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Les glaneuses de palourdes de Kerkennah, ces damnées de la mer

Les laggata, les glaneuses de palourdes, pratiquent une pêche à pied dévolue aux femmes de l’archipel kerkennien. Entre exploitation des intermédiaires du labeur des femmes et interdiction de collecte des coquillages par les autorités, elles vivent une situation de plus en plus difficile. Une crise aggravée par les transformations sociales, économiques et écologiques que connait leur île aux reliefs marins insolites en Méditerranée.

Olfa Belhassine Olfa Belhassine
23 juin 2022
dans Explorations, Reportages
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En ce doux mois de mai, à peine débarqué du Loud, le bac qui relie la grande ville de Sfax aux îles Kerkennah, le visiteur est submergé par l’impression de tomber sur un morceau de Polynésie perdu en pleine Méditerranée. Un archipel, situé au sud de la Tunisie, dans le Golfe de Gabès, sauvage et envoutant, largement oublié des cartes touristiques. Un archipel comme un bandeau de 40 km de long et de quatre à 12 km de large, composé de douze îlots inhabités et de deux grandes îles, Gharbi et Chargui, parsemées par plusieurs villages et rattachées entre elles à travers une chaussée romaine. Dès le port de Sidi Youssef, où le bac décharge ses voyageurs défilent des deux côtés de la route allant vers Kraten, à l’autre bout de l’archipel, au-delà des palmiers altiers et parmi les felouques à voile à la forme inaltérée depuis les temps des Phéniciens, d’étranges traçages géométriques. Des haies en palmes en forme de « V ».

Mais où que le regard se pose, la mer reste ici le seul et l’unique horizon. La mer surgit toujours. Insistante. Omniprésente. Obsédante.

Ce sont les pêcheries fixes, qui se vendent, s’achètent aux enchères publiques et s’héritent. Insolite dans les pratiques de la mer ! Grâce à leur judicieuse chambre de capture et à leurs nasses en fibre végétale, ces pêcheries artisanales ou charfiya (1) attrapent mulets, pagres, pageaux, marbrés, mérous, daurades, crevettes…sans porter atteinte au richissime écosystème de l’île et à ses luxuriantes prairies sous-marines de posidonie. Jusqu’à ce qu’un jour les pêcheurs n’introduisent le plastique dans ce mode opératoire, polluent les fonds marins et rompent petit à petit avec un ingénieux équilibre construit au cours des siècles entre les hommes et la Méditerranée. Malgré les apparences, beaucoup de choses changent sur l’archipel : « Avant, le poisson allait vers l’homme. Aujourd’hui ce sont les hommes qui se ruent sur le poisson », résument tristement deux vieux pêcheurs à la retraite, les yeux rivés sur des felouques au repos attachées au port d’El Ataya, côté est de Kerkennah. Tout un écosystème en voie de transformation.

Mais où que le regard se pose, la mer reste ici le seul et l’unique horizon. La mer surgit toujours. Insistante. Omniprésente. Obsédante.

Mer de Bounouma, au loin l'îlot inhabité de Sifnou. Photo Olfa Belhassine

Elles pratiquent la pêche du pauvre

19 mai 2020. 10h du matin. Bounouma, à l’est de l’archipel. A la queue leu leu comme dans une procession, six femmes traversent un paysage plat, quasi lunaire de Sebkhas. Le parfum de la mer et de ses algues se font sentir de loin. Ses transparences se reflètent déjà dans le miroir du ciel. Vaillantes, les femmes, parcourront plus de trois kilomètres pour arriver sur la plage. Un sceau à la main, un sac avec quelques victuailles sur l’épaule et un chapeau enfoncé sur la tête, on les appelle les laggata, les glaneuses. Leurs robes amples, leurs pantalons usés et leurs foulards discrets rappellent étrangement la tenue des ouvrières agricoles du centre-ouest de la Tunisie. Les laggata pratiquent la pêche à pied. La pêche du pauvre. Un gagne-pain saisonnier, destiné aux plus précaires. Un créneau dévolu aux femmes à Kerkennah, démunies de bateaux, d’équipage, de filets et d’autres engins pour la prise au large.

