Crédit photo de l'image de couverture : Campagne d'affichage de Tunisie Telecom en 2022 avec l'icône Ons Jabeur.
Le 6 juillet 2024, Ons Jabeur, dixième mondiale du classement WTA (1), quittait Wimbledon après avoir été battue (1-6, 6-7) par l'Ukrainienne Elina Svitolina, 21e WTA, au troisième set du tournoi. Une défaite à la fois amère et inattendue. Car à deux reprises, en 2022 alors qu’elle occupe le deuxième rang mondial, ainsi qu’en 2023, la championne tunisienne atteint la finale de Wimbledon, l’illustre Grand Chelem. C’est la première tenniswoman arabe et africaine à accéder à un tel palier du monde tennistique. Hélas, elle va échouer à le remporter.
Jabeur a pourtant tout d’une grande. D’une surdouée de la petite balle jaune.
Ons ! Rien qu’à prononcer en Tunisie le prénom de la finaliste, qui le fut aussi à l’US Open en 2023, et subitement les regards s’illuminent de mille étoiles, les horizons s’ouvrent et les rêves s’élargissent.
Sensible, chaleureuse et extrêmement populaire dans son pays dans la vie réelle et sur les réseaux sociaux où ses fans clubs pullulent, la Ministre du Bonheur, comme aiment l’appeler ses compatriotes, porte sur ses épaules l’insurmontable poids des espoirs et des désillusions des Tunisien.ne.s dépité.e.s par l’échec de leur révolution de 2011.
Cette pression qu’elle subit, énorme au vu de la crise économique et politique que traverse la Tunisie depuis plusieurs années, pourrait être la cause de ses émotions incontrôlables sur les courts lors des finales. Et par conséquent de ce goût d’inachevé qui marque sa carrière.

Plus de 1000 joueuses derrière elle
Mais revenons aux tous débuts de l’athlète, qui a crevé l’écran lors de l’Open d’Australie en 2020, probablement son premier grand match en tant que joueuse professionnelle. A l’apparition inattendue d’une star de Ksar Helal, une petite ville du Cap Bon, à une centaine de km de Tunis.
Ons Jabeur naît le 28 aout 1994 dans une famille de la classe moyenne. Elle débute le tennis dès trois ans, à un âge où les enfants baragouinent pour parler, en marchant sur les traces de sa mère. Samira Jabeur n’était pas une joueuse professionnelle, mais elle aimait taper dans la petite balle jaune et emmenait sa fille partout avec elle. Parce qu’à Ksar Helal, il n’y avait pas de courts, c’est sur les terrains des hôtels avoisinant de Sousse, grande station balnéaire, que la future joueuse fait ses premières gammes. À l’âge de 12 ans, elle rejoint Tunis, la capitale, pour poursuivre sa progression dans un lycée sportif, qui reçoit les athlètes prometteurs.
« Ma mère me conduisait à travers tout le pays pour que je participe à des tournois. Elle m’a incitée à aller dans une école spéciale pour étudier. C’était un grand sacrifice pour elle de voir sa petite fille suivre un rêve qui n’était pas garanti. Elle a cru en moi et m’a donné de la confiance », confie-t-elle au site de la WTA en décembre 2019.
Contre toute attente, en 2011, Ons Jabeur, la petite adolescente timide et boutonneuse originaire du Cap Bon, remporte, en pleine euphorie révolutionnaire, le tournoi de Roland Garros en juniors femmes. Ce succès à 17 ans la révèle aux yeux du grand public. L’enfant prodige du tennis tunisien devient la première Arabe titrée en Grand Chelem chez les juniors.
Après environ une décennie à jouer principalement au niveau de la Fédération internationale du tennis (ITF), qui regroupe les tournois juniors officiels, Ons Jabeur commence à s’illustrer sur le circuit WTA à partir de 2017.
