Par Inès Atek
Ce vendredi 8 mars a été un jour sous le signe des intempéries. A Marseille, la moindre goutte d’eau semble ralentir le rythme de la ville. Pourtant, malgré les bourrasques d’un vent violent et sous une pluie battante, les collectifs et associations de la deuxième ZOF de la cité phocéenne ont tenu leur engagement. Le plateau radio animant les débats et offrant les perspectives féministes de différentes organisations, collectifs et associations a finalement été déplacé à la Dar (centre social autogéré situé rue d’Aubagne), pour des raisons de sûreté technique.
Ces prises de paroles diffusées sur les ondes de Radio Galère et sur le stream de Radio Rageuse sont celles d’acteur.ices locales. Elles offrent un retour sur les actions menées à Marseille tout en s’ancrant dans un contexte allant du national à l’international. Qu’iels se définissent comme queer, afroféministes, anti-fascistes, anti-racistes, transféministes et/ou décoloniales, le mot d’ordre partagé demeure le même : “ détruire le système patriarcal et toutes les oppressions qui lui sont liés” comme le soulignait une des militantes du collectif Marseille 8 Mars (M8M). La ZOF maintenue s’est tenue de 14h à 18h jusqu’au départ de la manifestation.
Pour une convergence des luttes
Les oppressions et les discriminations sont aussi diverses que la pluralité des réalités féminines. L’échantillon des collectifs et associations présentes sous l’ombrière du Vieux-Port a sans doute permis de mettre en lumière dans l’espace public la multiplicité des luttes de femmes. En tout, une dizaine de stands sont accolés les uns aux autres et répondent chacun à un besoin de visibilité des combats qui y sont représentés.
Ainsi, Nous Toutes, Coeur de Cagole, Règles Élémentaires, Transat, le Syndicat des Avocats de France, Adelphi’Cité, l’ARCAF (Association d’Autodéfense et de Ressources pour le Choix et l’Autonomie des Femmes), Riposte Antifasciste Marseille, Marseille 8 Mars (M8M) ou encore Urgence Palestine Marseille (UPM) offrent la possibilité aux passant.es courageux.ses de s’informer, d’obtenir des conseils et de participer à des ateliers, collectes de dons et de protection périodique.
Si le temps maussade apporte une touche dramatique à la scène, les participant.es se mêlent les un.e.s aux autres avec effervescence. L’importance de répondre à l’appel de cette grève féministe est étroitement liée à la nécessité de sortir de l’invisibilité et, surtout, de créer des réseaux de luttes intersectionnelles. La capacité d’agir ou agency sont des concepts centraux pour lesquels la libération doit se faire en partant de l’intérieur des luttes sans figures patriarcales. On peut retrouver cette idée sous la forme d’un slogan sur une pancarte : « Ne me libère pas, je m’en charge ».
Une des représentantes de l’association Adelphi’Cité (œuvrant pour la défense des droits fondamentaux et intervenant en particulier dans des secteurs paupérisés) affirme à propos de leur combat : « C’est une lutte qui est très dure et qui a commencé il y a longtemps. Si on ne la fait pas ensemble, on risque de ne pas y arriver. Il faut faire converger nos batailles. Toujours. »
Cette attente est partagée par une autre personne animant l’atelier d’écriture de lettres aux prisonnières politiques palestiniennes. Fatiguée par la pluie et par la musique diffusée sur un système son de fortune, elle s’écarte du stand UPM afin de pouvoir communiquer sans avoir à élever la voix. Elle note l’absence de la question des femmes palestiniennes avant le 7 octobre alors que leur lutte remonte à la colonisation britannique. Permettre à l’histoire de ces femmes de s’inscrire profondément dans les luttes féministes renvoie à une forme de reconnaissance, à l’arrêt de la négation de leurs conditions.
Ainsi, la militante pointe l’entremêlement du féminisme et de la cause palestinienne : « Les deux choses sont liées parce que d’un côté tout le travail que font les femmes palestiniennes, en prison comme en dehors, repose sur la relation entre la libération de la terre et la libération des femmes. C’est d’ailleurs un de leurs slogans : “Il n’y aura pas de libération de la terre sans la libération des femmes”. [...] Et puisque la lutte anti-coloniale palestinienne est un combat contre toutes les formes de domination, alors la cause féministe lui est inhérente. [...] Les liens doivent se faire, il faut qu’il y ait des transmissions entre les luttes, qui se font parfois échos. »
Des ateliers pancartes, conseils juridiques gratuits et chorale féministe : une dynamique commune
La complexité des féminismes s’est déclinée en plusieurs ateliers qui se sont déroulés à l’abri de la pluie. Panels de cartons posés sur le sol encore humide, les militant.es et participant.es s’affairaient à trouver des slogans percutants pour la manifestation de 18 heures. Une chorale s’est formée, initiée par Les Rascasses, un groupe autogéré féministe au répertoire révolutionnaire, anti-capitaliste et anti-patriarcal. Iels sont une dizaine de personnes, munies d’un recueil de chansons à prix libre, à entonner un hymne aux poils ou encore un refrain railleur d’Anne Sylvestre.
Juste en face, plusieurs tables sont installées par les avocates de la commission féministe rattachée au Syndicat des Avocats de France. Spécialisées en droit de la famille, droit pénal, droit du travail et droit des étrangers, en ce 8 mars, elles se sont fixées pour mission de dispenser des conseils juridiques gratuits pour les femmes et personnes LGBTQIA+. Elles y présentent également un livret élaboré avec soin, visant à informer sur les droits des personnes victimes de violences sexistes et sexuelles tout comme sur les discriminations au travail. Leur volonté est de mieux informer les personnes qui, le plus souvent, n’ont pas accès à ce type de conseils, parfois très onéreux.
La complexité d’un combat judiciaire peut pousser à abandonner très vite la volonté que justice soit rendue. L’une d’elles souligne : « Les personnes peuvent se confronter à des institutions qui ne sont pas suffisamment formées pour accueillir la parole des victimes de violences. Il est nécessaire parfois d’avoir des conseils et du soutien de la part d’associations qui peuvent expliquer comment ça se passe. » En effet, la justice n’est pas fluctuante, c’est un corps ancré dans un système régi par des normes dominantes. Elle est le reflet de représentations sociales politisées, en ce sens l’une des avocates suggère : « Il faut ramener dans le débat judiciaire des éléments sociologiques. »
Ce qui émane de la plupart de ces stands et ateliers est la nécessité d’apporter des outils, allant de stages d’autodéfense physique et psychologique dispensés par l’ARCAF en passant par la présentation du violentomètre. Ce dernier a pour vocation d’établir le degré de toxicité ou de santé d’une relation amoureuse, en établissant des critères sous la forme d’une règle à mesurer les violences.
Si la pluie et le vent avaient fini par éreinter les participant.es et annonçait un cadre météorologique maussade pour le départ de la manifestation, une accalmie est apparue aux alentours de 18 heures. De bons augures pour la marche et la foule qui s’est finalement étendue à l’entièreté de l’ombrière.