Il y a celles que nous chantons à tue-tête les soirs de fête entre copines, celles que nous murmurons aux paysages, celles qui égayent les murs de nos maisons et nos gestes du quotidien, celles qui donnent de l'élan et celles qui déclenchent séismes et raz de marées. Dans notre playlist méditerranéenne et féminine, vous retrouverez un peu de toutes celles-là. Des musiques féministes, car même si elles ne sont pas toujours présentées comme telles, elles font écho, d'une façon ou d'une autre, à nos combats pour l'égalité des droits, nos désirs de libertés, nos luttes contre toutes formes de discriminations de genre et de violences sexistes.
« Avez-vous écouté la moudawana, ou bien je vais vous en parler moi ?»
Moudawana, sortie en 2004, est la première chanson féministe que Salma Chatt, journaliste marocaine dit avoir comprise : « Je dansais dessus, avec toute mon énergie pendant les réunions familiales, comme si c'était juste une chanson entraînante. Mais au fond, je sentais quelque chose de plus fort, une sorte de fierté. Comme si, à travers cette chanson, la loi me donnait une valeur. » Le code du statut personnel marocain (moudawana) existe depuis 1958, mais sa réforme en 2004 constitue une étape importante pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Parmi les révisions du texte à cette date : l'âge minimum légal pour le mariage est élevé à 18 ans, l'obéissance de l'épouse à son mari est supprimée, la famille est placée sous la direction des deux parents. « Avez-vous écouté la moudawana, ou bien je vais vous en parler moi ? », répète dans un refrain festif et entêtant la chanteuse star Najat Aatabou, née dans les années soixante. Deux décennies plus tard, alors qu'un nouveau projet de réforme est en cours depuis décembre 2024, son tube reste toujours aussi populaire.
Des musiques féministes, car même si elles ne sont pas toujours présentées comme telles, elles font écho, d'une façon ou d'une autre, à nos combats pour l'égalité des droits, nos désirs de libertés, nos luttes contre toutes formes de discriminations de genre et de violences sexistes.
L'actualité est aussi source d'inspiration pour l'autrice, compositrice et interprète française Suzane. Au printemps 2025, quelques mois après le procès retentissant des dizaines d'hommes qui ont violé Gisèle Pélicot, l'artiste trentenaire dénonce les violences sexuelles et sexistes avec Je t'accuse. « Le procès Pélicot a contribué a libérer ma parole », affirme à la presse Suzane, qui dévoile dans cette chanson avoir elle-même été victime de viol dans un cadre professionnel. « Justice, est-ce qu'on doit te faire nous-même ? […] Pourquoi t'es jamais là quand on n'croit plus qu'en toi ? », clame-t-elle, questionnant ainsi l'efficacité de la justice et les moyens dont elle dispose pour condamner ces crimes.
« Je suis fille de la tempête »
La Niña (de son vrai nom Carola Moccia) a une colère qui ne tarit pas. Originaire de Naples, la chanteuse et compositrice italienne s'appuie sur toute la force que dégage la musique traditionnelle de sa région natale pour retransmettre sa fureur d'être avec figlia d'a' tempesta (fille de la tempête, sortie en 2025). La puissance du chœur féminin qui l'accompagne amplifie la teneur de ses mots. « Femmena ′e nie', femmena ′e nie', femmena ′e niente Femme et rien, femme et rien, femme et rien Paura 'e nie′, paura 'e nie', paura ′e niente Peur et non, peur et non, peur et rien », martèle-t-elle. Chaimae Zouhiri, éditrice web de Medfeminiswiya basée en Italie voit dans cette chanson « un véritable manifeste d'autodétermination », qui lui donne « de l'énergie et du courage ». Et preuve que cet hymne à la liberté dépasse largement les frontières de sa région, La Niña confie dans une interview avoir reçu de nombreux messages de femmes de différents pays méditerranéens : « Une jeune Turque m'a écrit pour me dire que la chanson semblait parler de filles mariées très jeunes. »
« Je dansais dessus, avec toute mon énergie pendant les réunions familiales, comme si c'était juste une chanson entraînante. Mais au fond, je sentais quelque chose de plus fort, une sorte de fierté. Comme si, à travers cette chanson, la loi me donnait une valeur. »
Cette colère est un moteur pour nombre d'artistes femmes et elles l'expriment de mille façons. La rappeuse italo-égyptienne Lella Fadda joue sur plusieurs registres dans Tarat tarat tat (2025) : des paroles incisives et une voix doucereuse. Non sans laisser transparaître sa lassitude, la compositrice liste les nombreuses injonctions, fruits de la domination masculine, qui pèsent sur les femmes : « Je dois écouter des mots qui me tuent, je ne devrais pas penser à autre chose que le mariage, je dois demander la validation de ma tenue... » Les internautes font preuve d'admiration dans les commentaires Youtube de sa performance pour le COLORSxSTUDIOS. Du courage, il en faut toujours pour les artistes engagées. Même si elles font danser les foules, parce qu'elles existent et dénoncent, elles prennent le risque d'être exposées à la violence, notamment le harcèlement en ligne.
« Je veux voler et personne ne peut me couper les ailes »
Qui peut nier le pouvoir de la musique ? Wafaa Khairy, journaliste égyptienne, se souvient très bien dans quelles circonstances elle a écouté pour la première fois Min Li Byekhtar (Qui choisit, sortie en 2017) de la chanteuse libanaise Hiba Tawaji. « J'étais aux Pays-Bas et c'était ma première fois en Europe. J'ai rencontré un jour à la gare, une saoudienne qui venait de fuir son pays pour échapper à sa famille et des violences. Elle avait expliqué à sa sœur son plan et la dernière chose qu'elle lui a envoyé au moment du décollage, c'était cette chanson. », raconte Wafaa. Un témoignage qui l'a bouleversé, alors même qu'elle aussi était en quête de liberté à ce moment-là. « Personne ne peut me couper les ailes […] Je chante le rêve dans mes chansons, Personne ne peut m'effacer, Et la force en moi me protégera », chante Hiba Tawaji de sa voix de diva, pour elle et toutes celles qui aspirent à prendre leur envol.
La playlist complète de la rédaction est à retrouver sur Spotify et à écouter sans modération !

























