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By Tábata Martín Olea
La migration reste une question centrale dans la politique européenne et en Italie, les questions de citoyenneté et d’identité nationale occupent de plus en plus le devant de la scène. Récemment, deux événements politiques en particulier ont suscité un vaste débat dans tout le pays.
Tout d’abord, les conditions d’accès à la nationalité pour les descendants d’Italiens ont été renforcées. Avant la modification de la loi, l’accès à la nationalité italienne reposait sur le principe du jus sanguinis (droit du sang) : toute personne pouvait y prétendre si elle avait un ancêtre vivant au moment de la création du Royaume d’Italie, le 17 mars 1861. Cependant, selon la nouvelle réglementation, les candidats à la nationalité doivent avoir un parent ou un grand-parent qui est citoyen italien de naissance.
Le deuxième événement est le référendum qui s’est tenu les 8 et 9 juin 2025 pour accélérer la procédure de naturalisation des ressortissants de pays tiers. La réforme proposée visait à réduire la période de résidence ininterrompue requise de dix à cinq ans. Mais seuls 30 % des électeurs italiens ont participé, ce qui est bien inférieur au seuil de 50 % plus un requis pour que le résultat du référendum soit juridiquement contraignant.
« Je suis très déçue »
Vanessa, 34 ans, travailleuse sociale et migrante de deuxième génération dont la mère a quitté le Cap-Vert à l’âge de 16 ans pour travailler comme femme de ménage, nous fait part de ses réflexions sur le résultat du référendum.
« Je suis très déçue », dit-elle. « 1,5 million de personnes auraient pu avoir accès à la nationalité, mais nous n’avons pas réussi à atteindre ce seuil. Je travaille avec une association basée à Rome, QuestaèRoma, qui lutte contre toutes les formes de discrimination, y compris le racisme. Nous avons mené une campagne et organisé des conférences et des ateliers avant le référendum. Je pense que nous devons intensifier nos efforts dans ce sens. J’ai discuté avec des amis pour les sensibiliser à ce sujet, mais ils n’ont pas compris. Ils ne savent pas à quel point c’est difficile [d’obtenir la nationalité italienne]. Ils pensent que c’est quelque chose qui est distribué à la légère, comme un cadeau ».
Vanessa souligne le contraste avec ceux qui obtiennent la nationalité grâce à leur ascendance : « Jusqu’à récemment, il était beaucoup plus facile pour une personne ayant des racines italiennes, même très lointaines, d’obtenir la nationalité que pour une personne ayant vécu ici toute sa vie. »
« Pour nous autres, poursuit-elle, il n’y a que trois façons de l’obtenir : soit vous vivez ici pendant dix ans avant de déposer votre demande, soit vous épousez un citoyen italien, soit vous déposez votre demande à l’âge de 18 ans. C’est ce qu’a fait ma mère ; elle a déposé une demande en mon nom lorsque j’ai eu 18 ans et j’ai obtenu la nationalité à 19 ou 20 ans. On m’a lu mes droits, on a pris mes empreintes digitales, il y a eu une cérémonie d’assermentation et c’est tout. Pour eux, ce n’était qu’une procédure bureaucratique : une routine, presque sans vie. Mais pour moi, c’était quelque chose d’important. J’étais tellement enthousiaste, parce que je pouvais enfin me présenter au monde comme je me voyais : en tant qu’Afro-Italienne ».

« On me propose toujours les mêmes rôles : une immigrée »
En réfléchissant à son enfance en Italie, Vanessa se souvient : « C’était vraiment difficile. Nous avions beaucoup de difficultés financières parce que nous étions seules, ma mère, ma sœur aînée et moi, à vivre avec un seul salaire. Comme ma mère devait travailler de longues heures, ma sœur était souvent prise en charge par des religieuses dans un couvent, et elles ne se voyaient qu’une fois par semaine. J’ai toujours été considérée comme une étrangère en raison de la couleur de ma peau, même si je suis née ici. Lorsque j’étais avec ma mère, les gens pensaient que j’étais adoptée parce que je suis métisse – ma mère est blanche et mon père est noir, ce qui est courant au Cap-Vert. J’ai été victime de racisme à l’école, et le fait de ne pas être citoyenne a rendu les choses encore plus difficiles. Je ne pouvais pas participer à des voyages scolaires à l’étranger ou à des compétitions sportives à cause de mon permis de séjour. »
Aujourd’hui, les difficultés persistent : « J’ai commencé à construire mon identité à 17 ans, mais c’est encore un processus continu. Les gens supposent que je ne parle pas italien ou que je n’ai pas d’éducation, alors que je suis la première personne de ma famille à avoir obtenu un diplôme universitaire et j’en suis fière. J’ai aussi travaillé dans l’industrie cinématographique, mais on me propose toujours les mêmes rôles : une immigrée ou une travailleuse du sexe. Toutes ces expériences m’ont poussée à commencer à lire sur la race, la migration et la justice sociale et elles m’ont permis d’assumer mon identité de femme noire italienne et de remettre en question les récits dominants par le biais de l’activisme ».
