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On l’appelait Lady Camorra, mais son vrai nom était Assunta Maresca, alias Pupetta. Elle fut la première femme à défier la Nuova Camorra Organizzata de Raffaele Cutolo (1), brisant le tabou selon lequel une organisation mafieuse ne saurait être dirigée par une femme. Peu après avoir épousé Pasquale Simonetti, le boss de la Camorra « précutolienne » (avant Cutolo), elle abat de sang-froid le commanditaire présumé de l’assassinat de son mari, alors qu’elle est enceinte de six mois. Elle accouchera en prison, où elle restera pendant dix ans avant d’obtenir la grâce présidentielle. Dans les années 1980, elle est à nouveau accusée d’avoir commandité le meurtre d’un proche de Cutolo, mais sera acquittée faute de preuves.
Toujours à Naples en Italie et à la même époque, une autre femme impose le respect et la peur : il s’agit de Domenica Rosa Cutolo, dite Rosetta, sœur du redoutable Raffaele Cutolo et porte-parole de son frère durant ses longues années de détention. Visage anguleux, nez aquilin, vêtue de noir et cheveux le plus souvent tirés, Rosetta affichait en public une attitude réservée pour ne pas éveiller les soupçons et ne pas faire d’ombre au charisme de son frère. Officiellement absente de la hiérarchie strictement masculine de la Nuova Camorra, elle en fut pourtant un pilier essentiel : elle gérait les finances, percevait les revenus du racket, supervisait les affiliations et contribuait à la stratégie criminelle. Après le séisme de l’Irpinia en 1980, elle organise avec son frère un vaste réseau de corruption politique, d’extorsions et d’attentats destinés à contrôler l’attribution des juteux marchés publics pour la reconstruction.
Surnommée la Veuve noire de la Camorra, Anna Mazza est une autre figure historique du crime organisé napolitain. En 1987, elle devient la première femme condamnée en Italie pour association mafieuse. Épouse du « parrain » d’Afragola (Naples), Gennaro Moccia – assassiné dans les années 1970 –, elle prend sa succession et dirige pendant vingt ans l’un des clans les plus puissants de la péninsule. Ses domaines de prédilection ? Le marché du Bâtiment et Travaux Publics (BTP), le contrôle des carrières et la spéculation foncière.
Giusy Vitale fut, quant à elle, la première femme « boss » de Cosa Nostra, la mafia sicilienne. Dans les années 1990, alors que ses frères – Vito, Leonardo et Michele – sont incarcérés, elle prend seule le contrôle du territoire de Partinico, près de Palerme. Dotée de charisme, éduquée dès l’enfance comme un garçon, Giusy administre sans jamais faillir les trafics d’armes et de stupéfiants, ainsi que les affaires d’extorsion et de corruption du clan. Arrêtée, elle choisit de collaborer avec la justice avant de replonger dans les affaires du clan. Récidiviste, elle est de nouveau incarcérée en 2021.
L’effroyable histoire de « Mamma héroïne »

« Je m’appelle Maria Serraino et mon nom résonne depuis toujours à la ronde », déclara-t-elle aux carabiniers peu après son arrestation. En effet, cette vieille femme menottée fut l’une des rares à qui la ’Ndrangheta reconnut le rang de boss. Des années 1970 à 1990, c’est elle qui dirige le puissant clan de Cardeto, dans la province de Reggio Calabria, devenant la leader indétrônable du trafic de drogue en Lombardie, dont le réseau étend ses ramifications jusqu’au Maroc, en Turquie et en Colombie. Issue d’une ancienne famille de la ’Ndrangheta rurale très respectée, Maria grandit dans une culture où les filles obéissent aveuglément aux hommes de la famille, détenteurs d’un pouvoir absolu sur elles.
