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Cette alerte, juste après l’entrée du groupe rebelle et islamiste radical Hayat Tahrir al-Cham (HTC) dans Damas, capitale de la Syrie, après une offensive fulgurante dans ce pays, est lancée par Manahel Al Sahoui, coordinatrice de l’édition arabe de Medfeminiswiya.
Syrienne, réfugiée au Liban depuis sept ans, persona non grata en Syrie pour ses positions politiques anti Assad, elle n’a plus vu sa famille ni pu visiter son pays durant ces longues années. Pire encore, Manahel ne peut pas quitter le Liban, car vivant depuis plus de deux ans dans une situation de « sans papiers » dans le pays des Cèdres : quitter le sol libanais, pour l’Europe par exemple, correspondrait pour elle à un aller sans aucun espoir de retour.
Son euphorie était compréhensible, notamment lorsqu’elle ajoute sur le même groupe WhatsApp ce dimanche 8 décembre : « Je suis folle de bonheur ! J’en pleure même. Je n’arrive encore pas à assimiler ce qui est en train de se passer. Une répression qui a duré pendant plus de cinquante ans s’effondre…Les détails de la terreur que nous avons connue depuis l’enfance sont en train de s’évanouir…En attendant le jour d’après, nous avons certes peur mais sommes aussi plein.e.s d’espoir dans l’avenir des Syrien.n.es ! ».
Sa liesse est partagée tant par nos journalistes syriennes, Rahada Abdoush et Loujein Haj Youssef, avec lesquelles nous commençons à discuter des papiers à écrire, que par nos amies libanaises, Maya El Ammar, une des co-fondatrices du réseau de journalistes féministes Medfeminiswiya et Pascale Sawma notre reporterre à Beyrouth, qui elles aussi sont marquées par ce Moyen Orient continuellement secoué par une instabilité constante et des guerres à n’en plus finir. N’ont-elles pas vécu à la première personne les pénibles conséquences de la mainmise des Assad sur le Liban, dont l’assassinat de Rafik Hariri à Beyrouth en 2005.
Ainsi notre page whatsapp a vite pris des allures de fête en s’habillant de cotillons, d’étoiles et de guirlandes. Les congratulations fusent d’Espagne, d’Italie, de France, du Maroc, de Tunisie, d’Algérie…De tout ce pourtour méditerranéen, « qui nous unit et nous sépare », selon notre devise.
Chacune de nous revient aux médias, qui toute la nuit ont couvert la chute du régime de Bachar et de son funeste parti Baas. On apprend alors que « le bourreau de Damas » a bien quitté la Syrie via l’aéroport international damascène, lui qui a dirigé d’une main de fer son pays pendant vingt-quatre ans, poursuivant la politique de terreur entamée par son père Hafez Al-Assad dès 1971- et réprimant en 2011 dans le feu et le sang une révolte qui s’est transformée en guerre civile, l’une des plus féroces des temps actuels. Beaucoup d’informations sont données également sur Abou Mohammed al-Joulani, le chef de Hayat Tahrir al-Cham et sur son CV de jihadiste repenti.
Evin Yusuf nous envoie des photos des sculptures des tyrans pères et fils déboulonnées, des prisonniers libérés, des femmes et des hommes célébrant la liberté fraîchement acquise…
Mais dans le groupe des voix s’inquiètent : et si les tyrans d’hier, qui ont jeté des milliers de Syriennes en prison et se sont démarqués par leur misogynie et leur haine des femmes, étaient remplacés par de nouveaux barbares, encore plus brutaux envers les femmes et plus féroces contre leurs droits ?
« Est-ce la victoire du choléra contre la peste », s’interrogent d’autres membres de notre groupe ?
« L’islamo-panique », saisit quelques-unes d’entre nous, sans enlever pour autant une once d’espoir à nos correspondantes syriennes.
« Suis-je dans un film ? Est-ce un rêve ou une réalité ? Haram… toutes ces années perdues. Dieu préserve notre pays », écrit Loujein.
Le libérateur de Damas, Abou Mohammed al-Joulani, ancien émir du Front Al-Nosra, a beau tenter de lisser son image et de présenter une posture relookée en abandonnant entre autres ses attributs passés, abaya et turban noir, il n’en demeure pas moins que ce dernier se réclame haut et fort de l’islamisme radical. Un mouvement hyper conservateur, alimenté dans son idéologie par la charia et par conséquent porteur de risques pour les femmes.
Il est difficile aujourd’hui de faire des pronostics sur la politique du nouvel homme fort de la Syrie envers les femmes tant les cartes de ce Moyen Orient, qui une fois encore nous désorientent, sont à redistribuer au vu des tensions géopolitiques très complexes qui entravent les équilibres de la région.
N’empêche qu’en attendant les jours d’après, la joie des Syrien.n.e.s est légitime. Sur notre page WhatsApp elle est même contagieuse et donne à rêver à toutes celles qui vivent sous des régimes autoritaires…
La Syrie est une fête. Aujourd’hui. Espérons que celle-ci continue…