De l’obéissance au sacrifice
Je m’appelle Fatou, j’ai 27 ans et je suis sénégalaise.
En 2015, je suis partie en Italie dans le cadre d’un regroupement familial après mon mariage, pour rejoindre mon époux, lui aussi sénégalais. Il vivait avec toute sa famille : ses parents, ses frères et ses sœurs. Il m’avait été présenté par un proche comme étant un « bon parti », et j’ai accepté. J’avais 18 ans quand je me suis mariée. Ce n’était pas un mariage forcé, mais au Sénégal, refuser le choix des parents n’est pas une option.
Nous n’avions échangé que par téléphone avant le mariage ; je ne l’avais jamais rencontré en personne. La première fois que je l’ai vu, c’était la veille de notre union. Malgré tout, nos conversations téléphoniques avaient fait naître des sentiments entre nous. Je dirais même que j’avais commencé à l’aimer. Rien ne laissait présager ce qui allait suivre. Il paraissait parfait, et quand tout semble bien, on fait confiance.
Dès mon arrivée en Italie, les choses se sont compliquées. Au début, c’était surtout sa mère. Même si elle avait consenti à l’arrangement entre nos familles, elle ne m’a jamais réellement acceptée. Elle répétait sans cesse que j’étais une mauvaise épouse et que son fils aurait mieux fait d’épouser sa cousine. Je me disais que tant que lui et moi nous nous entendions bien, je pouvais supporter ses récriminations. Mais après la naissance de mon premier enfant, les tensions se sont aggravées. Elle refusait que je travaille et contrôlait mes moindres faits et gestes. Ni mon mari ni moi n’avions notre mot à dire. Pour sauver notre couple, nous avons décidé de louer un appartement dans un autre quartier. Mais une fois éloignés de sa mère, c’est lui qui est devenu le problème.
De l’espoir à l’isolement
Ça a commencé par une emprise financière. Il payait uniquement le loyer avec son salaire et confisquait le mien pour couvrir les autres charges : les courses, les factures, tout. L’objectif était clair : m’empêcher de devenir indépendante.
Puis, sa mère a décidé de quitter l’Italie pour s’installer en France. Elle ne supportait pas que je sois autonome, avec un travail et une maison. Elle m’a obligée à la rejoindre, sous prétexte qu’elle avait besoin de moi. J’ai quitté mon emploi et rejoint la France en 2021, sans perspective d’avenir. Mon mari est resté en Italie pour travailler.
En attendant, j’ai dû vivre seule avec sa mère, qui s’acharnait sur moi encore plus qu’avant. Au bout de quelques semaines, elle m’a mise dehors avec mes deux enfants en bas âge, sous prétexte qu’ils faisaient trop de bruit et que la maison était trop petite. J’ai appelé le 115, qui m’a hébergée en urgence pendant un mois et demi. Puis, faute de solution, je suis retournée en Italie.
Cette fois, j’ai réfléchi à un plan pour revenir en France et scolariser mes enfants. En 2022, la famille réunie, nous nous sommes installés dans une sous-location en attendant un logement définitif. C’est là que j’ai accouché de mon troisième enfant. Quand j’ai demandé à rentrer quelques jours au Sénégal pour me reposer auprès de ma famille, mon mari a d’abord accepté. Puis, sous l’influence de sa mère, il a changé d’avis. Il a confisqué les passeports de mes enfants et m’a dit que je pouvais partir seule. Il savait que je ne partirais pas sans eux, surtout pas en laissant ma fille de six mois.
Sa mère, qui m’avait mise dehors auparavant, a quitté son logement pour vivre avec nous, dans notre petit T2. Les tensions ont explosé. Quand elle est repartie après quelques semaines de cauchemar, il a commencé à se venger sur moi. Il m’ignorait complètement, ne m’adressait plus la parole, comme si je n’existais pas. Nous avons fini par faire chambre à part.
Un soir, il est entré dans ma chambre, affirmant qu’en tant qu’épouse, j’avais des devoirs conjugaux et que je lui devais un rapport sexuel. J’ai refusé. Cela faisait six mois que nous ne nous parlions plus. Il m’a forcée. Je me suis débattue, j’ai crié, mais aucun voisin n’est venu à mon secours. Peut-être qu’ils n’ont rien entendu... Je venais, en fait, de subir ce qu’on appelle un viol conjugal.