Mais Maria Serraino n’est pas une femme ordinaire. Dès l’adolescence, elle défie les règles de la ’Ndrangheta. Elle tombe tout d’abord amoureuse d’un gardien de prison, un affront impardonnable dans un monde où l’honneur familial passe avant tout, puis elle élève son fils aîné pour en faire un chef de clan, en dépit du nom qu’il porte. En 1963, la famille s’installe à Milan, où elle s’occupe de contrebande de cigarettes avant de prendre tout le contrôle du nord de la ville et d’y organiser un vaste trafic international de haschisch, héroïne, cocaïne et ecstasy.
On l’appelait Lady Camorra, mais son vrai nom était Assunta Maresca, alias Pupetta. Elle fut la première femme à défier la Nuova Camorra Organizzata de Raffaele Cutolo (1), brisant le tabou selon lequel une organisation mafieuse ne saurait être dirigée par une femme.
Chaque matin, Maria Serraino se levait à l’aube pour faire le ménage et préparer les repas de ses douze enfants. Elle ne sortait que pour les courses, fidèle au stéréotype de la bonne ménagère du Sud. À l’instar des femmes de pouvoir, elle laissa une image d’elle ambivalente : celle d’une mère aimante que les commerçants du quartier appelaient « La Signora », la décrivant comme une personne polie et discrète. Toutefois, dans les dossiers judiciaires, son nom figure comme celui de la criminelle la plus redoutée du pays.
Analphabète – elle signait d’une croix –, Maria gérait pourtant elle-même les trafics illicites de son empire familial : achat, raffinage, stockage et distribution de la drogue. Son foyer servait de raffinerie clandestine et de quartier général du clan, qui n’obéissait qu’aux ordres qu’elle intimait en tablier et pantoufles. Ses enfants, le plus souvent mineurs, assuraient les livraisons à domicile. Deux d’entre eux moururent d’overdose : Maria avait l’habitude de les récompenser en leur offrant quelques doses. C’est ainsi qu’elle fut surnommée « Mamma héroïne ».
Enfant, sa fille Rita malaxe l’héroïne dans la baignoire familiale, mais lorsque quelques années plus tard elle est arrêtée avec plus d’un millier de cachets d’ecstasy et décide de collaborer avec la justice, l’empire des Serraino s’effondre. C’est ainsi que Maria fut condamnée à la réclusion à perpétuité pour association mafieuse et homicide. « J’ai toujours aimé l’ordre », confia-t-elle dans l’une de ses dernières interviews, peu avant de mourir dans sa maison de Milan où elle était assignée à résidence pour raisons de santé.
Le symbolisme religieux
Les organisations mafieuses font souvent usage d’images sacrées, de prières et de rituels pour consolider leur propre identité et exercer à la fois fascination, crainte et respect sur les nouveaux affiliés. En particulier, elles manifestent une prédilection singulière pour les figures féminines de la chrétienté : saintes et madones. Même le titre attribué au chef suprême de Cosa Nostra ou de la Camorra, « Mammasantissima », évoque la « Sainte Mère de Dieu » du culte catholique, détournée en une exclamation de terreur.

« La ’Ndrangheta a deux saints protecteurs, explique Anna Sergi, criminologue, professeure à l’université Alma Mater de Bologne, professeure émérite aux universités d’Essex (Royaume-Uni) et de Melbourne. Le premier est Saint Michel Archange, patron des mafieux mais aussi, paradoxalement, des policiers. Il est représenté transperçant de son épée une victime gisant à ses pieds, et pour cette raison considéré comme le symbole d’une virilité fondée sur la force et la violence armée. La seconde protectrice est la Vierge de Polsi, la madone du désespoir. Son sanctuaire, situé à San Luca, dans la province de Reggio Calabria, se trouve au fond d’une vallée isolée, accessible seulement par des chemins escarpés : pour y parvenir, il faut littéralement descendre aux enfers, au milieu d’une vallée de larmes. Cette figure sacrée incarne pleinement l’image de la femme dans la ’Ndrangheta : forte, prête à tout pour défendre sa terre, qu’elle domine entièrement. »



























