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Dans ce monde cinématographique où les poupées en plastique rencontrent le père de la bombe atomique, nous assistons à une collision d'idées et d'attentes qui reflètent bien notre société polarisée.
Deux Films, une dualité sociale
Si les noms "Barbie" et "Oppenheimer" ne vous évoquent rien, félicitations, vous avez échappé à l'invasion de rose, au matraquage médiatique des derniers mois et évidemment aux polémiques qui ont enflammé la toile.
Le premier film en lice, "Barbie", a créé un véritable choc médiatique avec sa déferlante de rose. Dans ce monde idyllique de Barbieland, les poupées Barbie occupent tous les postes clés, tandis que leurs homologues masculins, les Ken, sont relégués à des rôles secondaires. Cette inversion des rôles traditionnels a suscité l'indignation de certains critiques qui y voient une promotion du féminisme radical, voire une forme de propagande anti-hommes. Le film a même été retiré de certaines salles de cinéma dans des pays comme le Koweït, l’Algérie et dernièrement le Cameroun pour "atteinte à la morale".
Dans un univers parallèle, "Oppenheimer" de Christopher Nolan nous plonge dans l'histoire du scientifique Robert Oppenheimer, considéré comme le "père de la bombe atomique". Adoptant une approche narrative non linéaire, le film alterne entre trois moments clés de la vie du scientifique, mettant en lumière son rôle central dans le projet Manhattan et les décisions cruciales qu'il a dû prendre. Mais il ne faut pas longtemps pour repérer un déséquilibre dans cette histoire. Quelques clics sur Google suffisent pour comprendre que Nolan, célèbre pour ses labyrinthes scénaristiques, semble en avoir créé un de plus, où les femmes sont reléguées à l'arrière-plan voir occultées de l’histoire. C’est le cas de Chien-Shiung Wu, une scientifique majeure du projet Manhattan qui a participé aux recherches sur la bombe atomique mais n'apparaît à aucun moment dans « Oppenheimer ». Un rappel inquiétant du fait que certaines histoires restent cachées à l'ombre des grandes réalisations masculines.
Alors que "Barbie" suscite des inquiétudes ironiques quant à l'avenir du mâle dominant dans la société, "Oppenheimer" rappelle, par l’omission de femmes scientifiques pionnières, que nous sommes encore bien loin du compte. Si le film sur la poupée rose a été retiré de certaines salles pour "atteinte à la morale", le biopic sur le scientifique souligne sans le vouloir la nécessité de ne pas négliger l'effacement des femmes de l'histoire.
Chien-Shiung Wu : L'oubliée de la bombe
Alors que Barbie et Oppenheimer se disputent le devant de la scène, Chien-Shiung Wu se profile en coulisses, une "Première Dame de la Physique" dont l'histoire mérite d'être racontée.
Chien-Shiung Wu, née le 31 mai 1912 à Shanghai et décédée le 16 février 1997 à New York, demeure une figure éclatante de la physique nucléaire et de l'émancipation féminine. Cette physicienne sino-américaine a laissé son empreinte indélébile sur le domaine scientifique, brisant les barrières de genre et contribuant à façonner les fondements de la recherche nucléaire moderne.
Issue d'une famille progressiste où l'éducation des filles était encouragée, Chien-Shiung Wu s'est rapidement distinguée par sa brillance intellectuelle et sa soif de connaissances. Malgré les défis culturels et sociaux de l'époque, elle a persévéré dans son parcours académique et s'est imposée comme une étudiante douée en sciences physiques.
Son envol vers les États-Unis pour poursuivre ses études a marqué le début d'une carrière qui allait la propulser au sommet de la communauté scientifique. En 1942, elle rejoint l'équipe du Projet Manhattan, une entreprise ultrasecrète qui aboutira à la création de la première bombe atomique. Wu contribue de manière significative à la mise au point des processus d'enrichissement de l'uranium par diffusion gazeuse, une avancée cruciale pour la réussite de cette entreprise titanesque.
Cependant, ce n'était que le début de son impact sur la science. Travaillant avec les physiciens Tsung-Dao Lee et Chen-Ning Yang, elle a joué un rôle déterminant dans la démonstration expérimentale de la non-conservation de la parité dans les interactions faibles, remettant en question un pilier fondamental de la physique de l'époque. Malgré cette contribution majeure, le Prix Nobel leur a été décerné à eux deux, mettant en lumière les défis auxquels les femmes scientifiques étaient confrontées dans un monde encore largement dominé par les hommes.
Chien-Shiung Wu a continué à briller dans sa carrière, remportant le tout premier Prix Wolf de physique en 1978, une reconnaissance de son excellence scientifique et de son impact profond sur la discipline. Elle a également ouvert la voie pour les femmes en devenant la première femme présidente de la Société américaine de physique en 1975.
L'héritage de Chien-Shiung Wu ne se limite pas seulement à ses réalisations scientifiques exceptionnelles. Son courage et sa détermination à affronter les obstacles sexistes et racistes ont ouvert la voie à de futures générations de femmes scientifiques. Elle a défié les normes de genre, laissant sa marque en tant que « Première Dame de la Physique », un surnom qui rend hommage à son statut de pionnière et à sa contribution indélébile à l'avancement de la science et de l'égalité.
Bien qu'elle ait quitté ce monde en 1997, l'héritage de Chien-Shiung Wu, la « Marie Curie chinoise » perdure dans le domaine de la physique nucléaire et au-delà. Son livre Beta decay (La Désintégration β), publié en 1965, figure encore comme référence standard pour les physiciens nucléaires. Son parcours illustre la puissance de la détermination, de la persévérance et de la passion pour le savoir. Chien-Shiung Wu reste un modèle inspirant pour toutes celles et ceux qui cherchent à repousser les limites et à laisser leur empreinte sur le monde.