se marier », « Le mariage est plus difficile, et le divorce est facilité », « les femmes marocaines vont devenir des hommes » peut-on lire sur de nombreuses pages. La moudawana est accusée à tort et à travers de tous les maux : elle serait la cause du célibat, de la corruption et des déséquilibres sociaux. Chaque avancée pour les droits des femmes est perçue comme une restriction des ceux des hommes.
« Il est impensable qu’une femme, ayant consacré des années de sa vie au domicile familiale et à l’éducation des enfants, se retrouve du jour au lendemain sans ressource financière, suite au divorce »
Dans ces contestations, une réforme est particulièrement pointée du doigt : celle de la garde partagée des enfants, même en cas de remariage de la mère. « C’est un point qui va beaucoup énerver hommes » brandit le créateur de contenu populaire, Mustapha Swinga, dans sa dernière vidéo dédiée à la moudawana. « Ils devront accepter de voir leur enfant, éduqué et pris en charge par un autre homme, qui est époux de l’ex-femme, tout en continuer à verser de l’argent à celle-ci. » Une situation jugée inacceptable par beaucoup, qui y voient une complication du mariage.
En contrepartie, beaucoup de femmes se réjouissent de ces réformes, plus égalitaires, en particulier celle de la gestion du patrimoine acquis en cas de divorce. Parmi elles, Soukaina, une jeune femme divorcée : « Il est impensable qu’une femme, ayant consacré des années de sa vie au domicile familiale et à l’éducation des enfants, se retrouve du jour au lendemain sans ressource financière, suite au divorce » explique-t-elle dans une longue publication sur facebook.
Par ailleurs, si les réformes de la Moudawana sont aussi clivantes, c’est surtout parce qu’elles soulèvent l’éternelle tension entre tradition et modernité. Le moindre changement est perçu comme une atteinte à la religion par les conservateurs, tandis que les progressistes lui reprochent de ne pas s’en dissocier assez. « La Moudawana ne doit être régis que par le coran et la sunnah », un avis qui revient souvent dans les micro-trottoirs. Sur internet, une pétition, qui a réuni jusque-là presque 10.000 signatures, circule pour faire écouter le projet de loi de cette nouvelle réforme.

Une réforme à demi-mesure ? L’avis des féministes
La nouvelle réforme de la Moudawana s’est appuyée sur une démarche participative, avec un processus de consultation des différentes associations féministes, et plusieurs débats législatifs, qui ont duré deux ans. Autant dire que les attentes étaient grandes, chez les militantes féministes qui se disent « déçues » par ce texte jugé partiel. Un avis partagé par Latifa Jbabdi, fondatrice de l’Union de l’Action féminine, par Amina Lotfi, présidente de l’association démocratique des femmes au Maroc, ou encore Nabila Mounib, secrétaire générale du Parti socialiste unifié.
« Mon premier ressenti a été une déception amère. On s’attendait à une réforme basée sur le principe de l’égalité. Or, cette réforme n’est pas globale mais partielle. » s’insurge Latifa Jbabdi dans Tel quel.
Les féministes revendiquent notamment des ajustements plus fermes sur les questions de la filiation, de l’héritage et de la polygamie. Ainsi, pour les enfants nés en dehors du cadre du mariage, aucune affiliation n’est prévue par la loi. Le test ADN, pourtant scientifique, n’est toujours pas considéré comme une preuve qui atteste de la paternité, ce qui déresponsabilise les hommes de leurs actes.
La question de l’héritage reste aussi inégalitaire vis-à-vis des filles. Elle ne donne pas la possibilité du testament, qui est pourtant cité dans le texte coranique. Enfin, la polygamie, est non seulement pas abolie, mais elle est aussi justifiée en cas de stérilité de la femme ou de maladie, ce qui réduit à la femme à son rôle de procréation.
« Nous défendons une égalité en faveur de l’homme, de la femme, et de la famille, affirme Nabila Mounib. Nous veillons au respect des principes religieux dans leurs intentions. ». Un avis partagé par Amina Lotfi, qui demande au Oulémas plus d’Ijtihad, en tenant compte des problématiques modernes et des réalités socio-économiques actuelles au Maroc.