« Onstoppable ! »
Jabeur adopte alors une équipe tunisienne : le coach Issam Jellali, ancien joueur en Coupe Davis, et le préparateur physique Karim Kamoun, son mari tuniso-russe, ancien escrimeur.
Elle fait oublier aux Tunisiens l’actualité sombre de leur pays : taux d’inflation de près de 9%, augmentation vertigineuse du coût de la vie, régression flagrante des libertés depuis le 25 juillet 2021 et « coup de force » du président Kaies Saied.
Peu à peu elle devient la femme Arabe la mieux classée de l’histoire. Arriver au Top Ten et se maintenir aussi longtemps dans le groupe de tête est un vrai exploit pour le fin connaisseur de tennis et éditeur, patron de la maison Cérès qu’est Karim Ben Smail : « Il faut savoir que derrière elle, il y a plus de 1000 joueuses professionnelles qui essayent de progresser au classement, des joueuses du monde entier. Certaines considèrent que si elles arrivaient seulement à intégrer le tableau final d’un Grand Chelem, ce serait la performance de leur vie ! ».
A partir de 2020, elle explose sur les grands courts : Sydney, Madrid, Roland-Garros, Us Open… Elle vaincra Venus Whilliams, quintuple championne de Wimbledon et sœur de Serena Whilliams, détentrice du record de titres en Grand Chelem, 23 en tout. Celle-ci décide en 2022, de s’associer à Ons Jabeur pour jouer en double à Eastbourne !
« Jamais je n’aurais même osé imaginer que de mon vivant, une tunisienne soit… Numéro 2 mondiale ! Depuis le début des années 60 avec la victoire de Nicola Pietrangéli, né sous le protectorat tunisien et vainqueur de Roland Garros en 1960 (plus italien que tunisien), ou de Mustapha Belkhoja qui a plusieurs fois passé le premier tour à Wimbledon, les performances internationales de la Tunisie indépendante avaient été jusque-là quasiment inexistantes », affirme Karim Ben Smail.
Entre temps, la popularité d’Ons ne cesse de grandir dans le monde arabe et africain. L’« Onstoppable », comme l’ont baptisé ses millions de fans sur les réseaux sociaux devient une icône. Une star incontestée, qui ouvre la voie et fait tomber des barrières. Elle fait oublier aux Tunisiens l’actualité sombre de leur pays : taux d’inflation de près de 9%, augmentation vertigineuse du coût de la vie, régression flagrante des libertés depuis le 25 juillet 2021 et « coup de force » du président Kaies Saied. Beaucoup d’insuccès alors qu’elle démontre, de par ses performances et exploits, que tout est possible et que le tennis n’est pas seulement cantonné à une classe bourgeoise et friquée.
« Je suis une femme tunisienne fière. J’espère inspirer autant que je le peux. J’ai envie de voir plus de joueuses africaines sur le circuit. En junior, il y en a quelques-unes et je leur souhaite de venir ici sur ce court », escomptait Ons en 2021 au moment de sa qualification à la finale de Wimbledo. Jabeur, dont l’effet est palpable sur le développement du tennis en Tunisie, qui a, selon la Fédération tunisienne de tennis (FTT) triplé son nombre de licencié.e.s ces quatre dernières années, a d’ailleurs toujours milité au WTA pour une égalité salariale entre les tenniswomen et les tennismen professionnel.l.e.s.
Un toucher de balle exceptionnel
La journaliste sportive Aida Arab a bien connu Ons Jabeur pour l’avoir interviewée à plusieurs reprises, notamment sur la radio Shems FM : « Ons Jabeur maitrise une panoplie de coups qu’aucune autre joueuse de tennis n’ose explorer », affirme-t-elle.
Rafik Harguem, lui aussi journaliste sportif au journal La Presse partage le même avis : « Côté technique, elle a un poignet magique, et des coups imprévisible, c’est la meilleure joueuse et la plus douée sur les courts ».

