Alors que les tensions internationales autour d’Israël et la Palestine ne cessent de croître, l’armée israélienne continue à bombarder les civils Palestiniens. Entre le 8 et 23 octobre, Israël a assassiné 4650 personnes (chiffres communiqués par les responsables palestiniens de la santé à Aljazeera), et bombardé plusieurs infrastructures dont l’hôpital Al-Ahli avec plus de 500 tués. Plus d’un million de personnes ont été déportées du Nord de Gaza, des milliers de personnes sont blessées, les bombardements sont aléatoires et la population palestinienne vit sous des tensions et une terreur extrêmes. Israël exerce un véritable blocus sur Gaza, où l’électricité et l’eau ont été coupés. Ces bombardements, qui sont loin d’être les premiers, sont légitimés par le gouvernement israélien suite à l’attaque du Hamas du 07 octobre dernier, faisant 1300 morts israéliens.
Dans ce contexte, une traque et censure des Palestiniens et des pro-Palestine s’exerce en Occident. Des artistes, sportif.ve.s, journalistes sont censuré.es, diffamé.es, black-listé.es et renvoyé.es. Tout soutien à la Palestine est qualifié de pro-islamisme et/ou d’antisémitisme, créant un véritable climat totalitaire et antidémocratique. L’occident impose ainsi le soutien du colonialisme d’Israël à travers l’annulation de la remise du prix à l’autrice Adania Shibli, l’assignation à résidence de la militante féministe Mariam Abu Daqqa, et l’attaque envers les soutiens de la Palestine.
La cérémonie de remise de prix LiBeraturpreis 2023 que devait recevoir l’autrice palestinienne Adania Shibli pour son livre « Un détail mineur » lors de la foire du livre de Frankfurt, a été annulée le 13 octobre par les organisateurs. Il est à rappeler que le livre a été taxé d’antisémitisme par deux journalistes et un critique littéraire. L’annonce de l’annulation a été faite via un communiqué où les organisateurs de la foire ont évoqué la volonté de rendre « les voix juives et israéliennes particulièrement audibles. » La principale raison serait « la guerre déclarée par le Hamas », explique les organisateurs qui ont tenu à ajouter que l’annulation de la cérémonie avait été décidée d’un commun accord avec l’autrice, ce que cette dernière a nié. La rencontre avec le public et Adania Shibli a également été annulée. Suite aux vives critiques que la foire a reçues de la part d’écrivaines et de personnes du monde de la littérature, les organisateurs ont précisé le lendemain, 14 octobre, que « les voix palestiniennes se feront aussi entendre lors du salon du livre. » Pourtant, dans les faits, tout a été remanié de manière à rendre les voix palestiniennes inaudibles.
Pour rappel, Le roman est construit à partir d’un fait réel relaté par le quotidien israélien, Haaretz, en 2003. Il s’agit de l’histoire d’une jeune palestinienne qui a subi un kidnapping et un viol collectif par des soldats de l’armée israélienne en 1949, qui l’ont ensuite assassinée et enterrée.
Le jour même, plusieurs associations, éditeurs.trices et écrivain.e.s des pays arabes se sont retiré.e.s de la foire tout en dénonçant le génocide en cours en Palestine. Il s’agit entre autres de L’autorité du livre de Sharjah, l'Association internationale des éditeurs arabes, L'Association des éditeurs émiratis, et PublisHer, un réseau d’éditrices. Les écrivain.e.s syrien.ne.s Mohammad Al Attar et Rasha Abbas, qui devaient participer à un panel organisé par la même foire, annoncent leur retrait en soutien à Adania Shibli. Le 16 Octobre, une tribune contre l’annulation de la remise du prix à l’écrivaine palestinienne a été publiée par « Le Monde », elle est co-signée par 600 autrices et auteurs, traductrices et traducteurs, éditrices et éditeurs dont, entre autres, trois Prix Nobel de littérature : Annie Ernaux, Abdulrazak Gurnah et Olga Tokarczuk.
D’autres soutiens se sont aussitôt élevés dans les pays arabes : ainsi, l’éditeur tunisien Habib El Zoghbi a annoncé que sa maison d’éditions Dar El Kitab prendrait en charge la publication et la distribution de toutes les œuvres d’Adania Shibli, notamment dans les salons du livre arabes et internationaux, en solidarité avec le droit à la création et au droit d’être Palestinien. Le 19 octobre, la foire du livre égyptienne « Zayed » a honoré l’autrice.
La liberté d’expression, la paix et la justice deviennent des mots creux lorsqu’ils ne sont appliqués que pour appuyer la censure, la violence et l’injustice et maquiller ce qu’est réellement Israël : à savoir un État colonialiste.
En France, la censure des Palestiniens et des pro-Palestine bat son plein.
Mariam Abu Daqqa, philosophe palestinienne, militante féministe et anticoloniale, membre du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) a été assignée à résidence à Marseille le 16 octobre sur ordre du ministre de l’intérieur Darmanin avec un arrêté d’expulsion, cet arrêté a été suspendu par le tribunal administratif de Paris le 20 octobre, que le juge des référés a estimé comme « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression et à la liberté d’aller et venir » selon l’Agence France-Presse, mais le ministre de l’intérieur compte faire appel.
