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Image principale: le divorce est un sujet souvent abordé dans les films égyptiens. Ici "Je veux une solution" de Samir Marzouk 1975
Mona Mahmoud, 26 ans, n’aurait jamais imaginé être abandonnée au moment le plus fragile de sa vie. Son mari l’a répudiée à son insu alors qu’elle était enceinte de six mois, la laissant affronter seule l’accouchement. Sa peur grandissait à mesure que le terme de sa grossesse approchait. Et lorsqu’elle a dû subir une césarienne, ce n'était pas la douleur qui la tourmentait, mais le sort juridique de son enfant : serait-il reconnu légalement, ou privé même d’un acte de naissance attestant de son existence ?
Dans une société où l’enregistrement d’un nouveau-né dépend de la signature du père ou d’un proche masculin, Mona craignait que son fils ne vienne au monde sans nom. Elle confie à Medfeminiswiya: « Je vivais un cauchemar… Chaque nuit, je me demandais : "Et si mon mari refusait de reconnaître l’enfant ou m’ignorait ? Est-ce que mon enfant perdrait ses droits simplement parce que son père a choisi de disparaître " ? »
Dossier de mariage et jugement de divorce à la main, la peur au ventre, Mona s’est lancée dans un parcours administratif épuisant pour garantir à son enfant un droit à l’existence avant même sa naissance. Devant les guichets de l’état civil, elle menait un combat solitaire, décidée à ne pas laisser son fils être effacé des registres avant d’avoir ouvert les yeux.
Son avocat lui a conseillé de déposer un procès-verbal de constat et de faire venir son père ou son frère pour se substituer au père absent. S’ouvre alors un long parcours bureaucratique : notification officielle au mari, procédures judiciaires, délais indéterminés.
Ainsi, le divorce par contumace devient pour certains hommes un instrument de domination, leur permettant de fuir leurs obligations financières envers leurs épouses — pension alimentaire, logement, voire droits successoraux.
Des histoires qui montrent l’ampleur de la tragédie
L’histoire de Mona n’est pas isolée. Asma El-Sayed, 37 ans, en a fait elle aussi les frais. Après onze années de mariage, elle s’est retrouvée face à un abandon. « Je l’ai épousé contre la volonté de ma famille, qui m’a reniée à cause de ce choix. Il a profité de cette rupture : il me battait et m’humiliait constamment », raconte-t-elle.
Quand les tensions se sont aggravées, le mari a disparu, se dérobant à toute responsabilité familiale. Épuisée par les charges, Asma a intenté une action en justice pour obtenir une pension pour elle et ses deux enfants. La riposte fut brutale : il l’a expulsée du domicile conjugal et renvoyée chez ses parents.
Le tribunal a condamné son époux à verser 10 000 livres égyptiennes par mois (environ 200 dollars). Furieux, il a alors prononcé un divorce par contumace afin de réduire la pension : le montant est tombé à 6 000 livres (120 dollars), avant qu’il ne disparaisse complètement, laissant sa famille sans soutien pendant des années.
Si les histoires de Mona et d’Asma évoquent la trahison conjugale, celle de Maha Abdallah, 50 ans, en révèle la cruauté extrême. Après vingt-cinq ans de mariage, elle découvre qu’elle est divorcée depuis plusieurs années — sans jamais en avoir été informée. Son mari a dissimulé le fait jusqu’à sa mort. En renouvelant sa carte d’identité, elle apprend qu’elle n’est plus légalement son épouse et qu’elle a perdu d’un coup son droit à l’héritage et à la pension de veuve. « Le choc psychologique a été immense, témoigne sa fille. Ma mère a vécu avec mon père toutes ces années, elle l’a soigné, travaillé pour l’aider, et découvre après sa mort qu’elle n’est plus sa femme. »

Comment une femme peut-elle être privée du droit d’être informée?
Ces trois récits illustrent la violence institutionnelle subie par des femmes laissées seules face à un système lent et à des traditions archaïques.
Selon les statistiques de l’Agence nationale des statistiques (CAPMAS), plus de 200 000 divorces sont enregistrés chaque année en Égypte, dont près de la moitié à l’insu des épouses. Des milliers de femmes se retrouvent ainsi piégées dans un vide juridique et social qui qui amplifie leur détresse. Le problème réside dans l’application du texte de loi régissant la procédure de notification du divorce.
