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Image principale de Mohammed Abed Alhams / AFP
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C’est peut-être l’un de ces non-dits bien ancrés dans nos sociétés arabes : une femme qui donne naissance à six garçons est perçue comme chanceuse, presque enviée par les autres. On la regarde comme si elle avait accompli un exploit.
Qu’on le veuille ou non, cette façon de voir les choses, héritée du passé, reste solidement enracinée, jusque dans des instants apparemment anodins, comme lorsqu’on félicite une mère pour la venue au monde de son enfant. La société continue d’associer, même indirectement, le garçon au prestige et à la continuité de la ligné et la fille au « fardeau ».
Mais ici, dans la bande de Gaza, en pleine extermination menée sans relâche par l’occupant israélien depuis plus d’un an et demi, avoir des fils revêt une tout autre dimension.
Ce que représentent les fils à Gaza
Avoir six garçons ne signifie pas seulement fierté ou continuité de la lignée. C’est une force vitale pour affronter la brutalité du quotidien : bombardements, ruines, exils forcés à répétition.
Ces fils accomplissent des tâches devenues essentielles à la survie : dresser les tentes à chaque nouveau déplacement, ramasser du bois, allumer des feux pour cuisiner ou se réchauffer, transporter les lourds jerricans d’eau, faire la queue devant les aides humanitaires ou les cuisines populaires, dans l’espoir de ramener un repas pour les plus jeunes.
Dans cette réalité imposée par la guerre, avoir six jeunes hommes à la maison, c’est disposer d’épaules solides sur lesquelles toute la famille peut s’appuyer pour ne pas s’effondrer.
Mais… ai-je vraiment dit « famille » ?
Que reste-t-il d’une famille lorsqu’elle perd en un instant six de ses fils ? Qui peut rester soudé face à une telle ablation ? C’est ce qu’a vécu la famille Abou Mahdi, à Deir al-Balah, au centre de la bande de Gaza, lorsque l’armée d’occupation israélienne a visé une voiture civile avec un missile meurtrier, tuant sept personnes, dont six frères — les fils d’Ibrahim Abou Mahdi.
Mais ici, dans la bande de Gaza, en pleine extermination menée sans relâche par l’occupant israélien depuis plus d’un an et demi, avoir des fils revêt une tout autre dimension.
Ils sont partis ensemble, d’un seul coup
Les frères Ahmad, Mahmoud, Mohammed, Moustafa, Zaki et Abdallah ont quitté ce monde ensemble, dans une même seconde. Comme si la mort les avait rassemblés dans une ultime image, laissant derrière eux le cœur d’une mère vidé de toute chaleur.
Ils sont partis, abandonnant leur mère face à une question vertigineuse : comment continuer à vivre après avoir perdu ses six enfants d’un seul coup ?
Peut-on seulement concevoir l’ampleur d’une telle perte ? Une mère qui perd ses six fils — dans le même lieu, au même instant, par le même tir, infligé par le même ennemi. Se réveiller un matin, et découvrir qu’on n’est plus la « mère des garçons », mais une mère endeuillée, privée de tous ses appuis, de ceux sur qui elle s’était toujours reposée face à l’adversité.
Et le père, qui ouvre les yeux sur un vide abyssal — ayant perdu sa dignité, ses soutiens, ceux qui emplissaient la maison de rires, de chaleur, de vie…
Le père est resté figé, comme statufié par le choc, récitant en silence la prière funéraire sur les corps de ses fils dans la cour de l’hôpital des Martyrs d’al-Aqsa. Il leur a fait ses adieux sans une larme, sans un cri, comme si la douleur avait gelé en lui toute émotion.
Aujourd’hui, seul, il parle d’une voix étranglée par les larmes :
« Jamais, même dans mes pires cauchemars, je n’aurais imaginé vivre ça… perdre mes six fils d’un seul coup ! »
Et il poursuit, le cœur en miettes :
« Je les ai élevés comme s'ils étaient la prunelle de mes yeux, petit à petit, jusqu’à ce qu’ils grandissent et deviennent ma force et ma dignité… »
Puis, stupéfait, il demande :
« Tu te rends compte de ce qui m’est arrivé ? »
Mais qui peut vraiment concevoir une telle perte ? Qui peut imaginer la disparition d’un pilier entier de toute une famille — cette image d’un foyer porté par la jeunesse de six fils, balayée d’un seul souffle ?
Par cette cruauté sans fin, l’occupation israélienne tente de réduire la vie à Gaza à un salut temporaire face à la mort — rien de plus.

























