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En dépit de l’engagement de l’Etat tunisien à faire avancer les droits des femmes, et bien qu’il ait ratifié les traités internationaux de Pékin 2005 sur « l’intégration du principe de lutte, contre les représentations et les discriminations basées sur le genre, à travers des actions à mener en faveur des femmes », le combat contre les stéréotypes et inégalités entre sexe restent en deçà de ce qui est attendu.
Dans ce contexte, la représentation des femmes dans le paysage médiatique tunisien montre la persistance des valeurs traditionnelles qui réduisent leur rôle à la reproduction ou les enrôle dans un sensationnel exhibitionniste. Autant de manières de renforcer les disparités de genres. Plus grave encore, les médias propagent ces visions discriminatoires. De fait, dans le débat général, la presse - essentiellement le journalisme télévisuel - est comme exemptée de toute remise en question de la responsabilité sociale que signifie véhiculer de telles représentations.
En Tunisie, le taux des femmes journalistes détentrices de la carte professionnelle représente 54% de l’ensemble du corps journalistique, selon les statistiques les plus récentes publiées par le Syndicat national des journalistes tunisiens. Mais les politiques visant l’autonomisation des femmes dans ce domaine, surtout après la phase de la transition démocratique, sont consternantes. Certes, les femmes ont arraché un certain nombre d’acquis, précisément dans leur participation efficace à l’action sociale, civique et politique. Cependant, elles restent moins visibles que les hommes dans les couvertures médiatiques de certains sujets et dans l’ensemble des programmes.
Image stéréotypée divertissante
Durant les années de la transition démocratique, l’alternance dans les affaires politiques est demeurée essentiellement masculine, en dépit de la participation intense des femmes durant toutes les étapes de la révolution pour la liberté, la dignité et la justice sociale de 2011.
Dans ce sens, la sociologue Fathia Assaidi cite, dans une étude sur « L’image et la représentation de la femme dans les médias », publiée en mars 2023, des exemples de l’aspect « exhibitionniste » et divertissant, qui privilégie le sensationnel en jouant sur l’attirance des téléspectateurs vis-à-vis de l’image stéréotypée des femmes. L’émission « Enti wa allmoujira » (Toi et ton épouse) décrit la vie des conjoints en ayant recours à des symboles consolidant les valeurs traditionnalistes.
L'image stéréotypée de la femme dans les médias est devenue un modèle culturel qui se transmet de génération en génération par un processus de socialisation organisé, et par les médias qui contribuent à sa diffusion, consciemment ou inconsciemment.
Selon l’étude de F. Assaidi, les chaines de télévisions privées optent pour une orientation purement commerciale ce qui les dédouane de leur responsabilité sociale. Toutefois, leurs émissions sont l’objet de nombreuses critiques car elle contribuent à la propagation d’une culture « superficielle », du « rire fabriqué », de la « bouffonnerie » ainsi que de la « cacophonie », modalités qui ont infiltré la vie des téléspectateurs et téléspectatrices.
Cette étude estime que les célèbres émissions de débats en Tunisie, surtout l’émission « Studio attassiaa » (Le studio de neuf heures) sont des émissions véhiculant le plus de stéréotypes sur les figures féminines et masculines. L’image dominante est celle de la femme-objet et non de la femme-sujet. Il en résulte que ces programmes perpétuent une représentation négative de la femme : un être qui ne s’intéresse qu’aux choses personnelles, marginales et futiles, un être qui se préoccupe uniquement de son corps comme objet de séduction.
Hélas, ces images pâles et superficielles sont en constante augmentation. Elles atteignent un niveau d’audience élevé au détriment d’autres contenus plus consistants, porteurs d’information sur les droits en matière d’égalité hommes-femmes sexes ainsi que de sérieux codes de conduite sensibles au genre.
La sociologue pense que ces représentations stéréotypées et divertissantes sont désormais ancrées dans l’imaginaire collectif. A cause des médias, qui contribuent à leur vulgarisation consciemment ou inconsciemment, elles sont devenues, avec le temps, des modèles culturels qui se transmettent d’une génération à l’autre à travers la socialisation. Ces représentations reflètent également l’absence de gouvernance de l’image de la femme dans les médias.
Hélas, ces images pâles et superficielles sont en constante augmentation en Tunisie…
Les femmes pour maquiller l’état d’exception
Après l’annonce de l’état d’exception en Tunisie, le 25 juillet 2021, une femme a été chargée de diriger la télévision officielle. Mais, cette nomination était une manœuvre politicienne dans un contexte transitoire exceptionnel avec des objectifs politiques bien précis. Elle ne peut être considérée comme une décision liée à une orientation claire vers une autonomisation des femmes ou une consolidation de leur participation aux postes de décision. Il s’agit d’une volonté de maquiller la réalité, par une présence féminine en trompe-l’œil, pour séduire à l’international. Cependant, la régression dans le domaine des droits des femmes en Tunisie, surtout après la mise à l’écart de l’acquis de la parité dans les candidatures, est probablement la plus grande preuve de l’absence d’une véritable volonté de l’actuel gouvernement de renforcer résolument une politique de soutien aux droits universels des femmes.
La télévision nationale emploie 1 079 fonctionnaires dans les différents services de l’entreprise soit 318 femmes et 761 hommes. Ces fonctionnaires se répartissent selon les sexes et les services comme indiqué dans ce tableau illustrant le fossé entre les deux sexes.
Représentativité syndicale : les femmes obtiennent moitié moins de postes que les hommes
Le cinquième congrès du Syndicat national des journalistes tunisiens, qui s’est tenu en 2020, a élu un bureau exécutif dominé par les hommes (6 contre 3), donc non paritaire. Et ce bien qu’une femme, Amira Mohamed, y ait obtenu le plus de voix. Mais, le vote interne du bureau du syndicat a empêché son accession au poste de présidente, elle n’a donc été élue qu’en qualité de vice-présidente.
Depuis 2008, année de la naissance du Syndicat des journalistes tunisiens dans sa forme actuelle, une seule femme a présidé ce syndicat contre deux hommes après cinq congrès électifs.