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Le nouveau projet de loi, annoncé par le gouvernement français, qui devrait être présenté aux députés à l’automne 2023, ferait la part belle aux revendications de la droite et de l’extrême droite. Le gouvernement d’Emmanuel Macron, discrédité par la loi sur la reforme des retraites adoptée contre l’avis des Français, tente de se reconstruire une majorité parlementaire en accordant aux partis conservateurs de généreuses concessions sur un projet déjà jugé en sa mouture actuelle comme répressif. C’est pourquoi les associations et les militants des droits humains se mobilisent depuis quelques mois pour dénoncer les restrictions et les mesures discriminatoires qui se profilent à l’horizon des étrangers en France.
Les associations : rejet unanime

« Un énième texte dangereux » selon Amnesty International, « inquiétant » pour La Cimade qui estime dans le document de décryptage, publié sur son site en date du 15 mars 2023, qu’« au-delà du texte en lui-même, le climat dans lequel il va être examiné est particulièrement inquiétant. Un climat délétère alimenté par les propos d’un ministre de l’intérieur qui porte un discours très stigmatisant sur les personnes étrangères, en mettant l’accent sur la délinquance et les difficultés d’intégration. Et un gouvernement qui a fait le choix d’attiser les peurs et les tensions, plutôt que d’adopter un discours positif et rassurant sur les migrations, afin de favoriser la cohésion sociale ».
Dans une tribune collective publiée en janvier dernier plusieurs organisations dénoncent un texte qui conduit à « une négation radicale des droits fondamentaux des personnes migrantes. Il a pour objectif de graver dans le marbre et de radicaliser les pratiques préfectorales arbitraires et répressives : systématisation des obligations de quitter le territoire français (OQTF) et des interdictions de retour sur le territoire français (IRTF), dans la suite des instructions déjà prises pour augmenter les assignations à résidence et le nombre de centres et locaux de rétention administrative. Le projet s’inscrit délibérément dans une vision utilitariste et répressive dont témoigne l’obsession des expulsions et l’inscription des sans-papiers au fichier des personnes recherchées. Les personnes migrantes sont déshumanisées et considérées uniquement comme de la main d’œuvre potentielle, qui n’a droit qu’à des propositions de régularisations précaires, limitées aux métiers dits “en tension”.»
« la France perpétue la précarité, l’isolement, les violences et les discriminations dont les femmes sont victimes quotidiennement »
Si tous les candidats au séjour en France ont des raisons de craindre la future loi, les femmes migrantes constatent qu’elles sont de nouveau ignorées par la vision hetero-normée du législateur français. Les femmes étrangères ( hors Union Européenne) qui cumulent toutes les discriminations sont non seulement invisibilisées par ce texte mais elles sont aussi menacées par de nouvelles inégalités alors que leur situation actuelle est déjà très difficile notamment pour celles de la catégorie des sans papiers.
(Lire l'entretien avec Feriel Lalami, politologue et docteure en sociologie.)
Les migrantes, victimes parmi les victimes
Partant de ce constat, l’institut du genre en géopolitique, un organisme féministe, lance une pétition intitulée « Femmes migrantes : principales victimes du projet de loi “Asile et migration”». Dans cette tribune les signataires déplorent qu’aucune approche genrée n’est expressément mentionnée dans le texte et réclame une rupture avec le système actuel par lequel « la France perpétue la précarité, l’isolement, les violences et les discriminations dont les femmes sont victimes quotidiennement ».

Le réseau Solidaires a dépêché, dès le 5 décembre 2022, une délégation auprès du ministre du travail pour rappeler ses revendications pour une politique d’accueil non sexiste. De leur côté, les collectifs de défense des sans papiers ont organisé plusieurs manifestations pour protester contre le texte. Mais pour l’instant le gouvernement français semble plus occupé à séduire les formations politiques de droite qu’à écouter la contestation des militants de défense des étrangers. La voix des féministes est encore moins audible aux oreilles du ministre de l’Intérieur et du président de la République.
