Le 19 juillet 2025, l’État algérien a adopté une réforme sociale historique : la loi n° 25-08, issue des orientations du Conseil des ministres du 9 février. Elle modifie en profondeur la loi n° 83-11 de 1983 sur les assurances sociales.
150 jours de congé maternité, un tournant social en Algérie
Le congé de maternité devient un pilier de la politique de protection sociale : sa durée passe de 90 à 150 jours, entièrement indemnisés à un taux de 100% et pouvant débuter 42 jours avant l’accouchement, sans réduction en cas de naissance prématurée.
La réforme introduit deux prolongations remarquables : 50 jours supplémentaires pour les naissances d’enfants handicapés, malformés ou gravement malades, sur dossier médical validé et jusqu’à 165 jours additionnels, également indemnisés, pour les cas nécessitant un accompagnement prolongé.
Un service numérique « El Hanaa » permet désormais de déclarer et suivre son congé en ligne, tandis que plus de 270 conventions ont été signées entre la Caisse nationale des assurances sociales (CNAS), la Caisse nationale de sécurité sociale des non-salariés (CASNOS) et des cliniques d'obstétrique pour faciliter les accouchements via le tiers payant.
Cette réforme consolide les droits des mères et marque un pas vers une protection plus équitable et universelle. Mais certaines failles juridiques persistent.
Une lettre ouverte des féministes pour un droit sans exclusion
Le 5 mars 2025, en plein débat public et parlementaire précédant la réforme, plusieurs organisations féministes ont adressé une lettre ouverte au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale. Leur appel, à la fois juridique et politique, visait à attirer l’attention sur une faille majeure du dispositif de protection de la maternité : l’article 32 du décret exécutif n° 84-27, dont l’interprétation restrictive prive encore de nombreuses femmes travailleuses de leurs indemnités de congé de maternité.
Dans leur texte, les militantes dénoncent une situation absurde : une simple absence non rémunérée, même autorisée par l’employeur, peut être considérée comme une « rupture de la relation de travail » et entraîner la perte totale des droits liés à la maternité.
Une logique punitive en totale contradiction avec la loi n° 83-11 sur les assurances sociales et avec les conventions internationales ratifiées par l’Algérie, notamment la Convention n° 3 de l’Organisation internationale du travail sur la protection de la maternité.
« Il est injuste qu’une femme perde son congé maternité indemnisé pour une absence de quelques jours », écrivent-elles, dénonçant une double peine : perte de salaire, puis exclusion du système de sécurité sociale.
Une simple absence non rémunérée, même autorisée par l’employeur, peut être considérée comme une « rupture de la relation de travail » et entraîner la perte totale des droits liés à la maternité.
La lettre recommande une révision urgente de l’article 32, afin que la seule condition ouvrant droit à l’indemnisation soit l’existence d’un emploi six semaines avant la date prévue de l’accouchement, comme le prévoit la loi. Elle appelle également à harmoniser la sécurité sociale avec le Code du travail et la fonction publique, pour mettre fin aux contradictions juridiques qui entretiennent les discriminations.
Le document a été officiellement transmis au Parlement, à la Commission du travail et de la sécurité sociale de l’Assemblée populaire nationale, ainsi qu’aux ministères de la Solidarité nationale et de la Justice, dans l’espoir de voir la question examinée dans le cadre de la réforme globale du droit social.
Huit mois plus tard, aucune réponse officielle n’a encore été apportée. Pour les militantes, cette absence d’écho ne traduit pas un désintérêt, mais plutôt la lenteur d’un appareil administratif encore marqué par des pratiques anciennes. Elles rappellent cependant qu’aussi ambitieuses soient-elles, les réformes resteront incomplètes tant que ces textes anciens et inéquitables ne seront pas révisés.
Sur le terrain : de nombreuses zones grises
Si la réforme du congé de maternité marque une avancée incontestable sur le plan juridique, sa mise en œuvre révèle encore de nombreuses zones d’ombre.
Dans plusieurs provinces (wilayas), des femmes témoignent de procédures inégales et de refus injustifiés. Certaines se voient réclamer des pièces absentes du Code du travail : une fiche familiale, impossible à fournir pour les mères célibataires, ou un certificat d’accouchement hospitalier exigé aux mères adoptantes et à celles qui ont accouché en dehors d’un établissement de santé ; conditions non prévues par la loi.
