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Peu d’artistes marocaines osent s’exprimer publiquement sur les violences qu’elles subissent dans le milieu artistique, de peur des représailles ou d’être exclues des productions. Mais l’actrice Najat Khairallah a brisé le silence en dénonçant nommément ses agresseurs dans l’émission Charisma, diffusée il y a deux ans.
Elle a notamment révélé qu’un homme l’avait kidnappée, qu’un autre insistait pour la recevoir chez lui, tandis qu’un troisième disposait d’un lit dans son bureau et monnayait les rôles principaux contre des faveurs sexuelles. Elle a ajouté qu’elle avait également déposé plainte contre l’acteur Tariq Bokhari, l’accusant de harcèlement sexuel répété sur le tournage de la série Al Khawa tournée en 2015.
Lors d’un colloque organisé en 2021 par l’Association marocaine des droits des victimes, Khairallah est revenue sur l’agression qu’elle aurait subie de la part de Bokhari : « J’étais dans la loge avec la costumière quand soudain, Tariq est entré, m’a saisie, m’a jetée sur le lit et s’est allongé sur moi. Mais jamais cette femme ne témoignera en ma faveur : c’est une femme aussi, et si elle parle, elle risque de ne plus jamais travailler. »

Ces déclarations ont fait d’elle la cible d’une violente campagne sur les réseaux sociaux, oscillant entre discrédit, moquerie, et accusations de troubles psychologiques.
Un secteur où la violence sexiste est monnaie courante
Dans l’ombre, les femmes travaillant dans le cinéma marocain continuent de subir diverses formes de violences basées sur le genre, souvent perçues comme une fatalité dans un milieu largement dominé par les hommes.
C’est dans ce contexte que l’Association des Rencontres Méditerranéennes du Cinéma et des Droits de l’Homme a publié en janvier 2025 une étude inédite intitulée : « La violence basée sur le genre dans le secteur du cinéma au Maroc ». Son objectif : plaider pour une politique publique garantissant le respect des droits des femmes dans l’industrie cinématographique et leur protection contre toutes formes de discrimination et de violence.
Première du genre dans le secteur cinématographique, cette étude révèle des faits et chiffres alarmants : les femmes subissent divers types de violences sexuelles, psychologiques et économiques, souvent passées sous silence.
D’autre part, l’étude a relevé que la violence économique subie par les femmes dans cet univers se manifeste par l’ambiguïté des tâches qui leur sont assignées, la conclusion de contrats abusifs favorisant les sociétés de production, ainsi que l’exploitation de la précarité des travailleuses dans les secteurs techniques et de production. Quant à la violence sexuelle, elle touche régulièrement les actrices, en particulier les plus jeunes.
Dans l’ombre, les femmes travaillant dans le cinéma marocain continuent de subir diverses formes de violences basées sur le genre, souvent perçues comme une fatalité dans un milieu largement dominé par les hommes.
Selon l’enquête, 80 % des femmes interrogées ont été victimes ou témoins d’au moins un cas de violence basé sur le genre. Les violences psychologiques sont les plus courantes, suivies par les abus économiques, puis les violences sexuelles. L’étude met également en lumière la nature systémique de ces violences, qui s’exercent à la fois horizontalement (entre collègues de la même équipe ou d’autres équipes) et verticalement (de la hiérarchie vers les subordonnées.
Fadwa Maroub, présidente de l’Association des Rencontres Méditerranéennes, alerte sur les conditions de travail qui entraînent ces agressions" : L’industrie cinématographique au Maroc favorise le désordre et le chaos, ce qui contribue à la prolifération de pratiques inacceptables sur les plateaux de tournage. On fait souvent face à une augmentation des heures de travail sans préavis, de nombreux reports, des tournages dans des lieux inconnus et un manque d’organisation dans la gestion du travail et des décisions. Tout cela accroît le stress des femmes et accentue les risques de harcèlement et de violences ».
La présidente de l’association confie au site "Medfeminisawia" que la violence psychologique et sexuelle touche davantage les femmes en début de carrière.
" Malheureusement, les victimes ont tendance à garder le silence et peinent à dénoncer ces pratiques, faute de sensibilisation ou par méconnaissance de leurs droits. Elles se retrouvent également contraintes de s’adapter à ces agressions dans un environnement de travail précaire si elles veulent poursuivre leur carrière sans encombre."
La peur des représailles et de l’exclusion
L'étude met en évidence une culture de soumission et de complaisance, nourrie par la peur de la stigmatisation, qui tolère toutes les formes de violence. Les agresseurs légitiment ces violences par des prétextes tels que la pression du travail, la nature pluridisciplinaire du cinéma ou encore les défis inhérents à la profession.
