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« Allo, allo… allo Beyrouth, je t’en prie mon amour(1)»… Oui, nous voulons la Beyrouth qui était dans la voix de Sabah avant que notre ville ne se transforme en une boîte à slogans politiques, en une pauvre capitale où convergent toutes les crises : celle des peuples et celle des gens épuisés.
En se promenant dans le centre de Beyrouth complètement vide, nous sommes pris de nostalgie pour le dévorant appétit de vivre qui traversaient les chansons de Sabah portant le nom de sa ville, nostalgiques aussi de ce rire qui imprégnait sa voix.
C’est le neuvième anniversaire de sa mort et il est impossible pour ses admirateurs de ne pas sentir dans la voix de cette femme forte et extraordinaire comme une envie de capter le passé ou de s’asseoir à sa lisière.
Avec beaucoup de courage et de désir, la rayonnante Sabah a vécu une vie luxuriante, tumultueuse, authentique et complète. Elle s’est trompée, a trébuché ; elle a ri, s’est réjouie et s’est attristée ; elle n’était pas exemplaire et ne cherchait pas l’exemplarité au sens étriqué et étouffant du terme. Elle ne s’est pas cachée et n’a pas tenu secrètes ses histoires d’amour, ses défaites, ses rires, ses pleurs et sa soif de vivre encore plus et de toujours recommencer.
Quand le temps tournera encore pour s’arrêter à la date du 26 novembre 2014, on ne cherchera pas seulement à se remémorer Sabah le rossignol, l’artiste, l’actrice. En revanche nous faudra songer longuement à Sabah pour son cheminement de femme différente, de féministe courageuse autant qu’elle pût l’être au vu des critères de son époque.
Sabah, qui a quitté une maison rugissant du tumulte de la cruauté, du machisme, des interdits, de la répression et des refus, ressemble à beaucoup d’entre nous. D’ailleurs, il est possible à plus d’un titre de considérer sa vie comme un modèle de révolte féministe, une défense du droit à la différence et à l’individualisation.
Sabah a fermé les yeux, souriante, à 88 ans, forte d’une vie passée à essayer d’être intransigeante et de vivre comme elle le souhaitait malgré les difficultés et les contraintes imposées par la société d’alors qui ne voyait la femme que comme instrument de procréation, cuisinière, éducatrice, personnage servile et sans voix. Sabah a utilisé la sienne pour chanter et crier, pour s’opposer et s’exprimer. C’est pour cela que sa vie n’a pas été simple et ne s’est pas écoulée sans laisser de traces.
Sabah, qui a quitté une maison rugissant du tumulte de la cruauté, du machisme, des interdits, de la répression et des refus, ressemble à beaucoup d’entre nous. D’ailleurs, il est possible à plus d’un titre de considérer sa vie comme un modèle de révolte féministe, une défense du droit à la différence et à l’individualisation. Tout cela semble, aujourd’hui encore, difficile à atteindre dans des sociétés qui réduisent les femmes à une figure unique, idéalisée, ne servant que les intérêts du système patriarcal et de ses thuriféraires.
Sabah, la belle féministe ! Sabah, la femme ordinaire qui commet des erreurs, qui parfois délire et parfois a besoin de disparaître et de renoncer pour revenir avec une robe encore plus élégante et s’en servir pour combattre les stéréotypes, l’inertie, la monotonie ! Sabah qui rejette ce que l’on attend d’elle en tant que femme pour faire ce qu’elle veut et avancer vers ce qu’elle ressent !
Jeannette Faghali, qui n’a pas tardé à devenir dès ses dix-huit ans Sabah, nous rappelle toujours, avec ses cheveux blonds et ses robes colorées, que la vie vaut la peine d’être vécue et que la lutte est possible même quand nous perdons nos certitudes en toute chose. En cet anniversaire de sa mort, nous n’avons peut-être rien de nouveau à dire, aucun angle journalistique inédit à exploiter, toutefois Sabah reste une invitation à l’amour, à la vie et à recommencer encore et encore… Celle qui a eu un des enterrements les plus étranges du monde, où à sa demande, les gens ont dansé et chanté pour lui faire leurs adieux, ne peut s’éteindre. Sa voix ne se taira pas et restera « comme du miel ».