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« Elle est le contraire de ce que vous voyez ». C’est avec ces mots que l’artiste Elisa a résumé les histoires de plusieurs femmes. Ainsi a-t-elle présenté d’une manière concrète une tranche de vie de l’une des célèbres danseuses libanaises, Dany Bustros. Cette dernière était très connue mais n’avait guère été épargnée par le drame et les pressions conjugales et financières. Elle était l’épouse d’Elie Hobeika, un acteur important de la guerre civile libanaise.
Dany Bustros a vécu une triste vie qu’elle essayé de dissimuler jusqu'à son suicide. Mais ceux qui la connaissaient voyaient en elle une femme à la forte personnalité, qui avait réussi. Une étoile heureuse.
Nous évoquons Dany Bustros pour parler des femmes fortes, autonomes, ayant réussi, et qui sont des stars dans leur domaine. On les voit comme des êtres inébranlables, infatigables, sûres d’elles, éloignées de la déprime et que rien n’arrête dans la vie.
A y réfléchir, le suicide qui a mis fin à l’existence de nombreuse de femmes est une réaction brutale face à une souffrance longtemps tue qui a touché, entre autres, la chanteuse italo-égyptienne Dalida et l’admirable écrivaine Sylvia Plath.
Pour celles et ceux qui ne le savent pas, Sylvia Plath (1932-1963) est une poétesse et romancière américaine considérée comme la pionnière de la poésie de confession. Malgré sa notoriété, à l’âge de trente ans, à Londres, elle s’était calfeutrée dans la cuisine, avait mis la tête à l’intérieur du four de la gazinière et ouvert le gaz. Elle avait auparavant enfermé ses deux enfants dans leur chambre. Dans la poussette des enfants, elle avait laissé une lettre dans laquelle elle demandait à contacter le médecin qui lui avait prescrit des calmants. Elle espérait peut-être qu’on la retrouve vivante. Mais ce ne fut pas le cas et Sylvie est partie…
Dans un autre contexte, nous pouvons parler de dizaines et dizaines d’histoires de femmes disparues d’une manière tragique et étrange comme ce fut le cas de l’actrice égyptienne Souâd Hosni, la chanteuse syrienne Asmahan et l’artiste libanaise Suzanne Tamim et de tant d’autres… La mort de ces femmes reste une énigme mais elle dit clairement la souffrance se cachant derrière la réussite et le glamour. Là précisément il est difficile de séparer le drame de ces femmes de la société machiste, désaxée, qui exerce de fortes pressions sur les femmes, les poussant à payer le prix de la réussite et de l’autonomie.
Généralement, les médias s’appuyant sur les rapports des organisations de défense des droits humains se focalisent sur les violations touchant les femmes marginalisées, et le lourd tribut qu’elles paient à cause des guerres et des conflits provoqués par des hommes. Ce faisant ils mettent en lumière les violences physiques, sexuelles et verbales dans les sociétés paupérisées.
En revanche, le voile de l’oubli cache la souffrance des autres femmes, celles qui ont eu des opportunités de formation, de travail et de réalisation de soi. Pourtant, ces femmes ne sont pas épargnées par une violence difficile à déclarer ou à expliquer. C’est le cas de ces femmes ayant réussi dans ce qu’elles entreprennent mais qui ont une vie amoureuse et des relations compliquées. Cet échec peut s’expliquer par les pressions subies et par le fait que les hommes aux mentalités traditionalistes se méfient des femmes qui jouissent d’une plus grande célébrité qu’eux et essayent, alors, de les « formater » un peu.
En revanche, le voile de l’oubli cache la souffrance des autres femmes, celles qui ont eu des opportunités de formation, de travail et de réalisation de soi. Pourtant, ces femmes ne sont pas épargnées par la violence difficile à déclarer ou à expliquer.
A ce propos, nous ne pouvons ignorer les « rapports », anonymes parfois, qui sortent, de temps à autre, pour alerter sur l’augmentation remarquable du taux de « célibat des filles ». Leurs auteurs lient ce phénomène à l’autonomie des femmes, leur insinuant de choisir « entre l’autonomie et l’amour ».
De nombreuses femmes subissent une véritable terreur. En effet, lorsque certaines activistes ou journalistes expriment des opinions non conformes à leur milieu conservateur ou ne convenant pas à une classe sociale précise, elles voient leur réputation détruite et sont réduites au silence par leurs détracteurs qui étalent leur vie privée. Dans ce cas, l’atteinte à leur liberté est encore plus facile que de marquer un but devant des filets sans gardien.
A cela s’ajoute la discrimination sur le plan des salaires ou dans l’occupation des postes élevés. Ce constat pousse beaucoup de femmes à accepter ce qu’on leur propose même si cela comporte une injustice, un mépris envers leur sexe et leur itinéraire académique et professionnel.
Le jour où une de mes amies a divorcé, ôté son hijab (voile) et décidé de reprendre ses études supérieures, la réaction n’a pas tardé : elle a été privée de voir ses deux enfants. Son ex-mari a dit à ceux qui la connaissaient qu’elle ne méritait pas d’être mère et qu’elle était « incontrôlable ». Effectivement, cette amie s’était libérée de son emprise, mais ne peut plus voir ses deux enfants depuis cinq ans. Entre-temps, elle a réalisé beaucoup de choses, créé sa propre entreprise, mais le prix qu’elle a dû payer est si cher. Lors de notre dernière rencontre, elle m’a avoué qu’elle ne supportait plus cette situation et qu’elle pensait émigrer. « Je veux m’enfuir » m’a-t-elle dit.
Nous les puissantes, les autonomes qui avons réussi, nous les filles de Dany Bustros, Sylvia Plath et Souâd Hosni… Nous toutes, sans exception, nous étouffons dans notre silencieuse souffrance. Nous répétons « je veux fuir », parfois plus d’une fois par jour.