Un faucillon à la main pour seul outil de travail des laggata. Photo Olfa Belhassine

Une canne à la main, l’une d’elles claudique. Mongia (2), 70 ans, a glissé dans la boue et chuté sur un rocher voilà un mois : « Isolée sur les rivages d’Erramla, mes compagnes s’étaient éloignées depuis un bon bout de temps, j’ai dû marcher jusqu’à la route forçant sur ma jambe au point de fracasser mes genoux déjà fragile à forces de rhumatismes chroniques. Heureusement que mon amie, Saida s’est occupée de moi lorsque j’avais ma jambe figée dans le plâtre. La solidarité est une valeur partagée dans la communauté des laggata ».

Mongia avait oublié une des consignes de Sabra, leur chef de groupe : «  Se déplacer toujours en corps compact pour affronter ensemble les dangereux rodeurs, les chiens et les dragueurs-prédateurs ».

Au temps où cette pêche à pied était autorisée par les autorités, la saison de collecte des palourdes aurait dû être close voilà plus d’un mois. Cependant l’absence de contrôle et l’affaiblissement du rôle de l’Etat post révolution du 14 Janvier, ainsi que la salinisation et la sécheresse des parcelles de terres autour de leurs maisons qu’entretenaient les femmes dans le cadre d’une agriculture de subsistance basée sur l’olivier, le palmier, le figuier, la vigne et l’orge incitent les glaneuses de clovisses (3) à prolonger outre mesure le temps de leur collecte.

« J’étais petite, les commerçants m’humiliaient »

Sabra, 62 ans et deux grands enfants, dont l’un est diplômé chômeur, est  la digne descendante d’une lignée de pêcheurs. Elle a su se révéler ces quatre dernières années comme la dynamique dirigeante d’une unité informelle de commercialisation des coquillages : « J’ai tellement fréquenté la mer, que son sel coule aujourd’hui dans mes veines. Elle a forgé mon caractère et tracé la ligne de ma vie », affirme cette fille et épouse de pêcheur, à la grande stature, les yeux brulés de soleil et la peau zébrée par les paquets d’eau salée reçus à même le visage au gré de sa longue carrière au fil des vagues. Comme beaucoup d’autres femmes de ce site insolite, leur archipel flottant au large de la Méditerrané, au rythme des quatre vents a probablement joué pour elles le rôle d’une école de la liberté.

Née dans le village de Kraten au sein d’une famille nombreuse, à l’âge de dix ans, Sabra quitte l’école pour la grande bleue. Dans son village plus de 60 % des hommes depuis des siècles, des marins : « connaissent la mer en face de leur port comme les paysans connaissent le terroir de leur village» (4). Elle aide alors son père, petit pêcheur possédant une felouque de taille modeste, à capturer mulets, saules, crevettes.

« Les prises à l’époque étaient abondantes, quasi prodigieuses, cependant le poisson était si peu cher. Mon père me forçait à aller vendre la marchandise aux poissonniers. Je lui obéissais malgré moi. J’étais petite et toute menue, on m’humiliait : “ Vous auriez dû faire sécher le poulpe pour qu’il pèse moins sur la balance ! ”, me jetait-on avec dédain. J’acceptais tout pourvu que je revienne avec des subsides nécessaires pour faire tourner le ménage », se rappelle Sabra. Elle ne sait pas encore que ces transactions de la « honte » lui seraient très utiles pour prendre en main et renverser la situation d’exploitation des laggata.

Les palourdes ? Elle en est également une experte puisqu’elle s’est mise à les collecter il y a plus de 35 ans, quelques années après son mariage avec Ahmed, originaire d’un de ces villages de l’est de l’île.

L’été, sous un soleil d’enfer, l’hiver, les jambes dans l’eau glacée

Suivant le calendrier lunaire et pendant les journées de mortes eaux, lorsque la marée se fait basse, Sabra rencontre sur le littoral quelques poignées de femmes, qui récoltent ces coquillages. Certaines sont enceintes, d’autres vieillissantes.

