Cette publication est également disponible en : English (Anglais)
Le 25 novembre est la journée mondiale contre la violence à l'égard des femmes, un phénomène préoccupant en Europe, où un tiers de la population féminine a subi une agression physique et/ou sexuelle et 75% a été victime de harcèlement au travail.
Le Parlement de Bruxelles a récemment proposé d'inclure la violence à l'égard des femmes parmi les crimes reconnus par le droit de l'Union européenne, au même titre que la traite des êtres humains, le trafic de drogues et d'armes, la cybercriminalité et le terrorisme. Le texte, approuvé par 427 voix, dénonce le féminicide comme la forme la plus extrême de violence fondée sur le genre et constituera la base juridique pour l'application des normes de la Convention d'Istanbul1 dans tous les États membres.
Le dernier rapport du Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, chargé de surveiller sa mise en œuvre en Italie, demande instamment au gouvernement italien de prendre des mesures plus efficaces. Parmi les 247 homicides enregistrés dans le pays depuis janvier 2021, 103 concernent des femmes, 87 d'entre elles ont été assassinées par leur conjoint, leur compagnon ou leur ex. La Direction Centrale de la Police Criminelle confirme que les récents confinements ont aggravé la situation jusqu'à parler d'une double pandémie : « épidémiologique et de violence ».
En 2020, les appels au numéro d'utilité publique contre les violences et le harcèlement (1522) ont augmenté de 79,5% par rapport à 2019, avec un pic entre avril (+176,9%) et mai (+182,2%). La moitié des appels proviennent de femmes qui souffrent depuis des années et neuf cas de violence sur dix ont lieu à leur domicile, principalement dans le Latium, la Vénétie, la Sicile, la Sardaigne et la Lombardie.
Selon la directrice de l'Institut national des statistiques, Linda Laura Sabbadini, moins de 10 % des victimes dénoncent les violences qu'elles ont subies. Les autres victimes gardent le silence pour ne pas mettre en danger la famille (22%), parce qu'elles ont peur de leur agresseur (21%) ou parce qu'elles n'ont aucun endroit où aller (7%).
Une étude menée par trente associations de femmes identifie le manque de centres antiviolence comme un facteur de risque sérieux. Rome, qui compte plus de 4 millions d'habitants, ne dispose que de 25 lits pour accueillir les femmes fuyant des situations dangereuses : selon les normes de la Convention d'Istanbul, il devrait y en avoir 300. De plus, les quatre centres d'accueil existants n'offrent qu'un hébergement de six mois, mais les expertes disent qu'il faut au moins un an pour reconstruire une vie et une indépendance économique.
Tout en comblant les graves lacunes créées par des politiques sociales insuffisantes et inadéquates, les structures autogérées sont souvent mises en difficulté par les institutions mêmes. C’est ce qui est arrivé à la Casa Internazionale delle Donne et à Lucha y siesta, deux symboles importants du féminisme romain et de la lutte contre la violence de genre. Menaçant de les expulser afin de transformer leurs murs en revenus et de combler le déficit du budget municipal, l'ancienne maire Virginia Raggi n'a pas reconnu la valeur des services, ni des activités sociales et culturelles menées dans ces espaces. Ces lieux, précisément en raison de leur vocation bénévole, n'auraient jamais pu faire face aux loyers exorbitants qui leur étaient imposés. Après des années de lutte, les féministes romaines célèbrent deux victoires importantes et imaginent ensemble un nouvel avenir pour la ville, qui redeviendra enfin un lieu pour toutes.
La moitié des appels proviennent de femmes qui souffrent depuis des années et neuf cas de violence sur dix ont lieu à leur domicile, principalement dans le Latium, la Vénétie, la Sicile, la Sardaigne et la Lombardie.
La Casa Internazionale Delle Donne : d'une ancienne prison pour femmes à un symbole de liberté et d'autodétermination
Née comme prison carmélite pour les femmes laïques pendant la Contre-Réforme, puis transformé en monastère, le bâtiment du Buon Pastore a été pendant des siècles un lieu exemplaire de la subordination féminine à Rome. Des milliers de femmes y ont été emprisonnées pour avoir transgressé l'orthodoxie catholique et ont été forcées de se soumettre à une "repentance" rigoureuse, accompagnée de mortifications physiques et psychologiques. Lorsqu'en 1983, la Municipalité donne une partie de la structure au mouvement féministe, qui avait été évacué du siège historique de la rue del Governo Vecchio, la possibilité de transformer ce bastion du patriarcat en un symbole de liberté et d'autodétermination féminine suscite un profond enthousiasme. Une résolution ultérieure attribue une partie de la structure à l'association catholique de Sant'Egidio, ouvrant une phase de durs conflits entre les militantes, déterminées à occuper les lieux, et le Vatican.
