Les droits ne sont jamais acquis à vie, les femmes en ont souvent fait l’expérience sur leur propre corps, et les féministes qui combattent pour les pérenniser ne sont pas près de chômer. Ainsi, en Italie, un décret vient fragiliser la loi sur le droit à l’avortement, la 194 comme on l’appelle de ce côté-ci des Alpes.
Remontons en arrière de quelques années seulement : Madrid 11 octobre 2021, Giorgia Meloni, l’actuelle première ministre, hurle à plein poumon de l’estrade du rassemblement de la Vox, parti espagnol d’extrême droite, dont elle est l’invitée d’honneur : « Yo soy una mujer, soy una madre, soy cristiana (Je suis une femme, je suis une mère, je suis chrétienne)... ». Fallait-il voir dans cet égosillement imprécatoire un signe néfaste ? OUI.
Un climat délétère
Au lendemain de cette apparition, la présidente de Fratelli d’Italia, parti post-fasciste, n’a cessé de grimper dans les sondages jusqu’à son accession au pouvoir il y a un an et demi. A la tête du gouvernement, Giorgia Meloni a mis aux postes clés du pouvoir ses proches, qui se distinguent davantage par leur fidélité que par leurs mérites. Elle s’est empressée de supprimer le revenu de citoyenneté, adopté par ses prédécesseurs pour combattre la pauvreté, mesure qui affecte en premier lieu les femmes dans l’ensemble plus précarisées que les hommes sur le marché du travail. Elle s’est également emparée des médias étatiques et continue de refuser obstinément de se déclarer antifasciste, y compris à l’occasion des célébrations du 25 avril, anniversaire de la libération du pays du fascisme et du nazisme, que l’on doit à la Résistance italienne.
Pis, l’écrivain Antonio Scurati, auteur d’un monumental triptyque sur le régime de Benito Mussolini, s’est vu censuré par la RAI. Être incapable de rejeter en bloc les rafles, les massacres, les déportations, les millions de morts, les lois raciales et la place de sujets inférieurs réservée aux femmes sous le régime fasciste est pour le moins inquiétant, censurer un auteur qui dénonce ces horreurs est injustifiable.
C’est dans ce climat délétère que le décret autorisant la présence des associations pro-vie dans les dispensaires d’Italie vient d’être adopté au sénat. Des militant.e.s contre le droit à l’avortement pourront ainsi approcher les femmes qui ont décidé d’interrompre leur grossesse afin de les dissuader de le faire. Cette pratique existe déjà dans plusieurs régions administrées par l’extrême droite. De nombreux témoignages font ainsi état d’activistes ayant promis à des personnes, en attente de l’intervention de l’IVG, des sommes d’agent, ou du lait et des couches, pour revenir sur leur décision. Mais aucun financement permettant une vraie politique familiale, ou le versement d’une allocation aux futures mères n’accompagnent ce décret. A l’inverse, l’UE a rejeté les fonds destinés aux associations pro-vie insérés dans le Pnrr (Plan National de Relance et de Résilience) : « Les mesures prévues par le décret italien n'ont rien à voir avec le Pnrr » a éclairci Veerle Nuyts, porte-parole de la Commission européenne pour les Affaires économiques.
La situation est également tendue dans certains services gynécologiques où des femmes ont été contraintes d’écouter les battements cardiaques du fœtus avant leur IVG (1). Une procédure médicale, culpabilisante que les associations pro-life veulent faire adopter, prenant ainsi modèle sur la Hongrie. Entre temps, elles viennent d’obtenir l’adoption du décret pro-life au sénat.
La bataille virulente menée par l’opposition qui a dénoncé « une atteinte aux droits des femmes et à leur auto-détermination » n’a malheureusement pas suffi à le bloquer. Le discours dans l’hémicycle de la députée Gilda Sportiello (M5s), qui a raconté son propre avortement, était vibrant : « Je suis une mère, j'ai choisi d'être mère. Il y a quatorze ans, pourtant, j'ai choisi d'avorter, et savez-vous pourquoi je dis cela ici, dans le plus haut lieu de représentation démocratique de ce pays (...), c’est parce que je ne voudrais surtout pas qu'une femme qui veuille avorter en ce moment se sente attaquée par cet État. Parce que, lorsque je me regarde dans le miroir, je ne me sens ni coupable ni honteuse ». Son intervention courageuse s’est soldée par un harcèlement hargneux la visant sur les réseaux sociaux.
