Cette publication est également disponible en : English (Anglais) العربية (Arabe)
Photo pricniapel: Vue générale de la conférence de presse. Source : Page Facebook du Mouvement.
Angela Alsahwi
Au cœur de la capitale syrienne, à l’hôtel Cham Palace de Damas, des dizaines de militant.e.s, journalistes et sympathisant.e.s se sont rassemblé.e.s dans la salle des Omeyyades pour assister à un événement historique : la première conférence de presse du "Mouvement politique féministe syrien". Cette initiative, impensable un mois plus tôt sous le régime de Bachar al-Assad, a réuni une audience diverse et passionnée.
Le parcours d’un combat, de l’intérieur et de l’extérieur
Fondé en 2017 par 28 membres, le Mouvement compte aujourd’hui près de 200 adhérentes réparties dans plus de 21 pays. Pour la première fois en Syrie, ses fondatrices présentent publiquement leur vision politique.
Alma Salem, directrice exécutive a ouvert la conférence en rappelant les principes du Mouvement et les actions qu’il a accomplies :
« Nous sommes un Mouvement libre, souverain et indépendant, actif dans de nombreuses plateformes et courants politiques, de la commission constitutionnelle à divers partis syriens. Nos membres y occupent des positions dans les instances décisionnelles, comme Hind Qanawat, membre fondatrice du mouvement, qui a siégé au sein de la Coalition syrienne (1) lors des négociations à Genève. Nous nous nous sommes formées aux compétences nécessaires pour agir à l’échelle internationale : dialogue, négociation, prise de parole publique. En collaborant, nous nous renforçons mutuellement. »
Et d’ajouter : « Les jeunes femmes jouent un rôle crucial dans le Mouvement. Nous tirons une grande fierté de leur engagement. En intégrant la technologie dans notre travail, nous avons rendu nos documents accessibles sur notre site internet. Nous plaidons également pour une Syrie ‘organique’, durable et respectueuse de l’environnement, car notre terre fertile mérite d’être préservée pour les générations futures. »
Lors de la conférence, Lina Wafai, Wijdan Nassif, Salma Al-Sayyad et Saba Al-Hakim ont présenté les réalisations du Mouvement, notamment sept documents politiques traitant de thèmes majeurs comme la justice transitionnelle, la reconstruction et la participation politique. Ces documents résultent d’une collaboration entre Syriennes de diverses régions via des séances virtuelles et des rencontres physiques. « Le dernier document politique du mouvement, mis à jour le 18 décembre 2024, s’intitule ‘Document de consensus sur certaines questions controversées entre les forces politiques syriennes d’opposition’. Ce texte a été produit après de longs dialogues avec divers courants en Syrie et à l’étranger », a précisé Lina Wafai, membre fondatrice du Mouvement politique féministe syrien et vice-présidente de l’Alliance démocratique syrienne, en rappelant que la libération est le fruit d’une lutte collective menée par des militant.e.s, des détenu.e.s et des disparu.e.s depuis le début de la révolution.
La libération est le fruit d’une lutte collective menée par des militant.e.s, des détenu.e.s et des disparu.e.s depuis le début de la révolution.
Des femmes défendant les disparu.e.s
L’atmosphère de la conférence est chargée d’émotions, entre discours inspirants, solidarité et enthousiasme. Chaque intervention est accueillie par une chanson puisée dans le patrimoine de la région d’origine de l’intervenante, reflétant le sentiment de fierté de l’identité syrienne dans toute sa diversité et l’appréciation de la lutte des femmes issues des différentes régions du pays.
Puis ce fut au tour de Sana Ali Mustafa : la fille de l’activiste disparu Ali Mustafa a livré un témoignage poignant. Avec ses sœurs, elle a passé une décennie à défendre la cause des disparu.e.s sur la scène internationale, réclamant des réponses sur le sort de leur père et de milliers d’autres personnes. « Il n’y aura ni justice ni vérité sans connaître le sort de nos proches disparus », a-t-elle insisté, appelant les dirigeants actuels à la création d’un comité chargé de cette question perçue comme humanitaire, alors qu’elle est avant tout politique.
Féministes et politiciennes
Les interventions révèlent un message clair : le combat féministe en Syrie ne se limite pas à rendre justice aux femmes, mais vise à construire un avenir politique plus juste et plus inclusif. « Les organisations de la société civile agissent comme des lobbies pour influencer la sphère politique, a déclaré Salma Al-Sayyad. Cependant, le Mouvement politique féministe n’est pas une organisation de la société civile, mais une organisation politique, dont l’objectif est de faire accéder les femmes aux postes décisionnels et de les préparer à devenir les leaders de demain. Je m’attends à ce que de nombreuses femmes issues du Mouvement deviennent des politiciennes et des membres de partis engagées activement en politique. Quant à la collaboration avec la société civile, a-t-elle précisé, elle se fera à ses côtés à travers l’organisation de débats et d’actions de sensibilisation politique. »
Dima Moussa, membre fondatrice et vice-présidente de la Coalition nationale des forces de la révolution et de l’opposition syrienne, a souligné pour sa part l’importance de la participation des femmes à la vie politique : « Le Mouvement est né d’une frustration face à l’impasse politique causée par l’intransigeance du régime et des accusations selon lesquelles il n’y avait pas de femmes politiques syriennes féministes compétentes. Lors de la conférence de Riyad 2 (2), qui a conduit à la formation du Comité des négociations syriennes, nous avons proposé une liste de plus de 60 noms de femmes politiques syriennes pour participer à la conférence. À l’époque, le Mouvement ne comptait que 28 membres. Nous avions proposé des noms de femmes qui n’étaient pas membres du mouvement, et certaines d’entre elles n’étaient même pas féministes, car nous estimions qu’il était essentiel que les Syriennes participent aux instances décisionnelles. L’idée que le féminisme se limite aux domaines humanitaire et civil était largement répandue. Mais le féminisme est une cause intrinsèquement politique. Il était donc essentiel de rappeler que le mouvement devait d’abord être perçu comme une organisation politique avant d’être considéré comme un mouvement féministe ».
Notes :
La Coalition nationale des forces de la révolution et de l’opposition syrienne est une alliance formée en 2012 après le début de la révolution contre le régime de Bachar al-Assad.
La conférence de Riyad 2, tenue en 2017, a réuni plus de 150 figures de l’opposition syrienne pour former un nouveau « Comité de négociations » lors des discussions de Genève.