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Dans l’une des prisons d’al-Assad, la stupeur se lisait sur les visages des détenues, trop terrifiées pour croire qu’elles étaient enfin libres. Une d’elles a demandé aux jeunes de l’opposition armée : « Où devons-nous aller ? ». D’autres, désorientées, semblaient perdues, comme si une vie normale était un rêve inaccessible.
De nombreuses histoires s’entrecroisent, toutes marquées par la cruauté et l’injustice : des femmes syriennes emprisonnées, ayant subi des tortures physiques, psychologiques et sexuelles dans les geôles du régime al-Assad, tombé à jamais.
Les recherches des prisons secrètes continent…
Des milliers de détenu.e.s en Syrie ont enduré des tortures et une multitude d’abus. L’Observatoire syrien des droits de l’homme estime à 300 000 le nombre de prisonnier.ère.s, dont environ 40 000 femmes.
Les équipes de secours continuent leurs recherches pour retrouver davantage de prisonniers détenus dans des prisons souterraines ou cachées. Certaines de ces centres de détention, non officiels et non connues, restent difficiles à localiser, mettant ainsi en danger les vies de nombreux prisonniers dont on ne peut imaginer l’état et les histoires. À la prison de Saydnaya, des équipes ont introduit du matériel de forage pour briser les structures en béton et atteindre la « prison rouge », où se cacheraient des cellules souterraines. Protégées par des portes codées et des accès secrets sous terre, ces lieux semblent irréels. Ce n’est ni un film, ni une fiction, ni Guantanamo, mais bien les geôles d’al-Assad !
Après ces cinq décennies d’oppression, nous avons survécu. Chaque individu ayant vécu sous ce régime peut désormais se considérer comme un survivant. Quant à cette femme courageuse qui, à sa libération, a demandé : « Où devons-nous aller ? », nous lui répondons : « Vers la liberté. »
Des vidéos montrant des prisonniers et prisonnières respirant enfin la liberté ont circulé. Parmi eux, des enfants, dont la plupart sont nés en détention. Toutefois, les informations disponibles confirment que le nombre de libéré.e.s reste faible comparé aux registres et listes détenues par les organisations de défense des droits humains. Des foules, à pied ou en voiture, se sont dirigées vers Saydnaya à la recherche de leurs proches disparus dans les oubliettes du régime d’al-Assad.
La torture systématique des femmes
Selon l’Association des détenu.e.s et disparu.e.s de la prison de Saydnaya, la période entre 2011 et 2015, durant les premières années de la révolution, a été la plus terrible dans cette prison. Le nombre de détenus a ensuite diminué à cause des exécutions systématiques. L’association affirme qu’entre 2012 et 2022, le régime syrien y aurait exécuté entre 30 000 et 35 000 prisonniers, directement ou sous la torture, par manque de soins médicaux ou à cause de privation de nourriture. Les corps des exécutés étaient ensuite emmenées et enterrés dans des fosses communes.
Les prisons pour femmes, en particulier, étaient marquées par des tortures et des sévices spécifiques. Dans un rapport publié en 2024, le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme a mis en garde contre les pratiques du régime syrien à l’égard des femmes, allant du viol à la torture psychologique et physique, en passant par les insultes et le chantage. Le réseau considère que le régime et ses milices pratiquent des violations systématiques et récurrentes contre les femmes détenues. S'appuyant sur des rapports internationaux sur les droits humains, le réseau européen a accusé le régime et les milices qui le soutiennent de commettre des violations massives et systématiques contre les détenues, et d'utiliser les femmes comme monnaie d'échange dans les négociations d'échange de prisonniers.
S’appuyant sur les témoignages de 10 femmes sélectionnées parmi 53 Syriennes détenues entre 2012 et 2014 interrogées, le rapport révèle des abus allant jusqu’au viol des prisonnières devant leurs proches pour obtenir des aveux ou la torture de ces derniers sous leurs yeux pour les briser.
L’abattoir humain et le trou noir
La prison de Saydnaya, l’une des prisons militaires les plus sécurisées sous le régime de Hafez al-Assad, puis sous celui de son fils Bachar, est surnommée « la prison rouge » en référence aux exécutions et tortures sanglantes qui s’y sont déroulées. Elle est également qualifiée de « trou noir » et d’« abattoir humain ».
Désormais, avec l'ouverture des prisons, il n'est plus nécessaire de se référer à des rapports pour comprendre ce qu'al-Assad a infligé aux femmes et aux hommes. Les visages de ceux qui sortent de ces cachots parlent d'eux-mêmes. Le visage de cet enfant de trois ans à peine, debout, observant les hommes de l’opposition ouvrir les portes de sa geôle, résume à lui seul toute cette histoire de souffrances.
Un ancien détenu a déclaré lors d’une interview télévisée :
« La clémence, c’était quand le geôlier t’insultait, au lieu d’insulter ta mère ou ta sœur ou toute ta lignée. Ajoutant : J’ai passé des années sous la coupe de psychopathes, soigneusement choisis par le régime pour nous détruire. Le régime haïssait toutes les catégories sociales, tout le peuple syrien."
À toutes les familles de détenu.e.s que j’ai rencontrées, à tous ceux avec qui j’ai échangé, et qui m’ont bouleversé humainement, je veux aussi dire : « Tout ira bien. Allons vers la liberté ».
En réalité, les récits des rapports onusiens et des ONG, spécialisées en droits humains, sur les tortures quotidiennes, les exécutions hebdomadaires, la privation de nourriture et de soins, les abus physiques et psychologiques, les viols, restent en deçà de l’ampleur des souffrances. Les atrocités révélées ont stupéfié le monde entier. Des milliers d’êtres humains gisent encore dans ces souterrains, privés d’air et de lumière par la cruauté sadique du régime al-Assad.
Suite à la chute du règne de la famille al-Assad, qui a duré plus de 50 ans, de Hafez à Bachar, un événement parmi les plus marquants sur les plans politique et humanitaire de ce siècle, les peuples syrien et libanais ont de bonnes raisons de célébrer. Les Libanais, rappelons-le, ont également subi des décennies de tutelle assadienne, jalonnées d’arrestations, d’assassinats et de disparitions de dizaines de milliers de personnes, dans le sillage de la guerre civile au Liban.
Après ces cinq décennies d’oppression, nous avons survécu. Chaque individu ayant vécu sous ce régime peut désormais se considérer comme un survivant. Quant à cette femme courageuse qui, à sa libération, a demandé : « Où devons-nous aller ? », nous lui répondons : « Vers la liberté. »
À toutes les familles de détenu.e.s que j’ai rencontrées, à tous ceux avec qui j’ai échangé, et qui m’ont bouleversé humainement, je veux aussi dire : « Tout ira bien. Allons vers la liberté ».