Crédit photo l'image mise en avant : Idleb - Syrie © Mahmoud Sulaiman
Wafaa, responsable de projets de santé, remonte le fil de ses pensées jusqu’au jour du tremblement de terre de 2023 à Kahramanmaraş, qui a frappé une grande partie du sud de la Turquie et du nord de la Syrie. « Après m’être endormie, vers 3 heures du matin, il s’est passé quelque chose que je n’ai pas compris tout de suite. J’ai entendu des cris d’oiseaux et d’animaux. Nous nous sommes précipités hors de la maison. Il faisait très froid dehors et il y avait de la neige partout. Il n’y avait aucun endroit où s’abriter. Pendant tout ce temps, je n’ai eu peur que pour mon fils, Aram. »
« La nuit a été très difficile, mais nous avons réussi à nous rendre chez nos proches le lendemain matin. C’était terrible ; nous n’avions pas encore vraiment compris ce qui s’était passé. Heureusement pour moi, j’étais en congé de maternité, j’ai donc eu le temps de me remettre sur pied. »
Wafaa nous raconte comment elle a eu recours à l’écriture, au chant choral et au sport pour tenter d’oublier ce qui s’est passé la nuit du tremblement de terre. « Malgré tout, l’idée d’avoir un autre enfant me terrifie encore », déplore-t-elle.
Waad a également vécu ce tremblement de terre et en porte encore aujourd’hui les amères cicatrices, car les événements de la nuit ont affecté son corps et sa santé génésique. Les cicatrices de la césarienne qu’elle a subie pour accoucher de son deuxième fils n’étaient pas encore guéries lorsque la catastrophe a frappé. Elle raconte : « Ma blessure était encore fraîche et la douleur était à son comble. Je ne pouvais pas encore marcher lorsque le tremblement de terre a frappé ; mon nouveau-né avait deux jours. Mon mari m’a crié d’attraper le bébé et de le suivre, et j’ai porté mon nouveau-né alors que ma blessure saignait activement. Nous sommes descendus dans la rue, où il y avait de la neige et de la pluie, et nous sommes restés dehors dans le froid jusqu’à ce que nous trouvions une voiture dans laquelle nous sommes restés pendant quatre jours. Ma blessure s’infectait de plus en plus et j’avais des gonflements. Je n’ai pas cessé de trembler pendant des jours après le séisme. La terreur que j’ai ressentie pour mon nouveau-né et ma fille me hante encore. Je suis toujours un traitement hormonal car les saignements ont entraîné des complications gynécologiques ; j’étais en période post-partum à l’époque. »

« Je n’y ai pas encore survécu. »
Un an après l’événement, Manal Kheir, originaire de Lattaquié, a elle aussi vécu le tremblement de terre : « Je n’y ai pas encore survécu, me dit-elle, des larmes coulant sur son visage. Je fais partie des 200 000 personnes dont les médias n’ont même pas parlé. Pas même en tant que chiffre, en tant qu’événement. C’est comme si nous avions été rejetés, abandonnés par la nature, par le gouvernement et par toutes ses grandes institutions. Aucun d’entre eux ne nous a accordé la moindre attention. Certains parmi nous ont pu se réfugier dans des abris, mais d’autres n’ont pas eu cette chance. Nous avons dû nous débrouiller seuls. Nous sommes restés dans une école et avec mes enfants nous avons vraiment souffert de sa saleté. Les trois mois que j’ai passés dans le refuge n’ont pas été simples. Ma fille était en pleine la puberté et c’était vraiment d’utiliser des toilettes aussi sales et n’avoir aucune serviette hygiénique. Nous avons dû utiliser des tissus non stériles, et aussi bien elle que moi avons contracté des infections dont nous souffrons aujourd’hui encore. »
Jacqueline, qui a travaillé comme bénévole tout au long de la catastrophe, se souvient : « Malgré tous les efforts que nous avons déployés pour accueillir dans des abris toutes les personnes déplacées par le tremblement de terre – et en plus il y avait des centaines de bénévoles – de nombreuses familles n’ont pas pu trouver d’endroit où se réfugier parce qu’il y avait très peu d’hébergements (environ 40). Certaines sont donc allées chez des proches, d’autres sont restées dans les ruines de leur maison. Quant aux écoles qui ont été transformées en refuges, nous avons fait beaucoup d’efforts, mais il y avait si peu de ressources. Il n’y avait pas assez de salles de bain et pas assez d’aide pour le grand nombre de gens sans abri. D’autant plus qu’il y avait des personnes âgées, des malades chroniques, des femmes enceintes ou allaitantes et, plus difficile encore, des femmes qui venaient d’accoucher et qui avaient besoin de soins particuliers. Nous avons fait de notre mieux pour les assister. »