L’article (5 bis) de la loi n°25 de 1929 oblige le mari à faire enregistrer le divorce auprès du notaire compétent dans un délai de 30 jours à compter de sa prononciation, et considère que l’épouse en est informée si elle est présente à l’acte.
En cas d’absence, le notaire doit lui notifier officiellement le divorce par huissier. Mais cette procédure censée garantir la transmission de l'information devient souvent purement formelle : retards, adresses erronées, notifications jamais délivrées… Autant de manœuvres qui laissent la femme dans l’ignorance de son propre statut juridique pendant des mois, voire des années.

Une violence légale contre les femmes
Pour l’avocate Aya Hamdi, avocate auprès de la Haute cour d’appel et responsable des bureaux de soutien aux femmes à la Fondation « Al-Mar’a Al-Jadida » (La Femme Nouvelle), « le divorce par contumace constitue une faille juridique et sociale grave. Dans la plupart des cas, la femme n’est pas informée de la date du divorce, ce qui la prive de ses droits financiers tels que la pension de la période de viduité (nafaqat al-idda), l’indemnité de répudiation (nafaqat al-mut‘a), et le paiement du reliquat de la dot. »
Elle explique que le divorce à l’insu de l’épouse entraîne automatiquement la perte de certains droits économiques : la pension de la période de viduité, due pendant trois mois à partir de la date du divorce, s'annule si la femme n’est pas notifiée à temps.
Si la femme n’est pas informée, elle perd ses droits définitivement. Elle perd aussi toute chance de réclamer, « la pension de consolation ou de jouissance» (Nafaqat al-Mot’aa), une compensation financière octroyée à la femme divorcée prévue par la chariaa (la loi islamique) et de la loi civile, qui correspond à au moins deux ans de pension et le reliquat de la dot.
Ainsi, derrière des procédures juridiques apparemment neutres, se cache une violence silencieuse qui nie aux femmes leur droit de savoir, de choisir et de revendiquer.
Le divorce, au lieu d’être un acte légal encadré, devient une arme de domination, perpétuant .l’injustice jusque dans les textes de loi
Des divorces prononcés en secret, sans trace officielle
Me Aya Hamdi explique que ce type de divorce se déroule le plus souvent devant le ma’dhoun (notaire religieux), sans qu’aucun acte officiel ne soit établi comme c’est le cas pour les divorces prononcés par un tribunal. Cette absence de documentation formelle rend encore plus difficile pour les femmes la reconnaissance de leurs droits. « De nombreuses femmes qui viennent me consulter n’ont jamais reçu la moindre notification de divorce, précise-t-elle. Elles découvrent, en consultant les registres d’état civil, qu’elles sont divorcées depuis des mois, parfois depuis des années, sans en avoir été informées. »
Hamdi souligne que la gravité du divorce par contumace ne réside pas seulement dans la perte des droits matériels, mais aussi dans l’humiliation morale et la négation de la dignité des femmes : « Certains maris continuent à entretenir des relations conjugales avec leurs épouses, alors qu’elles ne sont plus mariées légalement. D’autres découvrent, après la mort de leur mari, qu’elles ne font même plus partie des héritières, parce qu’elles ont été divorcées en secret depuis des années. »
Elle note que ces pratiques sont particulièrement fréquentes dans les mariages polygames, ou lorsque des hommes âgés épousent de très jeunes femmes, qu’ils répudient ensuite sans les en informer.
Une répression sociale systémique à l’égard des femmes
Pour la députée Farida El-Choubachi, le divorce par contumace constitue une forme de violence systémique à l’égard des femmes : « C’est une atteinte directe à la dignité de la femme égyptienne. Il offre à l’homme un moyen de se soustraire à ses responsabilités financières et familiales. »
Elle ajoute que certains maris recourent à cette pratique pour garder un contrôle sur le destin de leurs épouses, les empêchant ainsi de se remarier ou de reconstruire leur vie librement. « Le divorce par contumace est une forme d’asservissement social des femmes », conclut-elle.

