Les associations relèvent que les femmes et les filles sont victimes de violences fondées sur le genre dans les structures d’accueil, d’hébergement et de rétention. Dans les centres d’accueil, il n’est pas prévu de programme de formation et ni de programmes d’aide à l’identification de la traite des êtres humains. Pourtant, une femme immigrée sur cinq déclare avoir été victime de violences sexuelles. En 2020 les femmes représentaient un tiers des demandes d’asile enregistrées à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).
Les femmes d’origine immigrée en situation régulière sont à peine mieux loties. Selon les données de l’INSEE, les immigrées originaires du continent africain (Maghreb et Afrique subsaharienne) ont un moindre accès à l’emploi et sont deux fois plus touchées par le chômage que les femmes nées en France (natives) 18% contre 9%. Elles occupent massivement des positions d’employées ou d’ouvrières dans les services à la personne, dans la santé et l’action sociale. Elles ont des CDD et gagnent 15% de moins que les natives. Pourtant 38% des femmes migrantes ont un diplôme supérieur. Le taux de chômage des jeunes femmes immigrées est supérieur à celui des jeunes hommes immigrés : 21,9% contre 17,3% (Observatoire des inégalités, avril 2023).
Ces quelques données sur la situation de précarité des femmes immigrées permettent de prendre la mesure de la teneur discriminante des disposition d’un projet de loi qui se concentre sur les aspects répressifs de l’immigration.
Les immigrées originaires du continent africain (Maghreb et Afrique subsaharienne) ont un moindre accès à l’emploi et sont deux fois plus touchées par le chômage que les femmes nées en France
Les nouvelles restrictions pour les femmes
Dans son document de Décryptage du projet de loi asile et immigration publié sur son site le 23 mars 2023, La Cimade souligne les principaux articles porteurs de danger pour les droits des migrantes. Ainsi la carte séjour temporaire mention « travail dans les métiers en tension » serait accessible aux personnes justifiant d’au moins 3 ans de présence en France et d’au moins 8 mois (consécutifs ou non) d’activité au cours des 24 derniers mois dans un des métiers en tension. À l’issue de sa validité, la personne titulaire d’un CDI dans un métier en tension pourrait, à la discrétion de l’administration, obtenir une carte pluriannuelle salariée.
Les femmes étrangères, assignées dans les métiers du care, du nettoyage, enchaînant des emplois en CDD, parfois non déclarés et mal payés sont d’office exclues de ce dispositif. Le texte ne se contente pas de leur barrer la route à une carte de séjour métiers de tension, il prévoit pour l’obtention de la carte pluriannuelle l’obligation de présenter un diplôme de langue française, justifiant d’un niveau collège (A2). Il faut savoir aussi que les frais d’inscription à ces examens pour obtenir le diplôme varient entre 90 euros et 140 euros. Le regroupement familial est également visé par les restrictions réglementaires. La personne qui voudra faire venir sa famille en France devra résider 24 mois (au lieu de 18 actuels) sachant que cette procédure prend déjà des années.
Des ressources « stables », l’obligation d’une assurance maladie, donc privée et onéreuse, et la maîtrise de la langue française pour les bénéficiaires autrement dit les épouses (plus rarement les époux) font de la demande de regroupement un parcours d’obstacles éreintant. Enfin le maire de la commune de résidence du demandeur aura à se prononcer sur les conditions de logement et de ressources. En cas d’absence d’avis de la mairie la demande est considérée comme défavorable.
La santé des migrantes est également dans le viseur des politiques de droite qui réclament la suppression du dispositif de l’aide médicale de l’Etat (AME) pour la remplacer par une possibilité de soins d’urgence uniquement. Les migrantes n’auront plus accès à l’IVG (interruption volontaire de grossesse), au suivi des maladies telles que l’endométriose ou aux consultations liées aux agressions sexuelles subies dans les parcours migratoires.