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Nourhane Charfeddine
La mère obtient effectivement la preuve : la fille se coupe la main et mouille de son sang un tissu blanc pour attester sa « virginité ».
C’est une scène de la série libano-syrienne « Ala amal » [Avec l’espoir] qui pose pour la première fois, avec audace, ce problème auquel sont confrontées les femmes.
« Aa amal » dévoile les falsifications du système médiatique
Dans la série libano-syrienne « Aa amal », écrite par Nadine Jaber ( réalisation Rami Hanna et production Jamel Sinan), la journaliste Yassar, jouée par la comédienne Maguy Bou Ghosn, met en lumière les difficultés rencontrées dans le secteur des médias par les femmes, y compris celles qui réussissent et sont influentes.
Les médias apparaissent comme un moyen de mettre en évidence les problèmes des femmes, mais il est également un moyen de pression et de chantage vis-à-vis d’elles. C’est ce à quoi est exposée Yassar suite à la publication de photos la montrant avec sa fille et l’accusant d’être une sugar mommy1 qui noue des relations avec des filles jeunes qu’elle entretient, en plus d’appartenir à la communauté LGBT. Or le système patriarcal qui chante les louanges de la famille et sacralise le rôle qu’y tient la femme, porte atteinte à celles qui refusent ce système.
Mais, que les médias soutiennent les femmes ou les attaquent, la priorité est donnée au trend et à l’argent gagné par les propriétaires de ces médias. Et si la femme décide de choisir la neutralité pour se préserver ou préserver sa famille, le plus souvent son contrat de travail est annulé ou bien elle est sanctionnée sous prétexte que ses opinions sont en contradiction avec la ligne éditoriale du média dans lequel elle travaille. Il en va ainsi pour Yassar.
Ces procédés favorisent les divisions entre femmes journalistes à travers la « jalousie » et la concurrence déloyale. « Aa amal » fait allusion à l’idée que « l’ennemie de la femme est la femme » puisque c’est une collègue de Yassar qui rend publiques ses photos. Cette dernière est en elle-même un vrai cliché, d’ailleurs son assistant ne cesse de l’appeler « Barbie » en référence à sa beauté surfaite.
Dans un monde parallèle, et dans un village libanais apparemment reculé, vit une famille musulmane : ce détail ne change rien au crescendo dramatique de l’histoire, mais il a provoqué une huée de critiques remettant en cause l’image stéréotypée des femmes portant le hijab dans les séries, qui ont pris aussi l’habitude de les représenter trop souvent comme victimes de violence.
La femme qui porte le hijab apparaît comme « seconde épouse » après que la première n’a pas réussi à enfanter et à son tour, elle est sans cesse menacée d’être remplacée par une « troisième épouse » parce qu’elle n’a pas eu « le garçon » tant attendu, de même que le mari utilise la carte de la « troisième épouse » pour faire pression chaque fois que se disputent « la première et la seconde épouse ».
Brandie comme un épouvantail, « la troisième épouse » est ainsi dépouillée de sa dimension humaine. Elle n’est citée que dans un jeu de récompense et de punition : si les deux épouses « désobéissent », le mari les menace d’en prendre une troisième, qui disparaît tant que les deux premières ne sortent pas du cadre de son « pouvoir ».
« Certaines séries représentent les femmes villageoises qui portent le hijab, et donc particulièrement les musulmanes, comme victimes de violence, explique Rabih Farran, journaliste et critique libanais. Cela démontre l’ignorance de leur auteur. En effet, ce poncif permet de détourner les yeux de la réalité qui prouve que la violence contre les femmes n’est pas le monopole d’une religion ou d’une communauté précise, elle existe malheureusement dans toutes les communautés. Il faut donc mettre en scène des personnages neutres qui ne symbolisent pas une religion ou un milieu précis. »
La série « 2024 » : sélective dans la défense des femmes
La série « 2024 » est la suite de la série « 2020 », écrite par Bilal Chehadet, réalisation de Philippe Asmar, c’est une collaboration libano-syrienne. La première partie raconte l’histoire de la capitaine Sama Aql, rôle joué par la comédienne Nadine Nassib Najim, qui s’est chargée de la mission de se venger des assassins de son frère : une milice terroriste qui vit aussi dans un village reculé.
Dans la première partie, Nadine porte un hijab pour cacher sa véritable identité après être entrée comme femme de ménage chez Safi Dib, le chef de la milice, joué par le comédien syrien Koussay Khouly. L’ironie de l’histoire, c’est que Najim porte le hijab dans sa nouvelle vie, après avoir abandonné l’identité de capitaine pour devenir une femme pauvre cherchant à gagner son pain. Cela se passe avant qu’elle ne tombe amoureuse de Safi Dib qui lui prouve son amour quand il refuse de la tuer.
Les forces de sécurité aident Sama à se cacher dans un village perdu durant trois ans en attendant que soit capturé le successeur de Safi Dib qui s’est suicidé.
Dans la nouvelle saison, Sama revient en ville après que les forces de sécurité ont arrêté au Liban Nadhem Dib, le cerveau de la milice, alors que son fils revient de voyage pour se venger de Sama et enlève sa fille. Sama décide de la retrouver.
Le paradoxe, c’est que l’appareil sécuritaire qui échoue sur le terrain à punir ceux qui commettent des actes violents : les harceleurs et les violeurs, qui échoue à mettre un terme à la campagne de diffamation contre la journaliste Yassar, qui échoue à défendre les droits de la femme tuée par son mari dans la série « Aa amal », réussit en revanche à protéger Sama et sa fille.
La différence entre les deux séries met en évidence la classe de femmes que les forces sécuritaires acceptent de secourir. Ce sont des personnes qui ont des relations avec le pouvoir ou avec les forces de sécurité, c’est à ce titre qu’elles parviennent à prendre le dessus contre la partie adverse qui les a violentées. Quant aux femmes les plus faibles, elles sont abandonnées à leur sort.
« Traiter les problèmes des femmes est une chose positive et nous possédons de grands talents féminins, commente Rabih Farran. Mais le plus souvent, le texte n’est pas à leur avantage parce que nous manquons de bons scénaristes au Liban. Le texte enlève leur prestige aux comédiennes et la perfection est empêchée par la faiblesse du texte. Nous avons besoin d’histoires qui ne soient pas banales, ou d’un traitement plus original. Il nous faut aussi de nouveaux comédiens afin de créer une tension dramatique qui s’adresse à toutes les couches sociales. »
Malgré les stéréotypes et les falsifications phallocrates qui se glissent parfois dans les séries de ramadan, certaines de ces productions ont tout de même le mérite de cerner la réalité des femmes, les grands problèmes qu’elles rencontrent et qui les empêchent de dormir.