Sur la plage : se méfier surtout des chiens errants et des harceleurs-prédateurs. Photo Olfa Belhassine

A défaut de pouvoir confier leurs enfants en bas âge à une tierce personne, de jeunes mamans ramènent leurs tous petits, dès qu’ils savent marcher, avec elles sur la plage. Premier terrain de jeux des Kerkennien.e.s.

Entre rires et larmes, cris et chuchotements, des enfants qui grandissent en regardant leurs mères fouiller inlassablement le sable, les yeux aveuglés de sueur, à la recherche de leur modeste butin. Le dos plié en deux sous un soleil de plomb et les pieds enfoncés dans la vase jusqu'aux genoux ou l'eau de mer glacée l’hiver, gèle leurs corps au point de le momifier, elles s’attèlent à leur tâche sans relâche, ne s’arrêtant que pour se désaltérer ou manger un peu de pain et d’huile à l’ombre d’un arbre. A la fin de la journée, les femmes vendront  leur marchandise, 3 kilos au maximum en moyenne, aux gachara, les intermédiaires pour les grandes sociétés de conditionnement des coquillages basées à Sfax, qui les attendent sur les quais.

Une intermédiaire mais équitable

Mais voilà que dans les années 90, le succès des palourdes va grandissant dans les restaurants. Le filon est de plus en plus juteux et le produit commence à se voir exporté en devises vers l’Italie en particulier. De plus en plus de commissionnaires s’engouffrent dans la brèche. Cerise sur le gâteau : son prix d’achat chez les femmes ne bouge nullement ne dépassant point les six dinars (2 euros) le kilo jusqu’à l’année 2017.

De haute lutte, Sabra va arracher le marché des palourdes des mains des intermédiaires. Elle raconte la révolution qu’elle a menée sur l’île : « Les intermédiaires nous manquaient de respect en arrivant sur les rivages éméchés, la parole débridée et les yeux pleins à la fois de mépris et de convoitise. Et puis un jour je me suis rendu compte qu’ils revendaient le fruit de notre pénible labeur dix à quinze fois plus cher sur les marchés. Ils nous avaient roulés tout ce temps ! Ils étaient devenus riches à millions sur notre dos. J’ai décidé de prendre les choses en main et suis devenue intermédiaire mais équitable ».

Sabra double le prix d’achat des clovisses n’empochant que 2 dinars (80 centimes) de commission sur le kilo. Ce qui correspond au tarif du transport des clovisses vers les restaurants et l’envoi par jet box des colis vers les adresses des clients de son réseau, de plus en plus étendu.

Des palourdes interdites et collectées au-delà de leur saison règlementaire. Photo Olfa Belhassine

Depuis, toutes les laggata de Kerkennah, travaillant sur les côtes d’El Ataya, Mellita, Ouled Ezzedine, Jouaber, Erramla, Kraten… arrivent chaque jour chez elle, soit près de 300 femmes, pour lui confier leur pêche quotidienne. Chez elle, où malgré les jalousies, chantages et menaces persistants provenant des gachara, elle a aménagé un espace pour stoker, peser les coquillages et tenir le compte de chaque glaneuse afin de les payer selon leur volonté à la fin de la journée ou à la semaine.

Or avec l’avènement de l’année 2020, les autorités sanitaires interdisent le ramassage et la vente des clovisses à Kerkennah. « Parce qu’elles ne répondent pas aux conditions de sécurité alimentaires, constituent un danger pour la santé et afin de préserver cette richesse halieutique en permettant son renouvellement », cite un communiqué officiel publié au milieu de l’année 2020. Le ministère de l’Agriculture, des ressources hydrauliques et de la pêche ne lève pas sa mise en garde ni en 2021, ni en 2022. Le commerce des palourdes devient illégal et les contrevenants risquent gros : deux années de prison et 10 000 dinars d’amende selon la loi. Au grand dam de Sabra et de toutes les autres…

« Les passeurs volent nos fils et nos bateaux »

Peu préoccupées par l’épée de Damoclès qui pèse sur leur avenir, les glaneuses de Bounouma semblent totalement concentrées sur leur travail en cette matinée au ciel limpide, où l’on devine l’îlot Sifnou à deux kilomètres de marche de là à marée basse, une marée à hauteur de bébé (50 cm de profondeur.

