Crédit photo de l'image de couverture: Bien que leur présence soit loin d'être marginale, le débat sur les femmes migrantes reste extrêmement limité. Image créée par Freepik.
L’immigration en Italie a toujours été caractérisée par une présence féminine massive. Dans les années 1970, les pionnières étaient principalement des femmes philippines et cap-verdiennes employées comme domestiques et baby- sitters. Dans les années 1980, les premières exilées fuyant les conflits en Afrique et au Moyen-Orient arrivèrent et, au cours de la décennie suivante, de nombreuses femmes musulmanes sont également arrivées dans le cadre du regroupement familial. Après l'effondrement de l'URSS, de nombreuses femmes d'Europe de l'Est ont commencé à venir travailler comme aides familiales et, aujourd'hui, près de 40 % des services de soins domestiques et personnels leur sont confiés. Leurs conditions contractuelles sont toutefois moins bonnes que celles de leurs collègues masculins et les salaires sont également nettement inférieurs. Selon une analyse menée par du Centre italien d’études et de recherches (Idos) sur la base de données de l’Institut national de la statistique) Istat, plus de 97 % de l'écart salarial (7,4 %) est imputable au sexe.
Invisibles
Le peu de recherches menées sur les migrations féminines font généralement état de personnes marginales et passives, peu éduquées et soumises à la volonté des pères, des fils ou des maris, et pour la plupart invisibles aux yeux de l'opinion publique en raison du peu d'attention que leur accordent les médias et les institutions.
Selon le Rapport Mondial sur les Migration 2024 publié par l'OIM, on dénombre actuellement 281 millions de migrants internationaux, soit 3,6 % de la population mondiale, auxquels s'ajoutent 117 millions de migrants dits "forcés", c'est-à-dire contraints de fuir leur pays d'origine en raison de la guerre, de la violence, de catastrophes environnementales et climatiques ou de persécutions.
Les personnes que nous secourons en Méditerranée portent sur elles les marques de la violence : membres cassés, cicatrices, grossesses non désirées. Et que fait l'Europe ? L'Europe les rejette
48,1 % de ces personnes sont des femmes. Il est donc impératif et urgent d'analyser ce phénomène sous l'angle du genre, en dénonçant les multiples discriminations qu'elles subissent en tant que femmes et en tant que migrantes. Les milliers de réfugiées, de demandeuses d'asile et de victimes de la traite des êtres humains courent en effet des risques beaucoup plus importants que les hommes et endurent des violences plus graves qu’eux lors des longs et dangereux voyages à travers le Sahara, la Méditerranée ou sur les itinéraires terrestres.
Les agressions physiques et psychologiques sont extrêmement fréquentes et pratiquement personne n'échappe aux abus sexuels dans les prisons libyennes. Le taux de mortalité des femmes est extrêmement élevé, tant pendant les marches épuisantes dans le désert que durant les traversées en mer. Sur les canots pneumatiques, par exemple, les places qui leur sont attribuées sont situées sur la plate-forme en bois de l’embarcation mais, comme il s'agit de structures extrêmement fragiles et délabrées, en cas d'accident, cette partie a tendance à se refermer sur elle en les écrasant. Dans les bateaux, en revanche, elles sont confinées habituellement sous le pont, c'est pourquoi ce sont elles les premières à se noyer en cas de naufrage.
Bien que leur présence soit loin d'être marginale, le débat sur les femmes migrantes dans le pays reste encore extrêmement limité. " Les rares migrantes qui parviennent à arriver en Italie sont plus fragiles physiquement et psychologiquement que les hommes", rapporte Lucia Borruso, médecin auprès de la ONG Médecins sans frontières. Le viol est tellement répandu que de nombreuses Subsahariennes ont recours aux contraceptifs en prévision de leur départ, conscientes de l'horreur qui les attend. Par ailleurs, vu la durée imprévisible de parcours de plus en plus longs et risqués, pour éviter des grossesses non désirées, la plupart utilisent des contraceptifs de longue durée, tels que des implants sous-cutanés qui durent environ trois ans. Certaines femmes nigérianes se font également poser un stérilet, en Libye ou dans leur pays d'origine, et demandent souvent à l'enlever à leur arrivée en Italie. Les mères coupent souvent les cheveux de leurs filles très courts pour les faire passer pour des garçons et éviter ainsi la violence des trafiquants. Toutefois, depuis peu, les abus se répandent également dans la population masculine, même si dans des proportions moindres."