« Pour eux, ce n’était qu’une procédure bureaucratique : une routine, presque sans vie. Mais pour moi, c’était quelque chose d’important. J’étais tellement enthousiaste, parce que je pouvais enfin me présenter au monde comme je me voyais ».
Ce sentiment d’exclusion est partagé par Ruth, une femme de 56 ans originaire d'Érythrée qui s’est installée en Italie en 1983 grâce à un visa de regroupement familial. Elle œuvre aujourd’hui à l’intégration sociale et professionnelle des migrant.es au sein de diverses organisations.
« Le processus de citoyenneté est très incohérent »
« J’ai essayé de vivre en tant que citoyenne active, tout en étant pleinement consciente que la couleur de ma peau fait de moi une étrangère. J’essaie de dépasser les attitudes racistes et de me concentrer plutôt sur la construction de relations fondées sur la cohésion et l’harmonie. Mon expérience a été globalement positive : j’ai réussi à construire la vie que je souhaitais, tant sur le plan professionnel que personnel. »
Interrogée sur son processus de naturalisation, elle explique : « Je suis mariée à un Italien. La demande de nationalité a été très simple et très rapide pour moi. J’ai été la première de ma famille à faire cette demande, en 1987. À l’époque, aucune condition particulière n’était requise : il suffisait d’avoir un casier judiciaire vierge. Il n’y a même pas eu de cérémonie d’assermentation à la mairie, ni de décret présidentiel. »
Elle confie que l’expérience a été très différente pour le reste de sa famille. « Mes parents sont arrivés en Italie à la fin des années 1970, au début de la guerre d’indépendance de l'Érythrée. J’ai aussi deux frères et une sœur. Ma mère, mes frères et ma sœur ont déposé leur demande après l’entrée en vigueur de la loi n° 91 sur la citoyenneté en 1992. Bien qu’elle ait résidé plus de 30 ans dans le pays, qu’elle soit propriétaire d’une maison, qu’elle ait un bon revenu et une bonne connaissance de l’italien, il a fallu plus de quatre ans pour que la demande de ma mère soit traitée. Pour l’un de mes frères et ma sœur, cela a pris environ deux ans. Un autre de mes frères a vu sa demande rejetée au bout de quatre ans pour cause de ‘revenus insuffisants,’ alors que le revenu du ménage était largement supérieur au seuil fixé. Il a alors déposé une nouvelle demande, qui a pris environ un an et a été approuvée. »
En repensant à son expérience, elle souligne la nature imprévisible du système. « Le processus de citoyenneté est très incohérent. Il n’y a pas de délais garantis. Deux demandes identiques déposées le même jour peuvent avoir des résultats complètement différents ; tout dépend du hasard. »
L’échec des référendums sur le travail
Interrogée sur le référendum, Ruth partage la déception de Vanessa.
« J’ai fait beaucoup de sensibilisation auprès de mon entourage. J’espérais une victoire du ‘oui,’ mais je n’y comptais pas vraiment. C’est une question importante qui a des implications significatives pour l’Italie et qui devrait vraiment être abordée au Parlement. De nombreux facteurs doivent être pris en compte : le vieillissement de la population, le faible taux de natalité, l'égalité des droits, l’importance de l’intégration sociale et économique et la nécessite de créer une société fondée sur la cohésion et la justice sociale. Malheureusement, les politiques italiens ne veulent pas prendre la responsabilité de modifier la loi sur la citoyenneté de 1992. Mais ce qui me déçoit le plus, c’est l’échec des référendums sur le travail. Les étrangers sont pourtant ceux qui souffrent le plus de l’exploitation, des contrats à court terme et des licenciements démunis d’indemnités. »
Les expériences de ces deux femmes reflètent une vérité plus large : alors que la migration continue de façonner l’avenir du pays, le chemin vers la pleine appartenance à l’Italie reste inégal et incertain pour beaucoup.
Vanessa constate un déséquilibre persistant. « Nous payons des impôts, nous cotisons pour les retraites, nous travaillons. Sans citoyenneté, on est souvent obligé de travailler illégalement pour survivre. L’Italie bénéficie de notre présence. Mais on nous refuse toujours l’accès aux mêmes droits que les autres. »
Pour Ruth, l’accès à la citoyenneté revêt une importance démocratique profonde. « Il vous donne le pouvoir de choisir qui vous gouverne», explique-t-elle. « Dans un pays où l’on parle encore ‘d’ethnies d’origine,’ ce droit semble souvent relégué au second plan.»

























