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Il y a le rouge de la passion, le rouge de l’amour, le rouge de la force et de la puissance. Les symboles du rouge sont tout aussi sublimés que ses nuances : Ecarlate, cerise, pourpre, coquelicot… pourtant une d’entre elles reste à bannir : celle des menstrues.
« Les règles » se disent en chuchotant, dans le secret. On voile le mot, comment on voile le débat autour, qui au-delà de la pudeur, se dissimule par la honte et le tabou. Le rouge des règles entache la liberté et l’émancipation d’une femme. Il regorge de mythes, de croyances et de légendes populaires.
Les menstruations accompagnent la vie d’une femme, elles marquent son passage à l’âge adulte et donc sa capacité à procréer. Ce phénomène pourtant biologique et naturel, peut la conditionner socialement. Dans les régions rurales plus particulièrement, les femmes mènent un combat silencieux.
Qu’est-ce-que la précarité menstruelle ?
La précarité menstruelle désigne la difficulté d’accès aux protections hygiéniques, par manque de moyens et de ressources. Au Maroc, on estime que seulement 30% de femmes auraient accès aux protections. Ce problème met non seulement en danger la santé des femmes qui peuvent développer des infections graves dues à un manque d’hygiène, mais il entraîne aussi la déscolarisation des jeunes filles dans les régions rurales. A cause du manque d’équipements sanitaires dans les écoles et dans l’espace public (et donc de la difficulté à se changer et à se laver), les règles deviennent un véritable handicap pour la mobilité des filles.
Au Maroc, comme partout dans le monde, on commence à peine à lever le voile sur le sujet. Si l’évolution du débat public est considérable ces dernières années, elle ne concerne que les villes. Dans les zones rurales, où les populations sont plus exposées à la pauvreté et peu instruites, le besoin est énorme : il n’y a aucune éducation faite sur le sujet, et surtout beaucoup d’idées reçues. La détresse dans les témoignages de plusieurs jeunes filles est sans équivoque.
« Plusieurs filles m’ont avoué avoir abandonné l’école pour ne pas se faire ridiculiser, après avoir été trahie par une tache de sang en classe. » affirme Rita Sekkat, fondatrice de l’association Happih qui lutte pour la protection de l’hygiène intime. Il y a une fille dont les règles avaient disparu pour revenir quelques années plus tard. Elle s’est fait battre par sa famille qui pensait qu’elle était enceinte ».
La désinformation et le tabou social qui plane sur le sujet des règles contribue tout autant à cette situation de précarité. Et « La précarité, c’est le non-dit » explique Rita Sekkat.
« La précarité, c’est le non-dit » - Rita Sekkat
Le syndrome de la tache rouge : le poids des tabous et des non-dits
« Le sang des règles a toujours été mystérieux dans l’Histoire. Quand un homme saigne, il meurt. Quand une femme saigne, elle donne la vie » pointe Soumaya Naamane Guessous, sociologue marocaine et autrice de l’ouvrage Au-delà de toute pudeur. Ainsi, dans la société marocaine, les règles sont taboues, comme tout ce qui a trait à l’intimité de la femme. Voir une tache de sang est la plus grande des hontes.
Dans l’inconscient collectif, une femme qui a ses règles est impure, voire presque « maudite ». Ce qui explique qu’au Maroc, qu’il est déconseillé à la femme qui les a de pétrir son pain, par exemple, ou d’entreprendre quoi que ce soit puisque ce sera voué à l’échec à cause des menstrues.
Cet imaginaire remonte aussi à l’histoire du monothéisme, et en particulier du judaïsme, très sévère envers la femme qui a ses règles, perçue comme souillante. A cause de ces tabous, les femmes sont très peu informées sur leur corps et leur intimité, considérés comme « hchouma » (Honteux).
« Avant, certaines femmes mariées ne comprenaient pas le sang des règles. Aujourd’hui, au Maroc, les femmes sont mieux informées sur leur intimité. Elles savent ce que sont les règles, avant de les avoir. C’est déjà une grande avancée. » affirme Soumaya Naamane Guessous. « Mais elles ne sont pas préparées. Il faut qu’elles assurent une bonne hygiène pour être à l’aise. Ce qu’elles recherchent, c’est un sentiment de sécurité, le bien-être et la continuité ».
Au Maroc, les initiatives fleurissent en faveur de l’hygiène menstruelle
Si la précarité menstruelle a longtemps été un combat silencieux, aujourd’hui la sonnette d’alarme est tirée : il y a un débat public qui émerge sur le sujet, mais aussi des actions et des initiatives entreprises par la société civile, tels que celles portées par l’association Happih et la plateforme 7achak.
Happih – Humanitarian Action for Protection and Preservation of Initimate Hygiene – a été créé en 2019 par Rita Sekkat, pour lutter contre la précarité menstruelle au Maroc et ailleurs dans le monde : en France, au Brésil... C’est en 2016 que le projet démarre à la base, pour un concours de projets humanitaires étudiants, que Rita monte avec quatre camarades garçons. « A l’époque, il y avait un vrai besoin, personne n’en parlait encore » affirme Rita.
Depuis, l’association a entrepris plusieurs actions, notamment dans des communes rurales et des provinces au Maroc, tels que Ouislane, Al Haouz et Ouled Tayeb. « Il faut faire en sorte que les filles deviennent actrices de leur santé » explique Rita Sekkat
Ces actions se déclinent en deux types : des journées de sensibilisation avec l’intervention de gynécologues, et des ateliers de développement personnel pour déconstruire les tabous et les croyances populaires. Ainsi, les jeunes filles sont accompagnées et écoutées, on leur explique le cycle menstruel, les dysfonctionnements éventuels et le fonctionnement de leur corps. Pendant ses actions, l’association distribue gratuitement des culottes menstruelles qu’elle produit elle-même.
« Il faut faire en sorte que les filles deviennent actrices de leur santé » - Rita Sekkat
Sur les réseaux sociaux, la lutte se fait aussi à travers la sensibilisation : plusieurs pages instagram abordent librement les causes du féminisme et des libertés individuelles au Maroc. 7achak s’impose comme la plus influente.
7achak en arabe dialectale est un mot utilisé pour désigner quelque chose de répugnant, notamment les règles. Lancé en 2019 par les activistes Sarah Benmoussa et Yasmine Lahlou, 7achak est d’abord un mouvement pour briser les tabous autour de la femme marocaine, qui s’est vite doté d’une page facebook.
« Notre objectif est de libérer la parole sur les menstruations, de démocratiser le sang des règles, d’éduquer et d’accompagner les femmes » affirme Sarah Benmoussa, co-fondatrice de 7achak.
Depuis son lancement, la plateforme organise plusieurs évènements, conférences, et actions. A Casablanca, elle a invité l’artiste Samy Snoussi pour réaliser une grande fresque murale peinte à partir de nuances de rouge : « La trace humaine ». Une manière de crier sur les murs ce que l’on dit tout bas, précisément à travers la palette des rouges.
La plateforme a réalisé aussi un clip de sensibilisation qui tourne à la dérision les métaphores populaires utilisées au Maroc pour parler des règles. Plus récemment encore, une journée a été organisée à l’Orphelinat Dar Lamima de Casablanca pour distribuer des culottes menstruelles à 300 jeunes filles issues de régions rurales. Pendant cette journée, des gynécologues ont accompagné les jeunes filles pour leur expliquer le cycle menstruel, le fonctionnement et l’hygiène.