Crédit photo de l'image de couverture: Vinesh Phogat. Source: Wikimedia Commons
Le palmarès olympique de l'Inde est jusqu'à présent plutôt maigre : hormis quelques grands succès au cricket, le sport national, le pays est celui qui a remporté le moins de prix par habitant. Mais la situation pourrait bien changer grâce à plusieurs athlètes particulièrement talentueuses dont Vinesh Phogat, considérée comme l'une des meilleurs lutteuses au monde.
Née en 1994 dans une région rurale du nord de l’Inde : l'Haryana, particulièrement traditionaliste, cette femme menue mais très musclée, au regard intense et au sourire éclatant, vient d’une famille de lutteurs titrés. Elle a aussi un passé jalonné de sacrifices et d'espoirs. Lorsqu'elle devient orpheline de père à l'âge de 8 ans, sa mère est désormais seule à devoir élever deux filles dans un pays où le foeticide sélectif est encore très répandu. En effet, les filles sont considérées comme étant un problème pour les familles pauvres, obligées de leur fournir une dot. La société hindoue répugnant à ce que les veuves vivent seules, nombre d'entre elles sont contraintes d'épouser leur beau-frère. La mère de la petite Vinesh, elle, a voulu se débrouiller seule : avec la pension de son mari, elle a lancé une entreprise de microcrédit pour des projets féminins, la première de la région gérée par une femme. Cette initiative lui a permis en peu de temps d'être autonome financièrement, devenant un exemple de courage et de détermination pour ses filles.
Un autre personnage central de son enfance est son oncle Mahavir Singh Poghat, ancien champion de lutte indien, père de quatre filles. Désireux de leur permettre d'obtenir de grands succès sportifs et, surtout, les prix substantiels décernés par le gouvernement aux athlètes les plus performants, Mahavir Singh décide d'initier ses filles et ses deux nièces au pehlwani, un art martial indien populaire, très répandu mais normalement pratiqué uniquement par les hommes.
L'opposition de la communauté fut d'abord nette, estimant que les filles devaient se consacrer aux tâches ménagères pour se préparer au mariage et n'étaient pas adaptées à une discipline aussi violente. De plus, les manières brusques et autoritaires de l'homme lui attirèrent immédiatement de vives critiques de la part de ses amis et connaissances.
L'histoire de la famille Phogat est racontée dans un film sorti en 2016, « Dangal » (nom porté aux compétitions de lutte) : une production bollywoodienne qui a connu un énorme succès, rapportant plus de trois cents millions de dollars dans le monde. Entre action, drame, saga, grandes stars indiennes et bande-son iconique, le film se concentre principalement sur les deux filles aînées de Mahavir.
«Phogat se souvient qu'à l'âge de six ans, son oncle l’obligeait à se lever à quatre heures du matin, avec sa sœur et ses cousines, écrit la journaliste indienne Sonia Faleiro. L'hiver avait déjà gagné les champs de moutarde autour de Balali, mais Mahavir a forcé les jeunes filles à sortir dans l'air mordant. Elles devaient d'abord courir dans les champs pour réactiver leur circulation. Puis, par deux, elles devaient se battre le mieux possible. L'oncle les obligeait à s'entraîner tous les jours pendant six heures et, si elles étaient en retard, il les battait. De même quand elles mettaient trop de temps à se lever, il les battait aussi lorsqu’elles perdaient. Une fois, il battit Phogat avec une telle violence que des voisins se précipitèrent à son secours ».
Bien que Mahavir Singh privilégiât ses filles, Vinesh Phogat, qui était la plus jeune du groupe, fit preuve immédiatement d'un courage et d'une détermination exemplaires, se donnant à fond à ses séances d'entraînement épuisantes et respectant avec une grande rigueur les règles diététiques strictes qui lui étaient imposées, animée par un ardent désir de victoire. « Je m'entraînais comme une folle. Puis je rentrais à la maison et je m'entraînais encore dans ma chambre », raconte-t-elle.
Cette persévérance ne tarda pas à porter ses fruits et, après les premiers succès remportés au niveau local, les filles ont commencé à se qualifier pour d'importantes compétitions régionales et nationales. Aux Jeux du Commonwealth de 2010 à Delhi, la cousine de Vinesh, Geeta Phogat, remporta la première médaille d'or de lutte pour l’Inde et son autre cousine, Babita Kumari, la médaille d'argent. Vinesh, elle, obtint sa première médaille d'or aux Jeux de Glasgow en 2014, suivie de deux autres médailles d'or, de deux médailles de bronze aux Championnats du monde et d'une autre médaille d'or aux Jeux asiatiques. Elle a été couronnée championne d'Asie en 2021 et est actuellement considérée comme l'une des meilleures lutteuses au monde. Elle a été également la première Indienne nommée pour les Laureus World Sports Awards en 2019.
Entre temps, les écoles d'entraînement pour les lutteuses ont proliféré un peu partout dans le pays, et les compétitions féminines se sont multipliées pour encourager les filles à pratiquer ce sport, y compris dans les hameaux les plus reculés. Dans leur village où les murs des maisons sont en terre, les toits en tôle et où l'électricité arrive par intermittence, les succès des cousines Phogat ont incité de nombreux pères à demander à Mahavir Singh d'entraîner aussi leurs filles.
« Il y a un lutteur dans chaque famille de l'Haryana, mais ce sont toujours des hommes. Aujourd'hui, le vent a tourné, les femmes savent mener leur barque (…), explique la championne, qui est actuellement la seule sportive indienne à gagner plus d’argent que ses collègues hommes.
La lutteuse des Jeux de Paris est donnée comme favorite alors qu’1,4 million de compatriotes s’apprêtent à suivre ses combats, rivés à leur écran. Mais ce sont surtout les femmes qui l'encouragent, parce que dans un contexte profondément misogyne et sexiste, chacune de ses victoires représente un succès pour toutes, et va bien au-delà d'une simple médaille.