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Cette réapropriation de la mémoire féminine est traduite aujourd’hui par la mise en lumière des héroïnes dans le récit national et la transmission des parcours féminins particuliers. La revue La Place (1), fondée par des jeunes féministes, réserve dans ses premiers numéros plusieurs articles à l’histoire, souvent occultée, des Algériennes. Dans son deuxième numéro, le périodique présente le portait de la légendaire mais bien réelle Fatma N’Soumer née en 1830, année du début de la colonisation française, qui a bravé tous les interdits sociaux pour devenir la figure féminine de la résistance et du combat pour la liberté.
Fatma N’Soumer, « la Jeanne d’Arc du Djurdjura » comme l’ont surnommée les chroniqueurs de la colonisation française, ne restera pas une pionnière sans héritières. Le mouvement de libération en connaît des milliers à chacune de ses étapes.
Pourtant lorsque le pays recouvre son indépendance en 1962 la version officielle de l’Histoire ne retiendra que quelques visages iconiques des martyres de la révolution.
Célébrées pour leur « beauté, leur patriotisme et leur courage aux côtés de leurs frères », elles sont enfermées dans un récit romanesque de poseuses de bombes, d’infirmières dévouées dans les maquis, de villageoises préparant la galette et le couscous aux combattants.
Le visage angélique de Hassiba Benbouali, l’audace de la très médiatisée Djamila Boupacha défendue face aux juges français par Gisèle Halimi, soutenue par Simone de Beauvoir, peinte par Pablo Picasso, et enfin, l’icône absolue : Djamila Bouhired filmée par Youssef Chahine et chantée par Fairouz, sont autant de figures à avoir rejeté dans les coulisses de l’Histoire toutes les autres militantes.
Les premiers ouvrages d’Histoire écrits par des historiens, souvent acteurs du mouvement de libération, ne réservent que quelques passages au patriotisme des femmes et à leur indéniable contribution à l’effort de guerre.
Clichés de combattantes vierges, “belles et rebelles”
II a fallu attendre les années 1980 pour que se lève peu à peu le voile sur la présence des femmes dans la trame historique nationale. En 1988, Djamila Amrane née Danièle Minne, ancienne moudjahida (combattante), présente une thèse sur les Algériennes dans la guerre. Ce travail, publié en 1991, livrera pour la première fois des données jusque-là ignorées.
Sa recherche s’appuie sur les statistiques du Ministère des anciens moudjahidine (anciens combattants) et sur les témoignages des moudjahidates survivantes. On y apprend que sur les onze mille combattantes, recensées officiellement, 8% ont été tuées par l’armée française. Et 17% des militantes n’étaient pas dans les rangs des combattants armés. Ces chiffres, très importants pour la mémoire collective des Algériennes, ne donnent pas cependant la mesure de leurs sacrifices.
Louisette Ighilahriz, née en 1936, a attendu juin 2000, après le décès de son père, pour pouvoir révéler qu’elle avait été violée dans les geôles françaises. Ce témoignage publié par le journal français Le Monde lui a valu des réactions hostiles et des critiques de la part de ses proches. Le cliché des combattantes « belles et rebelles et surtout vierges » a imposé une chape de plomb sur le vécu des femmes dont le corps a été soumis à la torture des bourreaux colonialistes et au machisme des chefs du mouvement national. Ce machisme n’a pas tardé à s’afficher après l’indépendance.
Résistantes, un jour. Résistantes pour toujours
Dans les années 1980 l’assemblée nationale populaire à majorité masculine s’apprête à adopter le nouveau Code de la famille, le tristement célèbre « code de l’infamie » comme l’appellent les féministes. Baya Hocine née Mamadi, députée, journaliste et ancienne moudjahida - condamnée à mort à l’âge de 17 ans - monte à la tribune pour contester le projet de loi. Elle est « raillée, sifflée et insultée par des hommes dont aucun n’avait pris part à la guerre d’indépendance ».
Retourner à leurs fourneaux était l’injonction faite aux femmes de cette Algérie indépendante qui gravait dans le marbre un statut de sous-citoyennes à celles qui avaient tout donné pour leur pays. Dans la version de l’Histoire écrite par les hommes, les femmes n’ont donc aucun rôle politique alors qu’elles ont très tôt occupé ce terrain. Ainsi le Front de libération nationale (FLN) durant la révolution n’a compté aucune femme dans ses instances dirigeantes et encore moins dans sa version parti unique au pouvoir post indépendance.
L’historienne Malika Korso rappelle pourtant « le combat permanent » (2) des femmes remontant à leur résistance au 19ème siècle. D’ailleurs, n’ont-elles pas créé des associations comme l’Union des Femmes d’Algérie proche du parti communiste en 1947 ?
Les Algériennes, et parmi elles les anciennes moudjahidates, n’ont jamais cessé leur action politique pour arracher leurs droits de citoyennes et l’ont encore prouvé durant la résistance face à l’islamisme armé et ses groupes terroristes.
Elles étaient aux avant-postes dans les manifestations populaires du Hirak en 2019 où elles ont porté leurs revendications malgré les réticences et le fameux « ce n’est pas le moment ». La contestation féministe n’a pas faibli bien qu’elle s’exprime aujourd’hui sous d’autres formes.
Malika Korso souligne également que : « longtemps ignorée de l’Histoire, frustrée de sa mémoire, rendue presque amnésique, en tous cas absente de la vie de la nation, la femme milite pour sa présence dans le combat d’aujourd’hui comme elle a milité hier pour avoir sa place dans le combat libérateur ».
La relève semble toutefois assurée par de jeunes cinéastes, des écrivaines, des universitaires et des historiennes pour garder vivante l’aspiration des Algériennes à la reconnaissance de leurs luttes historiques et à leur aspiration d’égalité.