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Le quotidien Le Soir d’Algérie, l’un des doyens de la presse francophone indépendante, a dans ses pages un magazine Femme vieillot et exclusivement dédié aux recettes de cuisine, astuces de beauté et autre décoration et sur toutes les activités censées être féminines. Ce n’est pas tant le choix éditorial de consacrer une page aux recettes de cuisine qui interpelle, mais plutôt l’assignation de ce contenu à la « Femme ». En ce sens un magazine Cuisine aurait été plus égalitaire.
Dans un autre quotidien francophone, L’Expression, né dans les années 2000, la chronique judiciaire est truffée de clichés et de stéréotypes sexistes où les « valeurs » de l’homme fort sont régulièrement encensées. Ainsi dans sa livraison du 18 avril 2023 on y lit, à propos d’un échange entre une magistrale et un avocat, « alors, relevant les manches de sa robe noire, il dit à haute voix, dans le but certain de bien se faire entendre : “Madame la présidente, je suis désolé mais je proteste énergiquement contre votre désagréable commentaire, qui n'a rien à voir avec notre profession. Si, par hasard, j'apprenais que madame, mon épouse, qui est une présidente de chambre dans une cour voisine, avait le même comportement, il ne lui restera qu'à se rendre en cuisine, préparer de délicieux plats dont elle possède le secret, et balancer sa robe noire.” La mise au point effectuée, le conseil se retira, laissant la juge bouche-bée, incapable de rétorquer la moindre excuse fût-elle. »
Et encore, dans le numéro du 11/03/2023, un journaliste décrit une séance au tribunal en ces termes : « Pour une première, c'en est une, et une très grosse : un père de famille a fait, depuis un bon moment, l'objet de harcèlement sexuel de la part d'une fille, plus que très laide, dont l'âge allait droit sur plus de la moitié de quarante ans, alors que la victime (était) un beau grand garçon, au corps élancé, d'acteur yankee des années 30, habillé d'un jeans texan, au visage angélique, barré d'une très belle barbe poivre et sel. »
Même le 8 mars, l’agence de presse officielle réduit les femmes à la « gent féminine », à propos d’une manifestation qui leur serait entièrement dédiée : « le salon exposera une sélection variée de produits et d'offres dédiés à la consommation de la gent féminine, à savoir des produits de cosmétique, des parfums, des bijoux, des productions artisanales, des appareils électroménagers, du prêt-à-porter, en plus de la dégustation de gâteaux traditionnels et modernes, avec un espace mère-enfant ».
Ces exemples paraissent pourtant bénins si on les compare aux tabloïdes et leurs télévisions, tels que Echourouk ou Ennahar. Ces deux médias, qui ont opté pour le scoop graveleux, les stéréotypes racistes et machistes s’emploient à dégrader l’image des femmes et encore plus violemment les militantes féministes. Leurs articles sur les féminicides tentent grossièrement d’humaniser l’agresseur par des circonstances atténuantes et au besoin par le comportement de la victime. Jugeons-en : « Cet Algérien de 50 ans, sans antécédent de violences conjugales, a expliqué aux enquêteurs que tout serait lié à des problèmes d’argent entre le couple. Le lundi 30 janvier après-midi, alors que les trois enfants d’Assia et de Lakhdar n’étaient pas là. Il aurait dit à son épouse : “ Il faut que tu m’aides, je n’y arrive pas, on a diminué mon salaire de moitié.” Et elle lui aurait répondu : “ Je m’en fous, j’ai pas d’argent.” Lakhdar aurait ensuite pris le sac de sa femme, en apercevant beaucoup d’argent en liquide à l’intérieur. L’agresseur est présenté par son prénom comme un père de famille dépassé par les soucis face à une femme insensible et forcément vénale.
Nul besoin en réalité d’aller beaucoup en profondeur pour mesurer le parti pris sexiste des médias algériens face aux violences faites aux femmes. L’affaire Chaïma, la jeune fille violée et brûlée, a donné toute la mesure du potentiel masculinise et rétrograde*. Malgré tout, la presse écrite est loin d’égaler en provocation les télévisions privées. Echourouk TV, pour ne citer qu’elle, très populaire chez les 18-49 ans, avec près 41 % de part d’audience parmi les chaînes généralistes, se distingue le 5 juillet 2020 par une émission « Mon mari est mon paradis » (sic) au cours de laquelle une femme s’agenouille sur le plateau pour embrasser les pieds de son mari, en signe de soumission sous les yeux de l’animatrice ravie.
Médias publics et privés entretiennent une image dégradée des femmes distinguant à coups de stéréotypes la « bonne mère », l’Algérienne authentique respectueuse des traditions de l’Algérienne occidentalisée, réfractaire aux injonctions sexistes. Cependant l’action des féministes a permis à la thématique des violences faites aux femmes d’entrer peu à peu dans le menu des médias, qui commencent à utiliser le terme de « féminicide » au lieu du tristement célèbre « crime passionnel ». Il reste à conquérir la publicité, les productions de fiction qui continuent de donner aux personnages féminins le rôle de la mère de famille soumise ou de la mégère acariâtre, voire pire.