Jacqueline explique que son travail bénévole sur le terrain lui a réellement montré les problèmes supplémentaires dont souffrent les femmes dans de telles situations, comme l’absence de sanitaires non mixtes, de produits et d’installations hygiéniques, notamment celles destinées aux soins maternels. A cela s’ajoutent le manque de sécurité, d’intimité et de support.
Dans ces centres, les hommes, les femmes et les enfants utilisaient tous les mêmes sanitaires. Les femmes souffraient donc de ne pas avoir d’endroit privé où changer leurs serviettes hygiéniques (quand elles en trouvaient), se doucher ou laver et désinfecter leurs vêtements. La situation dans laquelle elles se trouvaient était d’autant plus difficile à gérer qu’elles venaient de vivre une catastrophe.
Infections, naissances prématurées et fausses couches
La gynécologue Sherine Jamal raconte avoir vu « des femmes enceintes, des femmes en post-partum et des femmes allaitantes qui ont dû commencer à boire moins d’eau pour ne pas avoir à utiliser les toilettes communes des centres d’hébergement. Non seulement elles étaient communes, mais leur accès n’était pas facile, trop de monde les utilisait et elles étaient sales. Il y en avait trop peu. »
« À cause de tout cela, de nombreuses femmes ont développé des infections gynécologiques, et les fœtus et les nouveau-nés souffraient d’insuffisance pondérale. Les bébés étaient mal nourris, qu’ils soient nourris au sein ou non ils n’avaient pas assez de lait. Il y a également eu beaucoup de naissances prématurées et de fausses couches parce que les femmes avaient peur, à cause du manque de structures médicales appropriées. »
Outre le tremblement de terre et la catastrophe qu’il a laissée dans son sillage, la Syrie avait déjà été frappée par des conflits et souffrait de pauvreté, de misère et de violence contre les femmes, les enfants et la société dans son ensemble. Tout cela a exacerbé les répercussions du tremblement de terre sur la population, en particulier sur franges les plus vulnérables, dont les femmes.
Chiffres officiels

En Syrie, environ 1,5 million de femmes touchées par le tremblement de terre sont en âge de procréer. Les équipes mobiles du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) ont fourni des kits de produits hygiéniques et de médicaments dans les villes touchées par le tremblement de terre, mais cela n’a pas suffi à couvrir l’ampleur et l’urgence des besoins.
Une force vitale
Malgré la frustration et la peur qui les a touchées, les histoires de survivant.e.s, comme celle de Najat, doivent être racontées. Cette travailleuse sociale a en effet réussi à transformer sa douleur en espoir pour les autres. Après avoir perdu son enfant et le bébé qu’elle portait pendant le tremblement de terre, avec ses deux fils restants ont approché les très jeunes qui étaient restés dans la rue, ceux que le tremblement de terre avait transformés en orphelins.
Ainsi s’est-elle occupé de 10 enfants pendant plusieurs mois, car Najat, malgré sa douleur, a fait preuve d’une incroyable force vitale pour eux. Elle les a aidés, leur a offert tout le soutien possible et les a sauvés de la rue et de la mort.