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Pour ce travail, la cinéaste a cédé la place à la journaliste pour restituer un pan de la mémoire collective. « Avant je disais les paroles s’envolent et les images restent, comme je ne pouvais plus fixer ces images je suis revenue aux paroles, à l’écrit. J'étais exilée en France mais j’allais en Algérie pour filmer. Malheureusement la censure, les difficultés de production et de distribution m’ont empêchée de réaliser un produit visuel fini. Mais quand on a des choses à dire on ne doit pas se taire. Nous devons témoigner sur l’islamisme qui n’est pas vaincu nous devons témoigner pour ceux qui se sont battus pour la République, ceux qui nous ont accompagnés, ceux avec qui j’ai milité, ceux qui sont partis.
Femme, journaliste, réalisatrice, actrice et témoin privilégiée, je choisis désormais d’écrire et d’apporter ma contribution à une histoire vivante en puisant dans nos luttes, notre résistance. Je dis et décris l’arbitraire du Pouvoir avec ses lots d’enlèvements, de séquestrations, de tortures, d’assignations à résidence, d’emprisonnements, de révoltes d’étudiants, de lycéens ou de paysans, la censure et l’interdit, la contestation, la solidarité, la montée de l’islamisme politique, la riposte pacifique ou armée, l’engagement des femmes. J’évoque mon pays avec mes mots, mes connaissances et mon engagement. »
C’est en ces termes que Hourria Saïhi se présente et introduit son ouvrage Une femme algérienne. Au fil de la résistance, j’écris ton nom. Ce document de près de cinq cents pages ne témoigne pas uniquement du parcours de militante de la démocratie de Hourria mais de celui de nombreux algériens de toutes les catégories sociales dans leur résistance à l’arbitraire du pouvoir algérien depuis les premières années de l’indépendance puis à l’islamisme politique et à la violence de ses groupes armés.
Hourria appartient à la génération post indépendance qui a grandi sous le régime autocratique du président Houari Boumédiene, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en 1965. Colonel de l’armée de libération nationale, il avait imposé à marche forcée la reconstruction du pays à coups de révolutions agraire, industrielle et culturelle. Ce modèle stalinien à la mode algérienne s’est accompagné d’une répression brutale de l’opposition et du musellement de la société confiés à la redoutable Sécurité Militaire ( services de renseignements d’alors). Plusieurs partis clandestins se créent alors dont le PAGS (Parti d’avant-garde socialiste ) en janvier1966.
Hourria « pagsiste » comme on dit à Alger, recueille dans son livre les récits de ses camarades sur ces années terribles » qui ont redonné à l’Algérie sa place dans l’ordre mondial mais qui ont fait le lit d’autres périls, l’islamisme politique et la corruption. Hourria dans les années 1970 rêve de justice sociale, de paysans heureux, d’artistes libres et d’étudiants engagés. La troupe de Kateb Yacine chante l’Internationale sur scène, les jeunes débattent dans les ciné clubs et le cinéma algérien produit de grandes oeuvres. En 1975, elle part en URSS pour ses études de cinéma. Elle y apprendra son métier et militera dans les organisations estudiantines communistes.
Notre printemps arabe, rouge de colère, noir de souffrance
Quand elle reviendra à Alger, les choses ont changé. Le nouveau président est un dandy, un militaire de carrière, qui livre le pays au tentaculaire FLN, le parti unique. Chadli Bendjedid pour asseoir sa politique libérale démantèle les entreprises publiques, jette en prison les cadres intègres alors que la corruption se généralise dans les rouages du système. Les opposants sont pourchassés, arrêtés, torturés comme ils le racontent dans leurs déclarations à Hourria. Le pays est à bout de souffle jusqu’à l’implosion d’octobre 1988. Les Algériens en majorité des jeunes descendent dans la rue.
Octobre 88 écrit Hourria, « c’est notre printemps arabe, rouge de colère, noir de souffrance ». Des morts dont un journaliste, des arrestations et la torture encore comme le révéleront les rédacteurs du Carnet Noir d’Octobre 88. Les islamistes se saisissent de cette opportunité pour afficher leur projet. Désormais il faudra compter avec eux. Toutefois les sacrifices d’Octobre 1988 n’ont pas été vains, en 1989 l’Algérie a une nouvelle Constitution consacrant enfin la liberté de presse, le droit syndical et le multipartisme. Des partis comme le PAGS sortent de la clandestinité et des journalistes fondent leur propres journaux. Un vent de liberté souffle sur le pays. Les islamistes créent aussitôt leurs partis, donnant ainsi un cadre légal à leur mouvance déjà bien présente.
L’Histoire s’accélère alors. Le Pouvoir pour assurer sa survie et les interêts de sa clientèle laissera le champs libre à l’idéologie islamiste jusqu’à ce qui sera appelée la décennie noire. Hourria rend hommage aux milliers de victimes des groupes terroristes islamistes. Comme tous les démocrates, comme tous les « pagsistes » elle a été forcée de vivre dans la clandestinité parce que menacée de mort par les terroristes, à mettre entre parenthèses sa vie de mère et de femme pour survivre.
Les démocrates algériens ont payé un lourd tribut à leur résistance aux groupes armés islamistes mais les rescapés ne savaient pas que la fin du terrorisme ne déboucherait pas sur l’ère de la démocratie. En 1999, Abdelaziz Bouteflika est « élu » président. Le lobby militaire qui l’a porté au pouvoir découvrira lui aussi la mégalomanie de l’homme et son mépris pour le peuple algérien. Le clan familial Bouteflika érige la corruption en mode de gouvernance et piétinera toutes les valeurs de la république.Le mouvement populaire , le Hirak, de février 2019 mettra fin au règne des Bouteflika. Le Hirak « c’est l’espoir pour ce pays, j’ai vu les jeunes, dans les manifestations, j’ai vu le carré des féministes algériennes ». Pour entretenir l’espoir, pour rendre aux jeunes leur Histoire Hourria Saïhi appelle « à une autre mobilisation autour de la mémoire, pour honorer celles et ceux à qui nous devons notre honneur et notre liberté. »