Avec entrain Meriem Ghariani, l'avocate qui anime cette matinée de sensibilisation portant sur les droits des travailleuses domestiques, encourage les participantes à se lever et à se présenter. L'une après l'autre, la dizaine de femmes venues assister à cette rencontre à Houmt Souk (Djerba-Tunisie) prennent la parole, parfois avec émotion : « Depuis vingt ans, je suis aide-ménagère, je viens d'une autre région », « je suis divorcée, j'ai deux enfants, j'ai travaillé avec beaucoup d'employeurs différents... La femme est forte », « j'ai cinquante-deux ans, dieu merci je n'ai jamais vécu de violences, les familles qui m'emploient sont respectueuses, mais je n'ai pas de sécurité sociale », etc. Le petit groupe repart s’asseoir et l'intervenante questionne directement l'audience : « quels sont vos droits en tant qu'employées à domicile ? ». Très vite, les réponses fusent à gauche et à droite et font apparaître en creux les premières violations : « le droit d’être rémunérée pour notre travail », « des heures supplémentaires payées, on n’ose pas toujours les réclamer », « un jour de repos hebdomadaire ! Certains employeurs ne veulent pas l'accorder ».
Des travailleuses exposées à la violence
Pendant trois jours consécutifs du 3 au 5 novembre 2025, l'association MADA pour la citoyenneté et le développement, soutenue par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), a organisé cette formation gratuitement dans des localités différentes de l'île, à destination de cinquante travailleuses domestiques, cette profession étant très majoritairement féminine. Sur l'île, la demande est forte notamment en raison du nombre élevé d'hôtels, de locataires qui viennent pour les vacances et de résidents étrangers qui font appels à leurs services.
Ce programme s'inscrit dans le cadre du projet « Irada » (volonté en arabe), dont les actions visent spécifiquement ce public. Celui-ci a été pensé en complémentarité à un autre projet parallèle, « Sanad » (soutien en arabe), axé lui sur les violences faites aux femmes. « Un certain nombre de personnes que nous accompagnons confrontées à des violences, physiques ou économiques, sont des aides ménagères. Beaucoup n'ont pas fait d'études et sont envahies par des problèmes de revenus et d'autres personnels. Elles ne connaissent pas leurs droits et n'y accèdent pas », explique Najoua Ben Khemis, psychologue et coordinatrice au sein de MADA. À ce sujet, notre voisine pointe du doigt la difficulté de prouver le harcèlement quand il a lieu, puisque ce dernier se déroule souvent dans l'intimité des maisons ou des chambres d'hôtels, à l'abri des regards du monde et sans possibilité de fournir par la suite des enregistrements ou des vidéos.
Dans son exposé, l'avocate Meriem Ghariani mentionne l'ensemble du dispositif judiciaire qui protège les travailleuses à domicile, à l'instar de la loi n° 2017-58 du 11 août 2017 relative à la violence à l'égard des femmes. Si violences physiques subies, un des points importants est de se rendre à l'hôpital afin d'obtenir un certificat médical qui attestera les lésions et pourra ensuite être utile dans le cas d'une plainte.

Une loi spécifique récente, mais aux effets jugés limités
Récemment, l'adoption de la loi n°2021-37 au 16 juillet 2021, spécifique à la réglementation du travail domestique est venue « combler un vide juridique », selon Maitre Meriem Ghariani, en interdisant notamment l'embauche des mineurs et en établissant des sanctions pénales. Par exemple, une amende de 500 dinars soit environ 150€ pour les employeurs qui ne déposent pas de contrat de travail domestique auprès de l'inspection du travail. Le recrutement des travailleur.ses domestiques doit également se faire exclusivement auprès des bureaux d'emploi accrédités. L'impact de ce texte reste pourtant limité d'après plusieurs études et ce secteur demeure marqué par l'informalité.
L'embauche des professionnelles se fait encore beaucoup par le bouche à oreille. « Il n'y a pas encore le réflexe de se rendre auprès des bureaux d'emplois. Et ce des deux côtés, employeurs et employées », précise Meriem Ghariani. Ce qui renforce l'existence de voies opaques voire dangereuses, comme en témoigne une des participantes, qui souhaite impérativement partager à toutes une expérience : « J'ai répondu une fois à l'annonce d'un homme sur Facebook, qui m'a donné rendez-vous. Je n'ai pas voulu y aller seule, alors nous avons convenu que nous serions deux à le rencontrer. Puis le jour est arrivé et je l'ai vu apparaître avec une femme qui ne me semblait pas être une employée domestique. Il voulait s'entretenir avec nous l'une après l'autre et j'ai refusé, car j'ai senti qu'il recherchait autre chose. »
La plupart des femmes présentes exercent de manière libérale et ont ainsi plusieurs employeurs. « C'est donc à elles de cotiser pour leur sécurité sociale, mais en général elles ne le font pas », observe Meriem Ghariani. L'absence de contrat, l'instabilité, l'ignorance des droits et des différents mécanismes de prise en charge ou la précarité peuvent être quelques raisons parmi d'autres. Les rémunérations des travailleuses varient, mais le minimum légal est de 450dt par mois (132€) pour un régime de 40 heures par semaine. Amira* qui a une expérience de plus de dix ans sur l'île, nous informe que la journée chez un particulier est en général rémunérée 40dt (12€), mais que parfois cela peut aller jusqu'à 100dt (30€).
L'embauche des professionnelles se fait encore beaucoup par le bouche à oreille. « Il n'y a pas encore le réflexe de se rendre auprès des bureaux d'emplois. Et ce des deux côtés, employeurs et employées »

Le besoin de parler et de s'entraider
Le recours à l'inspection du travail ou encore la possibilité de faire une demande d'aide juridictionnelle lors d'une action en justice, sont d'autres points sur lesquels s'attardent l'avocate. Avec une bonne nouvelle pour les travailleuses à Djerba : l'ouverture prochaine d'un tribunal de première instance à Houmt Souk. Jusqu'à maintenant, les insulaires doivent se rendre à Médenine, le chef-lieu du gouvernorat auquel appartient l'île, qui se trouve à 70 km. « Le coût des transports, la paperasse, la longueur des procédures, les allers-retours qui nécessitent de s'absenter du travail sont des freins pour beaucoup », souligne Meriem Ghariani.
Les différentes interactions font ressortir un autre besoin, celui d'échanger et de sortir de sa solitude. Il n'existe pas de syndicat dédié aux travailleuses domestiques et la loi du 16 juillet 2021 ne prévoit aucune disposition concernant l'exercice de cette liberté, contrairement à d'autres professions. A la fin de l'intervention, plusieurs femmes expriment une sensation de « soulagement ». L'une des femmes sert dans ses bras son amie qui l'a poussée à venir et la remercie chaleureusement.
La réunion se termine par une discussion animée sur la comparaison entre le travail des hommes et des femmes et la force de ces dernières, ce sur quoi conclut Najoua Ben Khemis : « Le principal c'est que nous soyons égaux. La femme doit être fière d'être femme et il n'y a aucun travail qu'elle ne puisse pas faire. »



























