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« Allah is a lesbian », pour cette phrase inscrite sur son tee-shirt, la militante marocaine Ibtissam Lachgar a été condamnée à deux ans et demi de prison ferme ainsi qu'une amende d'environ 50 000 dirhams ce mercredi 3 septembre 2025.
Pour le parquet, cette image et la publication qui l’accompagnait sur le réseau social X constituent une atteinte au sacré et une offense à l’islam. L’affaire a ainsi conduit à l’ouverture d’une enquête, suivie de son arrestation et de sa condamnation.
Figure connue du militantisme féministe et des droits humains au Maroc, Ibtissam Lachgar — surnommée « Betty » — est née à Rabat en août 1975. En 2009, elle cofonde le mouvement « MALI » (Mouvement Alternatif pour les Libertés Individuelles), organisation qui se définit comme une initiative féministe, laïque et de désobéissance civile, engagée contre toutes les formes de discrimination et en faveur des droits et libertés individuelles.
L’expression controversée « God is lesbian » trouve ses racines dans les mouvements féministes et queer des années 1970-1990. Utilisée comme slogan militant, elle visait à contester l’ordre patriarcal religieux et social, en associant provocation symbolique et critique politique.
Entre liberté d’expression et accusation de blasphème
Les faits remontent à la fin du mois de juillet 2025, lorsque Lachgar publie la photo litigieuse. Quelques jours plus tard, l’ancien ministre de la Justice, Mustapha Ramid, appelle publiquement à son inculpation, déclenchant une intense controverse médiatique. Dans la foulée, le parquet engage des poursuites, qui mènent à son arrestation puis à un procès expéditif.
« Allah is a lesbian », pour cette phrase inscrite sur son tee-shirt, la militante marocaine Ibtissam Lachgar a été condamnée à deux ans et demi de prison ferme ainsi qu'une amende d'environ 50 000 dirhams ce mercredi 3 septembre 2025.
Lors de l’audience du 3 septembre, la militante affirme qu’elle n’avait nullement l’intention d’offenser l’islam. Elle précise que la photo avait été prise lors d’une manifestation féministe à Londres, en mai 2025, et non au Maroc. « Le mot Allah n’a pas la même signification selon les religions. Je ne visais pas spécifiquement l’islam. Cette photo s’inscrivait dans une action militante contre le patriarcat et doit être comprise dans le cadre de la liberté d’expression », plaide-t-elle.
Quant à l’expression utilisée, elle insiste : « La lesbianité n’est pas un qualificatif négatif. Bien au contraire, il est employé ici dans un sens positif. »
Selon l’Agence France-Presse, ses avocat.es ont d’ores et déjà annoncé leur intention de faire appel.
Santé fragile et appel à une libération humanitaire
Depuis le début du procès, Ibtissam Lachgar est détenue à la prison d’El Arjat, près de Rabat, où elle a été placée en cellule d’isolement. « Elle est privée de tout contact avec les autres détenues, ce qui aggrave considérablement son état psychologique », dénonce Me Naïma El Klaf, membre de sa défense.
Son équipe d’avocat.es souligne l’absence de justification officielle à cette mise à l’écart. Plus grave encore : la militante souffrirait d’un cancer nécessitant une opération chirurgicale urgente, initialement prévue ce mois-ci. Faute d’intervention, elle risquerait l’amputation du bras gauche, alerte Me Noufal Bâamri, président de l’Organisation marocaine des droits humains.
Pour lui, « son état de santé et sa situation psychologique devraient justifier une remise en liberté provisoire pour raisons humanitaires », avec des alternatives telles qu’une interdiction de quitter le territoire ou une caution financière.
Un cadre légal restrictif
Ibtissam Lachgar a été poursuivie en vertu de l’article 267-5 du code pénal marocain. Celui-ci prévoit une peine de six mois à deux ans de prison et une amende de 20 000 à 200 000 dirhams pour quiconque est reconnu coupable d’« offense à la religion islamique ».