La mer restant encore fermée à la baignade, elles n’ont pour seuls compagnons de pêche que les nuées de mouettes affamées, qui remplissent l’azur de leurs cris stridents. Les six laggata sortent de leur sac un faucillon, un morceau de fer denté  d’environ 20 cm de long et 1,5 cm de large à l’aide duquel elles déterrent les palourdes. A marée basse, les fonds se découvrent et les femmes les repèrent, les éjectent du fond de leur habitat grâce aux marques qu’elles laissent en surface, puis les déposent dans un sceau ou un bidon à l’ouverture élargie.

Finies les prises miraculeuses des temps anciens où la pêche artisanale était de mise. Photo Olfa Belhassine

« A force de pollution due à l’exploitation offshore des hydrocarbures et d’utilisation du grand kiss, ce chalutage excessif et non réglementaire, qui ratisse large, la mer n’est plus le vivier que nous avons connu auparavant. Le crabe bleu que nous avons baptisé Daech, une espèce invasive qui détruit et élimine tout sur son passage, les filets de nos hommes et les bans de petits poissons, a infesté nos côtes ces dix dernières années. Pour toutes ces raisons, les pêcheurs-artisans de l’archipel abandonnent ce métier. Et nous, il ne nous reste que les rivages pour subvenir aux besoins de nos familles», déplore la laggata Amel, 52 ans.

D’ailleurs dans un geste symbolique, la communauté des petits raïs, a même organisé dernièrement une manifestation en pleine mer. S’enfonçant jusqu’aux côtes italiennes et menaçant de filer tous vers l’Italie clandestinement, si rien n’était fait pour arrêter les barques à moteur et leur pratiques d’appauvrissement des fonds marins.

Si les ressources halieutiques s’amenuisent à vue d’œil -la disparition de l’éponge marine et la réduction du stock de poulpes qui faisaient la notoriété de Kerkennah le prouvent-, un autre business s’est beaucoup développé entre temps. Celui de la harga (5), les traversées clandestines vers l’Italie située à un vol d’oiseau de Kraten. A l’affut de moyens de transport facilitant leur trafic, les organisateurs de ces périlleux voyages n’hésitent pas à voler les barques des pêcheurs. Lorsque les pêcheurs eux-mêmes ne se reconvertissent pas… en passeurs professionnels.

« Ils prennent nos fils, subtilisent nos bateaux et infestent notre mer de leurs victimes. Un mort vient d’être repêché hier, il git là-bas sur l’îlot en face, à quelques mètres de nous. La mer de Kerkennah devient un macabre tombeau à force de noyades. Elle est hantée, nous n’osons même plus la manger », se lamente une autre glaneuse, Khadija, 40 ans, sans nouvelles de son jeune garçon de 18 ans, parti sans crier gare à bord de l’une de ces barques de la mort, une nuit sans lune du printemps dernier.

Sur l'archipel, le business qui se développe le plus est celui des traversées clandestines vers l'Italie. Photo Olfa Belhassine

Sabra raconte, qu’épuisés la nuit entière à veiller leur felouque, son mari et elle ont fini par la vendre voilà huit ans maintenant. Son époux Ahmed est devenu depuis son bras droit et son fidèle assistant.

« C’est elle, le chef ! », réplique Ahmed, les yeux débordant d’admiration pour sa compagne.

L’autre possibilité de l’île

Ce jour-là, la pêche des six laggata de Bounouma aura été désespérément mince. Trop jeunes pour la vente, la plupart des pièces collectées arborent une taille loin du calibre autorisé par le ministère de l’Agriculture, des ressources hydrauliques et de la pêche, à savoir 3,5 cm. Sabra, elle, sait que son commerce est en péril. Depuis quelques mois, c’est la peur au ventre qu’elle propose sa marchandise enfouie dans un couffin aux restaurants de l’ile, risquant à chaque pas un procès-verbal.

Mais que faire si la mer reste la seule possibilité de l’île et de toutes ses laggata?