Karim Ben Smail, lui, devient lyrique lorsqu’il évoque le « style » Ons Jabeur : « Parce qu’elle n’est pas sortie des « usines à champions » qui formatent les joueurs et joueuses en canonnières ne sachant que taper fort et courir vite, Ons joue avec ses propres armes. Un toucher de balles exceptionnel, des amorties qui ravissent le public, un talent qui lui permet de compenser un jeu de jambes plus faible avec de stupéfiantes demi-volées en fond de courts, un jeu “au dessus de la tête”, smash et service dont l’efficacité est plus due à une redoutable précision qu’à une puissance pure … Ons réconcilie le “tenni-spectateur” avec l’élégance et la créativité toute méditerranéenne d’un tennis disparu ».
L’autre atout de Ons, et non des moindres : le public l’adore. Pour son sens inné de la communication, sa bienveillance à l’égard de ses adversaires, sa chaleur humaine, son rire contagieux, sa bonhomie, ses larmes et son engagement pour les Palestinien.n.e.s au moment du déclenchement la guerre sur Gaza en octobre 2023…
Résultat : lorsque Ons rate un service, c’est une bonne partie de la Tunisie qui vacille et...tombe !
Et les « graines d’Ons » ?
Avant le début de Wimbledon, Ons Jabeur annonçait le 18 juin 2024 sur son compte X, sa décision de renoncer à participer aux Jeux Olympiques de Paris 2024 pour cause de fragilité de son genou droit et pour le manque de temps de récupération entre la fin de Wimbledon (14 juillet) et le début des JO (26 juillet).
« J'ai toujours aimé représenter mon pays dans n'importe quelle compétition mais je dois écouter mon corps », a précisé Ons Jabeur.
Une campagne de dénigrement 100 % tunisienne se met alors en place contre elle. En particulier provenant de toux ceux que ses jupettes courtes et ses cuisses nues dérangent, voire horrifient.
Mais ce désistement lui sera moins fatal que sa récente élimination du tournoi de Wimbledon après sa défaite face à l’Ukrainienne Elina Svitolina.
« A un certain niveau de son ascension, il aurait fallu qu’Ons renforce son staff technique ou décide de le changer. Il aurait fallu qu’elle fasse appel à des coachs plus aguerris. Or elle s’obstine, par sentimentalisme ou encore surfant sur la vague populiste à maintenir une équipe technique exclusivement tunisienne, qui ne dispose pas des moyens lui permettant de remporter un Grand Chelem », se désole Aida Arab.
Karim Ben Smail va plus loin, en s’interrogeant sur la psychologie de Jabeur : ses problèmes de concentration, voire sa « nécessité de flirter avec l’abime avant de gagner » et sa quête continue d’amour à un moment où elle devrait devenir « une tueuse froide et cynique ».
Est-ce l’heure pour Ons Jabeur « de quitter la table parce que l’amour est desservi ? », hésite Rafik Harguem. Et alors que ses 4 kilos en plus persistent et que son opération du genoux droit, effectuée en 2023, la fragilisent, une nouvelle génération de joueuses fait son apparition dans le paysage tennistique.
Sa reconversion ? La sportive, dont les performances sont désormais gravées dans l’Histoire, y pense. Elle a annoncé, il y a un an, son intention d’ouvrir une académie internationale de tennis dans sa région natale.
Entre temps la Tunisie est-elle en train de profiter de « l’effet Ons » en matière de soft power ? Non, pas tant que ça ! Et de préparer l’après Ons ? Non plus !
« Les « graines d’Ons » doivent être semées aujourd’hui. La championne a fait son boulot, saurions-nous faire le nôtre ? Financement d’équipements, dons de raquettes et balles aux jeunes, formation des coachs… des investissements sans doute plus rentables que d’envoyer des délégations d’officiels assister aux finales de Ons ! », clame Karim Ben Smail, qui rêve, lui, de publier un livre sur…Ons Jabeur.