Les sanctions sont renforcées — deux à cinq ans de prison et une amende de 50 000 à 500 000 dirhams — lorsque ces actes sont commis publiquement, par des discours, cris ou menaces dans des lieux publics, ou par tout moyen de diffusion, qu’il soit électronique, écrit, audiovisuel ou numérique.
Solidarité des acteur.ices des droits humains et du féminisme
L’arrestation de la militante a déclenché un vaste mouvement de solidarité parmi les acteurs et actrices des droits humains et du féminisme. Tous réclament sa libération immédiate et inconditionnelle, rappelant que la liberté d’expression est un droit fondamental non négociable.
La Fédération de la Ligue des droits des femmes s’est dite « profondément préoccupée » et a dénoncé « l’arrestation et les intimidations » visant Ibtissam Lachgar. Elle met en garde contre « la régression grave » que représenterait la multiplication des atteintes aux défenseur.ses des droits humains, après des décennies de conquêtes démocratiques au Maroc.
Dans les milieux militants, les avis divergent quant à la stratégie à adopter. Dans un contexte marocain marqué par le poids des normes sociales et culturelles, certain.es craignent qu’un discours trop radical ou provocateur n’entraîne un rejet massif.
Témoignages et critiques
La journaliste marocaine Hajar Raissouni, elle-même poursuivie en 2019 pour « relations sexuelles hors mariage » et « avortement illégal » — accusations qu’elle a toujours contestées et qui avaient suscité l’indignation d’organisations internationales — a pris position en faveur de Lachgar.
Installée aujourd’hui à l’étranger, elle dénonce une « erreur grave et injustifiable », ajoutant : « Se taire face à cette arrestation, revient à normaliser l’usage de l’appareil judiciaire pour réduire au silence les militants. » Et de préciser : « Je n’ai jamais été partisane de répondre à une opinion, même choquante, par la prison ou la privation de liberté. »
Malgré les attaques dont elle a été la cible sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook, Raissouni maintient sa position : « Je continuerai à réclamer sa libération. Nous ne vivons pas à l’époque des tribunaux de l’Inquisition. Qu’a-t-on gagné en emprisonnant Ibtissam ? Quel danger représente-t-elle en exprimant son opinion, fût-ce de manière provocatrice ? »
Débats internes au mouvement féministe
Dans les milieux militants, les avis divergent quant à la stratégie à adopter. Dans un contexte marocain marqué par le poids des normes sociales et culturelles, certain.es craignent qu’un discours trop radical ou provocateur n’entraîne un rejet massif et n’affaiblisse le message défendu.
La journaliste Nora El Foughari, connue pour ses positions franches en faveur des libertés, estime que « le recours à une rhétorique trop frontale entraîne souvent une réaction de rejet et renforce l’opposition des courants conservateurs ». Selon elle, cette affaire « a offert aux islamistes et aux conservateurs l’occasion de relancer une offensive contre les modernistes et les défenseurs des libertés individuelles, consolidant ainsi les stéréotypes négatifs à leur encontre ».
Espoirs déçus et alternatives judiciaires
Le verdict a suscité une vive déception dans les milieux associatifs et parmi les défenseur.ses des droits humains. Beaucoup espéraient un acquittement ou, au minimum, l’application de sanctions alternatives récemment introduites dans le système judiciaire marocain.
Depuis le 22 août 2025, les tribunaux marocains peuvent en effet remplacer certaines peines de prison, notamment dans les affaires délictuelles, par des mesures alternatives : travail d’intérêt général, contrôle judiciaire ou autres formes de sanctions réparatrices. Cette réforme vise à désengorger les prisons et à promouvoir une justice plus conciliatrice.
La condamnation de Lachgar soulève ainsi des interrogations sur la portée réelle de ces réformes et sur la volonté des autorités d’étendre l’usage de ces alternatives aux affaires touchant aux droits fondamentaux et aux libertés individuelles, à l’instar de celle d’ Ibtissem, ‘Betty’ Lachgar.

























