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«Notre trio s'est rencontré en ligne et a emménagé ensemble il y a environ un an, écrit Otterly_Georgeus (de son surnom) sur un forum en ligne consacré au polyamour. C'est de temps en temps un peu frustrant, mais il y a aussi les moments où nous nous entassons tous les trois sur notre grand lit pour regarder ensemble des films à l'eau de rose, en échangeant des baisers… ».
Dangerous_Elk8786 est, pour sa part, en couple avec un homme marié depuis un an et demi : « Je vis actuellement avec les deux époux. Ils m'ont beaucoup appris sur comment communiquer, être authentique, et sur l'amour. Je n'avais encore jamais vécu de relation polyamoureuse et au début cela me faisait peur. Mon meta (partenaire du partenaire, ndlr) et moi, nous nous entendons très bien et nous sommes en train de développer une amitié vraie. »
Selon le même forum, DrWhoop87 a une relation amoureuse avec J, qui en a lui-même une avec B, qui en a une avec D, et tous les quatre sortent assez souvent ensemble. MaddestMaddie, elle, se décrit comme une « anarchiste polyamoureuse célibataire ». Elle a, semble-t-il, les idées très claires sur sa vie amoureuse, même si, de l'extérieur, celle-ci peut paraître assez complexe. « Je sors avec deux personnes qui sont aussi ensemble (j'ai rencontré la deuxième par l'intermédiaire de la première avec qui je vivais un rapport depuis huit mois déjà). Elles ont chacune deux autres partenaires, dont une personne qu'elles fréquentent ensemble. »
Le polyamour est, en fait, en augmentation constante dans le monde occidental. Des recherches, menées par l'American Psychological Association, ont révélé qu'environ 5 % de la population américaine adhère à ce type de relation. Selon le nouveau rapport d'Ashley Madison, une application de rencontres extraconjugales comptant plus de 80 millions d'utilisateurs, ce sont principalement les femmes et les générations Millennial et Z, vivant en milieu urbain et ayant un niveau d'éducation élevé, qui font l'expérience du polyamour. Une enquête réalisée par Ipsos pour la plateforme Wyylde montre également un consensus croissant de l’opinion publique italienne, où un million de personnes sortent avec plusieurs partenaires en même temps tandis que 2,5 millions sont intéressées par ce type d’expérience. Mais de quoi s'agit-il exactement ?
Les mots pour le dire
Le polyamour est une forme de relation non monogame entre partenaires qui permet d'entretenir simultanément des liens affectifs multiples avec le consentement explicite de toutes les parties concernées. Le terme, du grec πολύ, « beaucoup », et du latin amor, « amour », a été inventé dans les années 1990, mais n'a gagné en popularité qu'au cours des dernières décennies.
En Occident, les origines de ce phénomène remontent aux années 1960, lorsque les premiers groupes de spiritualité alternative commencent à proliférer dans la Baie de San Francisco, bien que des pratiques relationnelles similaires aient été documentées dans de nombreuses cultures indigènes.
Cette non-monogamie particulière est basée sur des principes de communication explicite, de confiance, de respect et d'honnêteté. Elle se distingue des autres rapports tels que l'échangisme, le couple ouvert ou l'anarchie relationnelle grâce aussi à son lexique spécifique. Ainsi parle-t-on de partenaire « comète » lorsqu’on partage des moments intenses et répétés avec une personne sans enclencher une relation suivie, tandis que le terme « métapartenaire » désigne des individus avec lesquels on n'a pas de contact direct. La « polécule » (de polyamour et molécule) désigne l'ensemble des relations reliées entre elles, la « relation en V » implique trois subjectivités, dont deux n'interagissent pas entre elles, tandis que dans la « triade » (ou « trope »), toutes les parties sont en relation. La « New Relationship Energy » (NRE) concerne ce sentiment de joyeuse euphorie que l’on ressent au début d'une relation et le « Dont' Ask Don't Tell » (DADT) indique l'accord de ne pas communiquer ce que l'on vit et expérimente ailleurs.
Utopie ou révolution ?