Mariam Abu Daqqa vit à Gaza, elle est venue en France avec un visa court séjour pour donner une série de conférences, organisées par l’Union Juive Française pour la Paix, sur les conditions de vie des Palestiniens. Ses conférences ont été interdites par des préfectures locales ; elle a également subi plusieurs intimidations, avant que l’ordre d’expulsion ne soit prononcé. La militante féministe est assignée à résidence de 22h à 07h et doit se présenter tous les jours au commissariat selon le journal France 3 Provence-Alpes. Pour le ministre de l’intérieur, c’est l’appartenance de la militante au FPLP qui lui a valu l’arrêté d’expulsion dont elle fait l’objet. Selon ce dernier, il s’agit d’une « organisation inscrite sur la liste de l’Union européenne faisant l’objet de mesures restrictives dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ». Or, Mariam Abu Daqqa s’est limitée à dénoncer les bombardements d’Israël qui ont fait des milliers de mort. Elle a, d’ailleurs, déclaré à Médiapart qu’elle a déjà perdu trente membres de sa famille sous les frappes israéliennes.
Tout soutien à la Palestine est devenu suspect, la censure allant jusqu’à toucher les sportifs. Ainsi, la joueuse tunisienne de Tennis, Ons Jabeur, a exprimé sur son compte Instagram son soutien au peuple palestinien : « Ce que vivent des civils innocents est indescriptible ; quelle que soit leur religion ou leur origine. La violence n’apportera jamais la paix ; je ne peux pas tolérer la violence, mais je ne peux pas non plus supporter que les gens se voient confisquer leurs terres. Il est nécessaire de comprendre le contexte... Chacun mérite la paix. Arrêtez la violence... Liberté pour la Palestine ». La réaction israélienne ne s’est pas fait attendre : la Fédération israélienne de tennis a déposé une plainte officielle auprès de la WTA (Women’s Tennis Association) réclamant que des sanctions soient prises à l’encontre de la sportive, arguant que : « Cette joueuse de tennis incite et soutient une organisation terroriste meurtrière et nazie ».
Tout soutien à la Palestine est qualifié de pro-islamisme et/ou d’antisémitisme, créant un véritable climat totalitaire et antidémocratique.
De son côté, le footballeur international français Karim Benzama a publié sur X (ex-twitter) un post en soutien à la population de Gaza : « Toutes nos prières pour les habitants de Gaza victimes une fois de plus de ces bombardements injustes qui n’épargnent ni femmes ni enfants. » Suite à cela, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a accusé le footballer le 16 octobre d’être en lien notoire avec Les frères musulmans. Dans son sillage, la sénatrice Valérie Boyer a réclamé la déchéance de nationalité du Ballon d’or, la députée européenne Nadine Morano a dit de lui qu’il "se comporte en Français de papier". En plus d’être diffamatoires, ces propos sont profondément racistes et anti-démocratiques. Darmanin accuse Karim Banzama d’être dans la solidarité sélective, lorsque lui-même est dans la solidarité sélective défendant Israël contre vents et marées, malgré tous les bombardements et massacres dont les Israéliens sont responsables. Suite à ces accusations, l’avocat de Karim Benzama a communiqué qu’il envisageait de déposer plainte contre le ministre Darmanin et la députée Nadine Morano. Cela n’empêche pas d’autres footballeurs de soutenir la Palestine, à l’exemple des footballeurs internationaux Riad Mahrez et Mohamed Salah.
Du côté événementiel, l’Institut du Monde Arabe à Paris a annulé plusieurs manifestations culturelles prévues dans le cadre de l’exposition « Ce que la Palestine apporte au monde ». En cause, l’attaque de Hamas : « Une semaine après que des centaines de civils ont été tués lors d’un festival de musique électronique, il était inconcevable de la maintenir ». La pièce « And here I am » du palestinien Ahamed Tobasi a été été annulée par le maire de Choisy-le-Roi, « en signe d’apaisement et de respect pour toutes les victimes » de l’attaque du Hamas. Mais ce dernier s’est bien gardé de commenter les milliers de victimes civiles mortes sur la Bande de Gaza pilonnée par l’aviation israélienne.
La pièce retrace l'histoire de l'auteur, de sa naissance dans un camp de réfugiés en Cisjordanie à son engagement politique et artistique via le théâtre. Elle a pu être jouée le 13 et 14 Octobre à Bordeaux, en plus du spectacle « Loosing it » de Samaa Wakim et Samar Haddad King qui racontent la vie des Palestiniens sous les bombardements, leur volonté de survivre et de lutter, et l’impact que ces agressions continuelles ont sur leur santé mentale. Les organisateurs des spectacles à Bordeaux ont exprimé leur solidarité via un communiqué : « Nous pensons qu’annuler l’accueil de ces spectacles serait une persécution de plus à l’encontre d’artistes déjà en péril. Nous pensons que le contexte actuel en réaffirme l’impérieuse nécessité. Faire entendre cette parole, c’est faire la place à d’autres voix que celles de l’extrémisme et de la violence. »
Malgré l’annulation et la censure, plusieurs acteurs culturels et de la société civile continuent à se mobiliser pour rendre la voix des Palestinien.ne.s audibles. La liberté d’expression, la paix et la justice deviennent des mots creux lorsqu’ils ne sont appliqués que pour appuyer la censure, la violence et l’injustice et maquiller ce qu’est réellement Israël : à savoir un État colonialiste.