Rome, qui compte plus de 4 millions d'habitants, ne dispose que de 25 lits pour accueillir les femmes fuyant des situations dangereuses : selon les normes de la Convention d'Istanbul, il devrait y en avoir 300.
Les fonds accordés pour le Jubilé ont finalement permis de restaurer le bâtiment, qui était dans un état de dégradation totale, mais le conflit avec le Vatican menaçait de tout arrêter. « Le jour où Monseigneur Paglia est arrivé pour examiner l’édifice, une distribution de dépliants sur les crimes de l'Eglise catholique contre les femmes et une séance de tambour avaient été organisées dans la rue. Il a compris que la coexistence ne serait pas facile », se souvient en souriant Pasqualina Napoletano, « Mère constituante » de la première assemblée des électrices.
Dès ce moment, l'espace a promu des centaines de luttes, de mobilisations, d'événements sociaux et culturels, comme en témoigne « Herstory : I luoghi delle donne » (Sonhistoire: Les lieux des femmes), les riches archives conservées par Giovanna Olivieri et Valeria Santini, qui ont également été convertie en une application qui cartographie toutes les réalités féministes de Rome et du Latium.
Pendant les dures années de négociations avec la municipalité, des manifestations continues ont été organisées, mais la situation ne s'est débloquée que grâce aux décrets liés à l'urgence économique causée par la pandémie. Ceux-ci comprenaient des mesures pour le tiers secteur et en particulier pour les associations de femmes. Le gouvernement a immédiatement reconnu la valeur historique, sociale et culturelle des activités menées par la Casa. En plus d’une somme pour aider à rembourser les dettes accumulées, évitant ainsi sa fermeture, le bâtiment a récemment bénéficié d'un prêt gratuit pour les 12 prochaines années.
« Malheureusement, l’ancienne maire, Virginia Raggi n'a pas reconnu l'importance de ce lieu, comme l'ont fait au contraire Gualtieri, (ex ministre de l'Économie et aujourd’hui maire de Rome, ndlr), et le parlement. Il ne suffit pas d'être une femme, encore faut-il être féministe », déclare Maura Cossuta, actuelle présidente de la Casa.
L'heureux dénouement de l'histoire a été célébré le 13 novembre dans le lieu historique de Trastevere lors d'un événement public avec de nombreux invités. « Nous avons identifié trois thèmes sur lesquels nous nous engageons pour l'avenir. Tout d'abord, l'environnement et la crise climatique parce que, aujourd'hui plus que jamais, il est urgent d'opérer une révolution dans la prise en charge de la planète, du monde et de la société. Ensuite, les lieux des femmes et les biens communs, sans lesquels la force du féminisme serait nulle. Enfin, la confrontation avec les institutions.»
« L'une des choses les plus extraordinaires de ce lieu est précisément le rapport entre conflit et rencontre qu'il a su construire avec la ville de Rome, avec ses femmes, avec ses quartiers, et nous l'avons vérifié même quand nous nous sentions en difficulté parce que la ville a répondu, elle est venue au Campidoglio avec nous, elle nous a fait sentir sa présence », affirme Giulia Rodano, activiste et politicienne. « Nous espérons que la Casa a ouvert une porte par laquelle d'autres et d'autres encore pourront passer ». En effet, il existe encore de nombreuses réalités menacées de fermeture à Rome, comme Esc Atelier, un espace autogéré par des militants et des collectifs universitaires, et Communia, un laboratoire social d'auto-organisation et d'entraide. Tous deux ont jusqu'à présent fait preuve d'un grand courage et d'une grande détermination, mais combien de temps encore pourront-ils résister ?
« Il est évident que nous devons tourner la page par rapport à une vision myope et étroite uniquement axée sur les aspects économiques et financiers, mais je dirais aussi antiéconomique, car la théorie, selon laquelle il est erroné de mettre à disposition des activités sociales des biens qui sont souvent indisponibles, est vraiment fausse. Nous travaillerons à une politique de biens communs qui contribue à renforcer les rapports sociaux », rassure le maire récemment élu Gualtieri, qui s'est exprimé lors du débat, avant d’ajouter : « On ne peut pas ne pas être féministes aujourd'hui, si on veut construire une ville capable de faire face aux défis de notre temps ».