Quelques jours plus tard, il a essayé de recommencer. Cette fois, je me suis enfermée dans les toilettes et j’ai appelé la police. Ils l’ont placé en garde à vue, et j’ai porté plainte. Mais l’affaire a été classée sans suite, faute de preuves suffisantes. Quand il est rentré du commissariat, toute sa famille a débarqué chez moi pour m’insulter. Plus que la peur et la colère, j’ai ressenti un profond sentiment d’injustice.
Puis sa mère et ses frères sont venus habiter chez nous. Ils dormaient dans le salon. Je n’avais nulle part où aller, et je ne pouvais pas abandonner mes enfants. Pour échapper à cet enfer, je les déposais à l’école le matin, puis je me réfugiais toute la journée à la Maison des Femmes de Nanterre ou dans un parc voisin. Là-bas, je passais mes journées pour éviter les conflits et les insultes. Le soir, je récupérais les enfants, je rentrais pour leur préparer à manger, puis je m’enfermais dans ma chambre.
C’est à la Maison des Femmes qu’on m’a aidée à trouver une avocate et une assistante sociale pour entamer la procédure de divorce.
Mais vous savez quoi ? Je me sens plus forte. Quand je suis arrivée en France, je ne comprenais rien au système administratif. Je n’étais même pas capable de rédiger un simple courrier. Maintenant, je fais tout toute seule. Je n’ai plus besoin de personne. Je suis devenue indestructible.
« Prostituée ! », m’a-t-il lancé
La violence s’intensifiait. Un jour, il a fouillé dans mes affaires et a trouvé le dossier que je préparais avec l’assistante sociale. Furieux, il a voulu déchirer les documents. Quand je m’y suis opposée, il m’a giflée si fort que je me suis évanouie.
Le jour de mon anniversaire, le 7 janvier, mes ami.e.s m’ont appelé.e.s. En voyant mon téléphone sonner, il m’a accusée de tromperie. Ses mots m’ont transpercée : « prostituée ! ». La dispute a dégénéré : il m’a frappée au niveau de l’arcade et m’a arraché mon téléphone. En essayant de le récupérer, je l’ai agrippé par les vêtements. Il a déchiré ses vêtements, s’est griffé lui-même pour fabriquer des preuves, puis a appelé la police. Cette fois, c’est moi qu’ils ont emmenée en garde à vue.
J’ai tenté de leur expliquer mon histoire, mais ils ne m’ont pas écoutée. La police m’a retiré mes papiers italiens et m’a envoyé une OQTF (obligation de quitter le territoire français). Je n’ai pas compris le motif. Mon avocate a fait un recours au tribunal, et une juge m’a accordé un titre de séjour provisoire. Malgré tout, je me sentais seule, abandonnée, sans défense.
En France, je ne connaissais personne. Les plaintes que je déposais étaient systématiquement classées sans suite. Tout semblait être en sa faveur, même la loi. Au Sénégal, ma famille, impuissante, ne pouvait rien faire.
Une histoire de résilience
Au début, j’avais peur de quitter le domicile conjugal. J’avais peur qu’abandonner mes enfants serve de prétexte pour qu’on me retire leur garde une fois le divorce prononcé. Alors, j’ai supporté cette situation pendant presque deux ans. Mais j’ai fini par craquer.
J’ai quitté le domicile conjugal. Mon assistante sociale m’a trouvé une chambre d’hôtel via le 115. Nous avons tout tenté pour que je puisse récupérer mes enfants, mais la police a déclaré que cela serait considéré comme un kidnapping. Mon avocate a obtenu une garde alternée en attendant le divorce : je ne pouvais voir mes enfants que le week-end.
Aujourd’hui, je vis dans l’attente du divorce pour pouvoir enfin tourner la page. Je me bats pour récupérer mes enfants, qui sont restés avec leur père. J’ai traversé l’angoisse, les insomnies, les larmes, le sentiment d’abandon.
Mais vous savez quoi ? Je me sens plus forte. Quand je suis arrivée en France, je ne comprenais rien au système administratif. Je n’étais même pas capable de rédiger un simple courrier. Maintenant, je fais tout toute seule. Je n’ai plus besoin de personne. Je suis devenue indestructible.