A travers une vidéo disponible sur Youtube, intitulée « La chasse au trésor » , le Ministère de l’Égalité espagnol lance une campagne spécifique, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le 25 novembre. Dans ce court-métrage de sept minutes, l’actrice Ester Expósito (connue grâce à la série Élite et le film Vénus) relate un cas fictif de violence vicariante, c’est à dire lorsque qu’un homme inflige du mal à une femme par procuration, bien souvent ses enfants.
Le scénario, écrit par l’écrivain argentin Hernán Casari, parle d’un père qui kidnappe sa fille pour faire pression et nuire à la mère. L’histoire commence par la demande en mariage d’un homme, et se termine par un chantage dans lequel Amélie, la fille du couple, devient un instrument de coercition. La structure du film est simple : l’actrice apparaît toujours au premier plan: son regard et sa voix dirigent la narration.
Les enfants : principales victimes des violences vicariantes
Depuis 2013 en Espagne, 38 mineur.es ont été tué.es par violence vicariante, c’est-à-dire par leurs pères ou par les partenaires ou ex-partenaires de leurs mères afin de nuire à ces dernières. Vingt-sept autres mineur.es ont été tué.es en même temps que la mère, ou bien il s’agit de femmes mineures tuées par leurs partenaires, selon les chiffres du Ministère de l’Égalité. Au total, jusqu’à juin 2025, 65 mineur.es ont été assassiné.es dans un contexte de violence de genre. Ces situations de violence apparaissent ou s’intensifient souvent lors de processus de séparation.
L’initiative à travers cette campagne vise à provoquer un rejet social ferme envers les agresseurs. « La violence ne peut jamais trouver de justification ni de silence concret. En tant que société, nous devons dire d’une seule voix, haut et fort, qu’aucun agresseur ne peut jamais être un bon parent », a communiqué la déléguée du Gouvernement contre la violence de genre, Carmen Martínez Perza, lors du lancement. Elle a également expliqué que la violence vicariante devient plus «cruelle» lorsque la victime prend ses distances avec son agresseur, lequel dispose d’un «facile» accès via les gardes partagées et les régimes de visites des enfants.
« La violence ne peut jamais trouver de justification ni de silence concret. En tant que société, nous devons dire d’une seule voix, haut et fort, qu’aucun agresseur ne peut jamais être un bon parent »
Depuis 2009, le Ministère de l’Égalité et la Fondation ANAR qui aide les enfants et adolescents en danger, coopèrent par un accord conjoint pour la prise en charge des cas de violence de genre impliquant un mineur. En vertu de cet accord, les appels au 016 sont orientés par le ministère vers la fondation lorsque les cas de violence de genre concernent une personne mineure.
Un avant-projet de loi prêt à être voté pour définir et combattre ce type de violence
Le Gouvernement a proposé un avant-projet de loi pour combattre la violence vicariante. Une loi « qui permettra de la définir juridiquement, sa qualification pénale et d’articuler des mesures de prévention, d’attention et de réparation des victimes », a déclaré la ministre de l’Égalité, Ana Redondo.
Cet avant-projet de loi, approuvé par le Conseil des ministres le 30 septembre et qui doit encore être voté par le Parlement espagnol, prévoit que les mineur.es soient entendu.es de façon obligatoire. Il inclut la violence vicariante dans le Code pénal comme un délit contre l’intégrité morale, avec des peines de prison de six mois à trois ans et l’interdiction de détention d’armes pendant trois à cinq ans. Il intègre aussi une disposition liée à l’affaire José Bretón, un infanticide remontant à 2011 : « l’interdiction de publier ou de diffuser des messages, textes, images ou autres contenus ayant un lien direct avec le crime commis ». Bretón a été condamné à quarante ans de prison pour le meurtre de ses deux enfants. Son témoignage qui figurait dans le livre El odio (La haine) de l’écrivain Luisgé Martín, avait déclenché un vif débat national entre liberté d’expression et droit des victimes. La maison d’édition Anagrama a finalement renoncé à le publier.
Le texte juridique souligne que les meurtres sont l’expression la plus extrême de la violence vicariante, mais que sa dimension non létale est beaucoup plus large et fréquente malgré sa faible visibilité. « La violence vicariante n’est pas un phénomène isolé ni marginal, mais un mécanisme de contrôle et de domination profondément ancré dans les dynamiques de la violence de genre, qui cherche à perpétuer la souffrance des femmes au-delà de la relation directe avec l’agresseur », détaille l’avant-projet de loi. Ce dernier englobera également d’autres descendants, ascendants, frères et sœurs et partenaires de la femme que l’on cherche à atteindre.
« L’agresseur sait que tuer les enfants, c’est s’assurer que la femme ne se rétablira jamais »
La psychologue argentine Sonia Vaccaro est celle qui a théorisé le concept de violence vicariante en 2012 et l’explique ainsi : « Nous voyons chaque jour des hommes qui, pendant le mariage, ne se sont ni souciés ni intéressés à leurs enfants ; au moment du divorce, ils demandent la garde partagée, un large droit de visite, et certains sollicitent la garde exclusive, uniquement dans le but de continuer à être en contact avec la femme et de poursuivre le maltraitement, désormais à travers les enfants. J’ai nommé ce phénomène ‘violence vicariante’ : cette violence exercée sur les enfants pour blesser la femme. »
Elle ajoute : « C’est une violence secondaire envers la victime principale, qui est la femme. C’est la femme que l’on cherche à atteindre et le dommage est infligé par l’intermédiaire de tiers. L’agresseur sait que blesser, assassiner les enfants, c’est s’assurer que la femme ne se remettra jamais. C’est le dommage extrême. »
« Nous voyons chaque jour des hommes qui, pendant le mariage, ne se sont ni souciés ni intéressés à leurs enfants ; au moment du divorce, ils demandent la garde partagée, un large droit de visite, et certains sollicitent la garde exclusive, uniquement dans le but de continuer à être en contact avec la femme et de poursuivre le maltraitement, désormais à travers les enfants. J’ai nommé ce phénomène ‘violence vicariante’ : cette violence exercée sur les enfants pour blesser la femme. »
Selon la première étude sur la violence vicariante réalisée en Espagne, conduite par Sonia Vaccaro en coordination avec l’Association des femmes de psychologie féministe de Grenade, dans 82 % des 400 cas d’assassinats de mineurs commis entre 2000 et 2021, le père biologique est le meurtrier. Et lorsque le crime est commis, le couple est séparé depuis peu de temps. La plupart des tueurs n’ont pas de casier judiciaire et, si c’est le cas, 60 % des antécédents sont liés à des délits de violence de genre. La même proportion d’agresseurs avait verbalisé leur intention de faire du mal à la mère ou aux enfants avant de commettre le crime, en proférant des menaces telles que : « je t’enlèverai les enfants », « tu verras ce qui arrivera aux filles », « je te prendrai ce que tu aimes le plus ».
Bien que le projet de loi espagnol soit pionnier en Europe, d’autres pays avancent dans la même direction. Le Mexique, la Colombie ou l’Argentine ont déjà inclus ce type de violence dans leurs lois contre la violence de genre.

























