Par Nathalie Galesne et Chaimae Zouhiri
À l’occasion de la journée de lutte contre la violence faite aux femmes, Medfeminiswiya publie un dossier consacré à cinq pays Méditerranéens : Espagne, Italie, Palestine, Tunisie et Turquie. Que nous révèlent ces différents focus ? D’une rive à l’autre, des réalités communes : tout d’abord, une prise de conscience de ce qu’est la violence systémique engendrée par le patriarcat et la nécessité de traiter le problème à la source, l’énergie collective féministe qui se déploie pour la combattre s’affirme de plus en plus mais avec des moyens qui restent malheureusement insuffisants.
Les reportages consacrés à des lieux d’accueil tels que Beity en Tunisie, Lucha y Siesta et la Casa Internazionale delle Donne en Italie, l’ONG Rescate en Espagne, montrent que la lutte contre la violence va bien au-delà du simple accueil pour générer de nouveaux modèles de citoyenneté féministes, inclusifs, ouverts et respectueux des diversités.
Malgré ces avancées le tableau reste assez sombre. En premier lieux, la pandémie s’est avérée un accélérateur des violences domestiques. Dans tous les pays documentés par nos journalistes, il apparaît clairement que l'urgence Covid a accentué les nombreuses difficultés auxquelles les femmes -enfermées toute la journée avec leur agresseur- ont été confrontées dans leur tentative d'échapper à la violence.
En Turquie, la pandémie est même utilisée comme excuse pour empêcher les femmes d’accéder aux refuges. En Palestine, on relève une hausse des féminicides, phénomène qui se vérifie aussi en 2021, à moindre échelle, en Italie. Enfin, en Espagne, durant les différentes périodes de confinements, le service d'assistance téléphonique a enregistré une augmentation de 60% des appels à l'aide.
Une seconde réalité transversale à tous ces pays est le manque de moyens juridiques et économiques pour lutter efficacement contre la violence faite aux femmes. En Tunisie, selon Sana Ben Achour, présidente de l’Association Beity : « L’État s’est dérobé à ses promesses d’éradiquer les violences de genre... La loi organique contre les violences à l’égard des femmes attend encore à ce jour les textes d’application sur la prise en charge multisectorielle : l’information juridique, l’aide légale, les soins, l’hébergement, le fonds de réparation. »
« Ce sont les institutions censées soutenir les femmes au moment où elles décident d’interrompre la violence... qui exercent des comportements qui les re-victimisent »
En Turquie, le cadre juridique pour prévenir ces formes de violence existe, mais il est inactif, surtout depuis la décision du gouvernement turc de se retirer de la Convention d'Istanbul. Le plus grand obstacle à l'efficacité de ces mécanismes sont les fonctionnaires qui ne font pas respecter les lois, et le manque d’une structure opérationnelle plus féministe et moins hiérarchisée. Les activistes se plaignent aussi de la carence des refuges, en capacité d’accueillir seulement 3 482 personnes, dans un pays de 84 millions d'habitants, où plus de 3000 féminicides ont eu lieu au cours des dix dernières années. En outre, le président Erdoğan a annoncé son intention de mettre en place des « commissions de paix » qui pourraient être utilisées pour empêcher les divorces au lieu de protéger les femmes contre d’éventuelles violences.
En Italie aussi, les bonnes intentions du gouvernement sont loin d’être actées. L’Etat ne débloque que 3 millions d’euros au regard des 48 millions nécessaires pour enrayer ce fléau. Qui plus est, le financement prévu par le plan national de lutte contre la violence de genre n’a toujours pas été renouvelé en 2021, mettant ainsi en péril les structures d’accueil et les femmes qui ont besoin de leur aide.
En Palestine, l'incapacité du système politique à mettre fin à la violence contre les femmes est dénoncée par les organisations féministes. Cependant malgré les nombreux appels lancés pour augmenter le nombre de refuges, seuls trois centres - répartis dans trois villes- fonctionnent.
Les articles de ce dossier pointent aussi un phénomène alarmant qui se vérifie dans toutes les sociétés investiguées : la victimisation secondaire. « Ce sont les institutions censées soutenir les femmes au moment où elles décident d’interrompre la violence... qui exercent des comportements qui les re-victimisent » souligne Nadia Somma, référente de l’Observatoire sur la victimisation secondaire, mise en place en Italie par le réseau D.I.Re.
Dans une société aussi patriarcale que la société palestinienne, raconte à son tour la journaliste Rama Youssef, la plupart des femmes ont peur de se rendre à la police. D'où l'idée de certaines activistes de créer des réseaux de sécurité informels qui deviendraient des espaces vers lesquels les Palestiniennes pourraient se tourner en cas de violence.
Enfin, les femmes immigrées sont de loin les plus exposées. Victimes potentielles quand elles émigrent de la traite des êtres humains, et des trafics de femmes et de filles à des fins d'exploitation sexuelle, elles sont souvent cruellement isolées face à un partenaire violent dans le pays européen où elles se sont installées. Peur de l’expulsion, manque d’information, l'histoire de Laura et Brenda - deux réfugiées accueillies en Espagne après avoir fui les abus sexuels dans leur pays - dévoile précisément cette détresse. Elles vivent pourtant dans un pays qui fait figure de bon élève et de modèle en ce qui concerne les actions entreprises pour combattre efficacement la violence de genre.