Pourtant, le texte est clair : il parle de « femmes travailleuses », sans mention de statut marital ni de maternité biologique. En pratique, cette précision essentielle est souvent ignorée : les mères célibataires et adoptantes, assurées et cotisantes, restent exclues de leurs droits les plus légitimes, prises dans des démarches où la maternité n’existe qu’à travers le mariage ou l’accouchement biologique.
Pour Atiqa Belhacene, cofondatrice de l’initiative Dépression Post-Partum DZ, cette contradiction révèle une vision encore partielle du droit à la maternité : « La prolongation du congé est un pas en avant, mais elle reste pensée autour de l’enfant. Le débat officiel a parlé du bébé malade, pas de la santé physique et mentale des mères. Le corps, la fatigue, la dépression post-partum : tout cela reste invisible dans la loi comme dans la pratique. » Elle alerte aussi sur un risque d’assignation genrée du soin : « En liant la prolongation à l’état du nouveau-né, on renforce l’idée que la charge du soin revient exclusivement aux femmes. Ce n’est pas un congé parental, c’est un congé maternel, centré sur la disponibilité des mères. »
Les mères célibataires et adoptantes, assurées et cotisantes, restent exclues de leurs droits les plus légitimes, prises dans des démarches où la maternité n’existe qu’à travers le mariage ou l’accouchement biologique.
Sur le terrain, ces contradictions se traduisent par une inégalité d’accès aux droits : selon la commune, l’entreprise ou le secteur, certaines salariées sont indemnisées, d’autres non. La réforme a changé la loi ; il reste à changer la culture administrative.
L’ouverture économique et le recul silencieux des droits des mères travailleuses
Pour comprendre les inégalités actuelles, il faut revenir sur un tournant majeur : l’ouverture économique de 1989, qui a bouleversé le modèle social algérien. Avant cela, le Code du travail garantissait des droits uniformes aux femmes salariées : congé maternité, heures d’allaitement et stabilité de l’emploi étaient des acquis collectifs, issus du projet socialiste d’après-indépendance.
Avec la libéralisation et l’essor du secteur privé, ces garanties ont été décentralisées : les conventions collectives ont remplacé la loi, laissant place à une gestion arbitraire des droits liés à la maternité. Le droit à deux heures d’allaitement, autrefois automatique, est devenu négociable, parfois supprimé, souvent ignoré, dépendant du bon vouloir des employeurs, majoritairement masculins.
Cette dérégulation a créé une fracture silencieuse : les salariées du public restent protégées, celles du privé doivent revendiquer individuellement leurs droits. Les mères adoptantes en sont presque toujours exclues : leur maternité, reconnue socialement, ne l’est ni juridiquement ni professionnellement. Résultat : les femmes demeurent tributaires du pouvoir patronal, et la maternité, autrefois droit collectif, est devenue une faveur conditionnelle, vidant de sens l’idée d’égalité réelle au travail.
Lutte pour une parentalité partagée
Interrogé sur l’éventualité d’un congé de paternité, le ministre du Travail Fayçal Bentaleb a tranché : « Les hommes doivent aller travailler pour subvenir aux besoins de leur famille. »
Une phrase qui a immédiatement divisé l’opinion. Pour certains, elle illustre une vision rétrograde qu’il est urgent de dépasser : la femme ne peut plus être seule à porter la charge du soin. Un congé de paternité serait un pas vers une égalité réelle, où les responsabilités familiales se partagent enfin.
D’autres, au contraire, ont approuvé ces propos, estimant qu’un tel congé serait inutile tant que les hommes, dans la majorité des foyers, ne participent ni à l’éducation des enfants ni aux tâches domestiques.
Entre ces deux visions, les revendications féministes restent constantes : réviser l’article 32 du décret 84-27, reconnaître les mères célibataires et adoptantes, rétablir les heures d’allaitement et intégrer la santé mentale post-partum dans les politiques publiques.
Au-delà de la durée du congé, l’enjeu est clair : transformer la culture du soin et du travail pour que la parentalité devienne un droit partagé, et non une charge féminine éternelle.

