Pierre angulaire du paradigme normatif imposé par le patriarcat, le binarisme de genre établit des rôles fixes et stéréotypés pour les hommes et les femmes, déclinant leurs relations dans une optique strictement hétérosexuelle et cisgenre. La priorité absolue des relations amoureuses monogames sur les autres est une conséquence directe de ce système de pouvoir basé sur la suprématie masculine s’exerçant souvent à partir de dynamiques de contrôle, de prévarication et de possession.
Le polyamour est une forme de relation non monogame entre partenaires qui permet d'entretenir simultanément des liens affectifs multiples avec le consentement explicite de toutes les parties concernées.
La déconstruction de l'idéal amoureux traditionnel a donc des répercussions politiques importantes, expliquent Car G.Lepori et Nicole (nic) Braida (3). « Pour de nombreuses personnes en dehors des cercles féministes, transféministes et queer radicaux, le milieu polyamoureux a sans doute représenté le premier espace dans lequel la question du consentement était placée au centre, tandis qu’était remis en cause la culture de la possession et la normalisation de la jalousie en tant que symptôme de l'amour. En outre, il partage avec la pensée queer et féministe la critique de la famille traditionnelle fondée sur les liens du sang. » La militante espagnole Brigitte Vassallo (4) rappelle que la monogamie est intrinsèquement liée aux autres systèmes d'oppression de notre société, comme le patriarcat, le capitalisme et le nationalisme. Ne repose-t-elle pas sur les mêmes mécanismes d'exclusivité, de construction identitaire et de compétition et nous ne pouvons pas continuer à faire abstraction de cette imbrication.
Jalousie et frustrations
Toutefois, si l'aspect fondamental du polyamour est la capacité d’exprimer ouvertement ses besoins et ses désirs, il peut entrainer de la jalousie ou des sentiments de rejet lorsque la personne avec qui on aimerait être n'est pas disponible parce qu'elle est avec quelqu’un d’autre. De plus, être capable de vivre plusieurs histoires de manière parallèle demande du temps et des efforts, ce qui est parfois stressant. Et que dire de la frustration d'être constamment critiqué.e dans un contexte social qui stigmatise tout lien non-monogame comme étant pervers ou immature ?

« De nombreuses personnes polyamoureuses parlent du polyamour de manière défensive, en construisant un récit idéalisé », écrit Dana Piras, psychologue et consultante sexuelle non-binaire, militante queer et transféministe intersectionnelle (4). « Il s'agit d'une modalité assez inévitable pour légitimer son existence qui conduit, spontanément et de manière réductrice, à omettre la fatigue qu'implique la vie non-monogame ». Cette narration idyllique pousse à considérer cette pratique relationnelle comme plus évoluée que les autres, répandant par ailleurs la croyance qu'il existe des critères précis à remplir par ceux qui souhaitent s'en approcher.
Mais de nombreuses personnes vivent des traumatismes et un vide émotionnel au quotidien et, dans certains moments particulièrement difficiles, ce modèle relationnel peut alors se transformer en une norme inatteignable, sapant le bien-être relationnel et, parfois, la stabilité psycho-émotionnelle.
En effet, si le polyamour offre d'importantes possibilités d'épanouissement personnel et de satisfaction amoureuse, il faut se demander s'il correspond bien à ses propres besoins et valeurs avant de se lancer dans ce type d’expérience sur la vague de l'enthousiasme initial. «Toutes mes difficultés provenaient d'une immaturité émotionnelle et de problèmes d'attachement anxieux, confie TogepiOnToast. J'ai dû apprendre que les personnes ne m'oublieront pas si nous ne nous parlons pas de toute la journée, que le fait d'être en contact permanent n'est pas nécessairement synonyme de lien, que donner de l'espace à l’autre est un acte d'amour, que l'amour de mes partenaires pour d'autres personnes n’atténue en rien leur façon de m’aimer, que l'amour est une action et non un sentiment et que je n'ai pas besoin qu'ils me disent constamment « je t'aime » pour savoir que je suis aimée, qu'il y a une énorme différence entre être choisie tous les jours ou être avec quelqu'un qui se sent obligé de passer du temps avec moi. En toute honnêteté, j'ai rencontré ce même type de problèmes dans les rapports monogames ».