Certes Sabra a tenté avec les femmes de son groupe de glaneuses une expérience de pêche artisanale à la drina, les nasses en palmes. Une tentative qui tourne court avec le vol de leur matériel. Sabra aurait voulu aussi ouvrir un petit restaurant  sur la plage de Bounouma où elle pourrait préparer tous ces délicieux plats kerkenniens à base de poulpes, de seiches, de coteaux et de poissons dont elle sait si bien délecter sa famille et ses invités. Ahmed, son mari a même construit ici, sur cette étendue de sables et de rochers, une aire de repos en palmes pour les laggata afin de les protéger de la pluie et du vent l’hiver. Un lieu susceptible également d’offrir une variété de plats servis par sa femme aux baigneurs pendant l’été. Mais les gachara, toujours aux trousses de Sabra, ont fini par l’incendier il y a quelques jours.

Lorsque les petits pêcheurs rentrent avec des filets vides, les femmes se rabattent sur la collecte des palourdes. Photo Olfa Belhassine

« Les Kerkenniennes ont appris à ne compter que sur elles-mêmes. Elles sont réputées pour leur indépendance, leur sens de l’initiative et leur leadership au sein de la famille. Leurs maris, ne leurs cèdent-ils pas le gouvernail des responsabilités domestiques à chaque fois qu’ils s’enfoncent à plusieurs centaines de miles loin de la terre ? », estime Amina Ben Fadhl, qui connaît les collectrices de palourdes de Kerkennah sur les bouts de doigts. Amina Ben Fadhl, est la coordinatrice du projet Faire pour l’appui à l’autonomisation socio-économique des travailleuses dans l’agriculture et la pêche. Elle s’active depuis deux années avec la Coopération italienne pour reconvertir les glaneuses de palourdes dans d’autres filières.

« Toutes ensemble, et avec les pêcheuses en mer, nous sommes en train de travailler sur d’autres dynamiques et alternatives écologiques, qui sortiront les laggata de cette posture d’illégalité. Parmi ces projets, celui, qui semble avoir le plus de chance d’aboutir concerne la mise en place d’une unité de transformation du poisson en filets et de conditionnement des fruits de mer dans des coffrets prêts à l’envoi », détaille Amina Ben Fadhl.

Sabra attend impatiemment cette autre possibilité de l’île. Tout ce qui compte pour elle c’est de rester liée à la mer. Contre vents et marées.

 
1 La pêche à la charfiya aux îles Kerkennah a été inscrite le 15 décembre 2020 par l’UNESCO, sur la liste représentative du patrimoine culturel de l’humanité.
2 Tous les noms des femmes collectrices de palourdes ont été changés par l’auteure de l’article.
3 Les palourdes, ces mollusques bivalves, sont aussi appelées clovisses.
4 : Citation tirée du livre « La Méditerranée. L’espace et l’Histoire », de Fernand Braudel, Flammarion, 1985.
5 Harga : mot tunisien qui se traduit par brûlure et signifie la traversée illégale des frontières maritimes vers la péninsule italienne. Le mot est une métaphore de l’acte de brûler les frontières et ses papiers par les candidats à la harga.
Ce reportage a été réalisé dans le cadre du partenariat entre Medfeminiswiya et la Fondation Rosa Luxemburg.
Olfa Belhassine

Olfa Belhassine

Olfa Belhassine a travaillé en tant que journaliste au quotidien La Presse de Tunisie de 1990 à 2023. Après la Révolution de 2011, elle publie sur Libération, Le Monde et Courrier International des articles témoignant de son expérience de journaliste avant et après la chute du régime du président Ben Ali. En 2013, elle obtient le premier Prix du journalisme du Centre de la Femme arabe pour son enquête sur le mariage coutumier en Tunisie publiée sur le journal La Presse. Elle est depuis 2015 la correspondante en Tunisie de JusticeInfo.net, un site spécialisé dans la justice transitionnelle à travers le monde. Avec Hedia Baraket, Olfa Belhassine a publié, en 2016, un livre intitulé "Ces Nouveaux Mots qui font la Tunisie", une analyse approfondie sur la transition politique en Tunisie après la révolution.

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