Sur la petite et pittoresque île de l'archipel vénitien, célèbre dans le monde entier pour sa magnifique production de verre, dans un contexte profondément lié à la tradition et qui considère cet artisanat comme l'apanage exclusif des hommes, l'atelier des artisanes verrierres constitue une nouveauté absolue et un défi courageux et passionnant.
Malgré un contexte très traditionaliste qui considère cet artisanat comme exclusivement masculin, Chiara Lee Taiarol a réussi à réaliser son rêve. Amoureuse du verre depuis toujours, cette jeune milanaise de mère américaine et d'origine vénitienne, ayant étudié à l'Académie des beaux-arts de Brera, a tenté à plusieurs reprises d'apprendre cet art ancien dans les ateliers de Murano, mais sans succès.

La seule école qui dispense aujourd'hui les rudiments du métier, l'Abate Zanetti, n'existant pas encore à l'époque, elle s'envole d'abord pour l'Australie, puis pour Seattle, où elle travaille dans le secteur du verre pendant une dizaine d'années.
De retour en Italie, elle tente à nouveau d'intégrer l'atelier d'un maître local mais, à de rares exceptions près, elle se heurte à une mentalité rétrograde qui ne prévoit pas vraiment la possibilité pour une femme de s’emparer du dur métier du four. Mais pour elle, ce qui prime dans ce métier, c'est avant tout l'idée et l'intelligence, pas la force, et en cela aucune femme n'est inférieure à ses collègues masculins.
Ainsi, depuis le 1er janvier 2021, malgré les énormes difficultés liées à la pandémie, Chiara a ouvert El Cocal, qui signifie "mouette" en vénitien, un petit atelier artisanal dans le centre historique de l'île où elle fabrique des objets en verre avec son amie et associée Mariana Oliboni, musicienne, et une jeune fille de Murano qui a rejoint leur duo depuis peu.

“Pourquoi ai-je choisi le verre ? En fait, c'est lui qui m'a choisie, déclarait-t-elle dans les média peu après l'inauguration de son atelier. J'ai essayé de nombreux matériaux, mais le verre a une force particulière : quand vous travaillez avec lui, vous devez être présente. Il faut le respecter, il est vivant. D'une certaine manière, il m'a permis de vivre pleinement ma vie."
“Travailler au four entre femmes est une expérience unique : on partage des idées, on travaille en équipe et on se détend avec quelques sourires de complicité et de satisfaction”, écrivent les artistes sur leur profil Facebook, où apparaissent de nombreuses photos de leur créations faites main au cours de ces deux années d'activité. Lustres, verres, vases, porte-objets, mais aussi sculptures, éléments de design et installations d'art contemporain aux formes sinueuses et aux couleurs vives.
“La femme est la figure que nous avons toujours voulu mettre en valeur dans notre collection, à travers des statuettes inspirées de l'antiquité et des parties du corps féminin”, expliquent-elles dans un autre post.
Mais El Cocal est aussi, et sans doute avant tout, un atelier expérimental qui mélange différentes formes et différents langages, comme l'artisanat et la musique. C'est de cette fusion inhabituelle qu'est née la série d'instruments en verre pouvant être joués à l'aide d'appareils électroniques, sur laquelle Chiara et Mariana ont travaillé assidûment ensemble.
"Nous avons besoin de développer, de divulguer, expliquent les deux partenaires. Autrefois, il y avait beaucoup de fours en activité ; aujourd'hui, leur nombre a fortement diminué, seulement peu de jeunes, presque tous des hommes, y travaillent.”
Les "verrières rebelles", comme on les appelle sur l'île, s'acquittent de cette mission avec brio et compétence, dans une aventure artisanale exclusivement féminine, très respectueuse de la tradition et animée d'un profond désir de partage avec d’autres artisan.ne.s.
Leur objectif dans l'avenir est de collaborer avec des artistes internationaux afin de diffuser dans le monde entier ce métier séculaire qui continue d'enchanter avec ses créations d'une beauté et d'un éclectisme extraordinaires.