Cette biennale d’art contemporain (BAC 2022) est à l’écoute de multiples tendances artistiques contemporaines pour notre plus grand bonheur ! Éclectique, vibrante, percutante, polyphonique, pédagogique... et féministe : les adjectifs se bousculent pour qualifier la vitalité de cette biennale qui s’étale sur une douzaine de sites lyonnais, dont plusieurs grands musées, tous associés au MAC (musée d’art contemporain) qui pilote la manifestation. Et, « cerise sur le gâteau », des artistes femmes en nombre ! Voici la meilleure nouvelle en provenance du royaume de l’art contemporain même s’il aura fallu attendre le 21è siècle pour en arriver là...
Les curatrices et curateurs de la biennale ont fait confiance à de jeunes artistes du monde entier pour confronter les temps présents, si bousculés, aux fantômes surgis du passé. Quantité d’œuvres provenant des foisonnantes réserves des musées lyonnais dialoguent avec celles du 21è siècle.
C’est le cas de Lucia Tallova, jeune Slovaque qui ouvre le parcours esthétique à l’Usine Fagor, le plus vaste espace d’exposition de la BAC 2022. Dès l’entrée dans le premier hangar, Lucia Tallova marque son empreinte, à la fois délicate et rugueuse, à travers un tas de charbon débordant d’une armoire rustique comme si le meuble de bois vomissait des excréments. Les installations de cette jeune Slovaque entament un dialogue poétique avec les copies des statues antiques, sorties des réserves d’un musée lyonnais.
Si les genres et les techniques diffèrent, la plupart des artistes ont cherché par leur mode d’expression une confrontation directe avec le monde réel. Dans un autre hangar, long comme un jour sans pain et sans fenêtres, une micro-société apparaît figée sous une pellicule de ciment. Hans Op de Beek a figé humains, bêtes et machines, tout un monde arrêté dans le temps comme à Pompéi sous la cendre. Ici, la confrontation se fait brutale et angoissante.
Moins rugueuses mais tout aussi parlantes, les photos et vidéos de Randa Maroufi, de « Bab Sebta » (la porte de Ceuta). Comment passer sous silence ces grandes images de femmes « à dos de mulet » qui, à Ceuta, cette enclave espagnole sur le territoire marocain, portent de lourdes charges d’une frontière à l’autre pour une poignée de dirhams ? L’exploitation du corps de ces femmes qui suent sang et eau est palpable.
La confrontation devient un peu mièvre, voire franchement ringarde avec les images chorégraphiées de Sarah Brahim (Arabie Saoudite). Certes, le dispositif vidéo est ultra sophistiqué, mais jamais l’argent qui transpire de ces voiles translucides, déployés d’un écran à l’autre, ne pourra être compatible avec le sens d’une œuvre artistique. Cela nous donne juste le vertige.
En revanche, dans un recoin des usines Fagor, la tendresse est au rendez-vous, sous un arbre (reconstitué) bruissant de feuilles pourtant sèches et translucides. L’arbre de Nadia Kaabi-Linke, jeune Tunisienne qui explore les questions d’identité, de migrations et de frontières, déborde de son cadre miteux pour mieux nous toucher. Cette installation co-produite avec des habitant .es et des forestier.es de la région lyonnaise nous murmure à l’oreille qu’il existe des espaces - temps où vie et mort s’enracinent. Chaque participant.e a dédié une feuille à un mort aimé.
Le Liban a des liens forts avec Lyon
A l’autre bout de la ville, au musée d’art contemporain (MAC), le cheminement d’un étage à l’autre a fini de nous persuader du renouvellement constant dans les formes et les expressions de l’art contemporain. Sans parler des émotions que procure la confrontation de l’Histoire avec un grand H et des bouleversements du présent. Un étage entier sur trois est consacré au Liban. Pour toutes les amoureuses du « Pays du Cèdre » c’est un régal plus ou moins acidulé que de découvrir la vitalité artistique de ce pays tout au long du 20è siècle jusqu’à aujourd’hui, malgré les guerres et les déchirures, malgré la destruction du port de Beyrouth...
C’est à travers la soie -elle a fait la richesse de Lyon autrefois- que les commissaires de l’exposition ont découvert les liens de la région lyonnaise avec le Liban qui abritait des manufactures de ce précieux tissu. De plus, coïncidence malheureuse, la déflagration du port en 2020 a entrainé la destruction du musée d’art moderne. Voilà comment l’exposition du MAC est à l’image de l’ensemble de la manifestation : de l’insouciance des années 60 à la nostalgie et la peur de l’avenir, elle démontre que nous sommes fragiles, et résistant.es.
Gardons le dernier étage du MAC en dessert. Il est dédié à une femme, Louise Brunet, jetée en prison pour avoir participé à la révolte des Canuts à Lyon en 1834. Il semble qu’elle ait entrepris par la suite un voyage périlleux, de Lyon jusqu’aux manufactures de soie du mont Liban. Le récit romancé de sa vie en grande partie méconnue donne lieu à toute une série de juxtapositions d’oeuvres qui dépoussièrent les époques en mettant en lumière avec humour les esthétiques d’un moment donné. On a particulièrement apprécié une vidéo : « a Brief History of Princess X » que nous recommandons chaudement à toutes les amatrices d’art, de psychanalyse et de sitcom. Dans les fictions nouées autour de micro-évènements, on découvre des merveilles sous formes de photos, peintures, dessins, installations, performances, vidéos.
Ainsi, ce Manifesto of fragility, ode à la fragilité, à l’intimité retrouvée, transmet aux visiteur.es le désir d’une humanité qui voudrait tant être heureuse, ou au moins, résiliente.