Coups de boutoir à la loi sur l’avortement
Du courage, il en faut pour contrer l’émergence d’une parole décomplexée contre le droit d’avorter qui s’est décuplée au cours des derniers mois. En janvier, la Lega qui fait partie du de la coalition au pouvoir (2) et présente aux élections européennes la candidature du général Vannacci, tristement connu pour ses propos homophobes et anti-féministes, a organisé au début de l’année, une conférence contre le droit à l’avortement à la chambre des députés.
Particulièrement glaçante fut l’intervention de la chercheuse universitaire, Maria Alessandra Varone, pour laquelle l'IVG est inacceptable, même en cas de de viol : « Rien n'empêche que cet enfant (issu du viol, ndlr) puisse ensuite être donné à l'adoption. Rien n'oblige cette mère à continuer sa vie avec lui, mais cela ne l'autorise pas à le tuer, car c'est de cela dont il s'agit et il faut avoir le courage d'utiliser les mots justes (...). » Incoronata Boccia, vice directrice du JT sur Rai 1, se sent elle-même autorisée à s’exprimer devant des millions de téléspectatrices et téléspectateurs dans des termes similaires : « Nous confondons un crime (celui d’avorter, ndlr) contre un droit (la loi 194, ndlr). »
La culture patriarcale a pris aussi l’allure d’un petit théâtre de l’absurde sur le plateau de l’émission « Porta à Porta » (RAI 1) où les invités, venus débattre de l’avortement, étaient uniquement des hommes.
Il serait, cependant, erroné de se focaliser exclusivement sur les coups de boutoir que le gouvernement Meloni vient d’asséner à la loi 194. En effet, cela fait plusieurs décennies que les femmes qui décident d’interrompre leur grossesse en Italie sont empêchées dans leur démarche. Plus de 6 gynécologues sur 10 sont objecteurs de conscience et refusent de pratiquer l’avortement, surtout dans le Sud. Les femmes n’ont accès à l’avortement pharmaceutique (pilule abortive Ru486) que dans trois régions, et seulement depuis 2020.
« Objection de conscience massive, complications bureaucratiques, services limités, pratiques invasives. Bien que l'avortement soit légal en Italie depuis 1978, de nombreux obstacles limitent l'accès à l'interruption volontaire de grossesse», écrit Laura Onofri, présidente de l’Association « SeNonOraQuando ? » de Turin (3).
Dans les faits, tous ces obstacles rapprochent l'Italie de pays européens où l’avortement est pratiquement interdit, c'est-à-dire Malte et la Pologne, et très loin de pays comme la France où l'objection de conscience est de 7 %, le Royaume-Uni où elle est de 10 %, ou les pays scandinaves où elle n’est pas enregistrée du tout.
Un guide pour aider les femmes qui ont choisi l’IVG
Pour faire appliquer la loi et aider les femmes dans le parcours « de la combattante » qu’elles doivent emprunter pour accéder à l’IVG, la publication d’un guide « La tua scelta., Zero ostacoli » (Ton choix, Zéro obstacles) vient à leur secours.
« Il ne s'agit pas seulement d'un guide informatif sur le fonctionnement de l'interruption volontaire de grossesse en Italie, mais aussi d'un outil concret pour réagir aux inefficacités, aux négligences institutionnelles et aux abus. Un guide pour faire valoir les droits des femmes et des personnes enceintes, fruit du travail collectif d'activistes, d'avocats, de gynécologues et d'anthropologues. Pour le construire, nous sommes parti.e.s des centaines d'histoires réelles que nous rencontrons dans la pratique quotidienne des groupes d'entraide, des plateformes et des réseaux féministes. Il se veut un outil utile pour celles qui pratiquent un avortement volontaire et pour celles qui soutiennent ce choix », lit-on dans l’introduction de la brochure.
Ce travail est le fruit d’un projet auquel ont participé un réseau informel de 11 associations (4). Diffusé par plusieurs organisations sur le territoire, dont Amnesty international, le guide rappelle ce qui est prévu par la loi et liste avec une grande clarté tous les cas de figure qui la contraste. En ce sens il aide les femmes très concrètement à dépasser les problèmes spécifiques qu’elles rencontrent pour avoir accès à l’IVG, après avoir pris une décision souvent douloureuse. La brochure s’adresse également aux femmes étrangères et aux personnes trans et non binaires dont le parcours s’avère, dans la plupart des cas, encore plus compliqué.
On ne pourra que saluer les efforts conjugués de cet écosystème féministe indispensable pour combattre la vague obscurantiste qui s’est abattue sur le pays. A quelques 80 ans du 25 avril 1945, la résistance continue...