Le phénomène concerne en particulier les garçons homosexuels ou transgenres à qui il arrive d’être aussi violés par des membres de leur propre communauté, précise Borruso.
Des violences en tous genres
Après avoir débarqué, certaines femmes présentent des symptômes typiques du syndrome de stress post-traumatique, d'autres ont des maux plus latents. "Les problèmes gynécologiques, tels que les cycles menstruels irréguliers dûs aux changements hormonaux provoquant dysménorrhée et aménorrhée, sont également très fréquents. Les douleurs aiguës dans la région lombo-sacrée peuvent être attribuées aux violences subies entraînant, malheureusement dans certains cas, des grossesses très conflictuelles. Les mères qui transitent depuis la Libye sont également assaillies par un fort sentiment de culpabilité pour avoir laissé leurs enfants vivre des situations aussi dramatiques, surtout lorsqu’elles sont seules ou si elles ont perdu leur compagnon pendant le voyage.”

De 2021 à 2023, Borruso a coordonné SA.I.DA (Salute Integrata Donne-Santé Intégrée Femme), un projet de santé sexuelle et reproductive en coopération avec la ASL Roma 2 qui a aidé 385 patient.e.s, dont 85 % de femmes d’une moyenne d'âge de 36 ans. Elles étaient originaires principalement du Bangladesh, du Pérou, d'Éthiopie et d'Égypte. Plus de 1 000 personnes concernées ont été approchées à Rome de manière ciblée dans des bâtiments occupés par ces communautés.
Les agressions physiques et psychologiques sont extrêmement fréquentes et pratiquement personne n'échappe aux abus sexuels dans les prisons libyennes.
"Notre équipe, composée de médiateurs interculturels, d'infirmières, de sage-femmes et de psychologues, a aidé le personnel de santé local à informer les femmes migrantes sur les questions de santé sexuelle et génésique et sur la possibilité de recourir aux services offerts par le système de santé publique, tels que les hôpitaux et les dispensaires. Des examens gynécologiques ont été effectués, des soins ont été prodigués pendant la grossesse et la maternité, tandis que la prévention des maladies sexuellement transmissibles a été assurée. En Italie, où la grossesse est fortement médicalisée, il est souvent difficile de faire comprendre aux patientes l'importance des échographies, des examens et des dépistages, car elles doivent déjà faire face à de lourdes tâches pratiques, entre la bureaucratie, la recherche d'un emploi, l'étude de la langue et la garde des enfants", conclut-elle.
La traite est un autre aspect extrêmement critique car les victimes sont très difficiles à identifier, en particulier dans les centres de détention : il s'agit souvent de mineures qui voyagent en groupe et qui ont quelqu'un qui les attend à leur arrivée en Italie, mais qui ne veulent pas signaler leur situation par crainte de représailles contre leur famille. Des voyages plus protégés et plus sûrs leur sont généralement destinés car elles doivent arriver saines et sauves pour pouvoir être aussitôt "rentables", surtout celles qui sont destinées à la prostitution.
En 2022, on comptait 27,6 millions de victimes de la traite : 6 sur 10 étaient des femmes et des filles.

Bien que de janvier à juin 2024, le nombre de débarquements sur nos côtes ait diminué par rapport au premier semestre 2023 (23 978 contre 56 655), le nombre estimé de victimes des traversées a presque doublé. Jusqu'au 20 juin, pour 100 personnes arrivées à destination, 3,83 sont mortes ou disparues en mer : lors des deux derniers naufrages dramatiques du dernier mois, 21 personnes ont perdu la vie et 60 autres sont portées disparues, dans le silence le plus total des institutions.
"Il est inacceptable que l'UE choisisse de protéger ses frontières plutôt que les vies humaines", a accusé dans une note Médecins sans frontières, qui effectue également des sauvetages en mer. Les personnes que nous secourons en Méditerranée portent sur elles les marques de la violence : membres cassés, cicatrices, grossesses non désirées. Et que fait l'Europe ? L'Europe les rejette".