Quant à la violence sexuelle, elle touche régulièrement les actrices, en particulier les plus jeunes.
Bien souvent, la banalisation de la violence va jusqu'à sa justification par des arguments fallacieux, tels que le manque de sérieux au travail ou un prétendu défaut de vigilance et de rigueur, des prétextes flous et difficiles à réfuter. L’étude souligne également d’autres obstacles à la dénonciation de ces violences, notamment le manque de solidarité entre collègues, la crainte de représailles venant des agresseurs et la domination masculine du secteur.
« Nous avons rencontré de nombreuses difficultés pour mener cette étude, confie Fadwa Maroub, notamment le manque de données et de sources fiables sur les conditions de travail dans le secteur du cinéma au Maroc. ».
Après la publication de l’étude, de grands espoirs ont émergé quant à l’apparition d’autres voix dénonçant cette réalité inacceptable, tant sur le plan légal que moral. Pourtant, cela ne s’est pas produit : « Les femmes, affirme la présidente de l’association, doivent prendre l’initiative pour faire face à la violence qu’elles subissent. Elles doivent s’organiser afin d’instaurer le changement que nous appelons toutes et tous de nos vœux. »
Un milieu toujours dominé par les hommes
L’étude souligne que le manque d’accès des femmes aux postes de décision, leur faible représentation au sein des structures professionnelles et des syndicats représentant les travailleuses du secteur cinématographique au Maroc, ainsi que la limitation de leur rôle dans le plaidoyer et la dénonciation collective des violences basées sur le genre, contribuent à perpétuer les inégalités de genre. Le Maroc compte 12 associations professionnelles dans ce domaine, réunissant 100 membres dirigeants, dont seulement 10 sont des femmes. En outre, plus de 50 % des bureaux exécutifs ne comptent aucune représentante féminine. Une étude précédente sur l’égalité des genres dans le secteur du cinéma au Maroc, menée en 2020 par l’Association Démocratique des Femmes du Maroc révélait déjà une forte ségrégation des rôles : les femmes sont majoritairement cantonnées aux métiers du costume (47 %), de la coiffure (65 %) et du maquillage (19 %), tandis qu’elles ne représentent que 20 % des productrices et 28 % des réalisatrices. Dans les métiers techniques (prise de vue, son, lumière), elles ne sont que 3,6 % .
Les femmes sont majoritairement cantonnées aux métiers du costume (47 %), de la coiffure (65 %) et du maquillage (19 %), tandis qu’elles ne représentent que 20 % des productrices et 28 % des réalisatrices. Dans les métiers techniques (prise de vue, son, lumière), elles ne sont que 3,6 % .
Interrogées sur le rôle des institutions dans la protection des femmes contre la violence dans le secteur cinématographique, les participantes à l’étude indiquent que le Centre cinématographique marocain (pour les techniciennes) et le ministère de la Culture (pour les actrices) réagissent avec sérieux aux plaintes concernant les violences basées sur le genre. Cependant, leur rôle se limite à la médiation. De plus, la lenteur des procédures judiciaires constitue un obstacle majeur dissuadant les victimes de signaler les cas de violence.
Quelles solutions ?
Face à l’absence de mécanismes clairs de protection des femmes contre les violences sexistes, l’étude recommande d’instituer une réforme législative instaurant des normes professionnelles garantissant un cadre de travail prenant en compte le genre, un contrat de travail type élaboré par le Centre Cinématographique Marocain et le ministère de la Culture, précisant clairement les missions de chacun.e. et incluant des clauses sur le respect du code de conduite, des campagnes de sensibilisation pour soutenir les femmes travaillant dans le secteur, et le lancement de modules de formation sur les droits des femmes, incluant la prévention et la protection contre toutes les formes de violence basées sur le genre, au sein des écoles et des instituts de cinéma. Enfin, un accompagnement des victimes via des associations féministes et des services d’écoute et d’assistance juridique est préconisé par l’étude.
L'Association des Rencontres Méditerranéennes a présenté ces conclusions à diverses associations de la société civile, ainsi qu’aux instances officielles concernées. Fadwa Maroub déclare : « Nous préparons une campagne de communication et de sensibilisation, impliquant les professionnel·le·s du secteur, les structures professionnelles, le Centre cinématographique et le département de la culture, afin de réfléchir ensemble et de proposer des solutions pour mettre fin aux violences faites aux femmes dans le milieu du cinéma. Seule une volonté réelle de la part de tous les acteurs et actrices concerné.e.s pourra mettre en place un environnement plus juste et plus sûr pour les femmes. »

























