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Le dernier long métrage du duo Adila Bendimerad et Damien Ounouri fera date dans l’histoire du cinéma algérien parce qu’il en casse tous les codes esthétiques et sémantiques. Le public algérien est, depuis des décennies, abreuvé de comédies sociales ainsi que de productions d’inégale qualité sur la période coloniale et la guerre de libération. Un film d’époque sur l’Algérie d’avant la colonisation est donc une première.
La Dernière Reine est l’histoire d’une reine, ou plus précisément de deux reines co-épouses du sultan d’Alger Salim El Toumi. Le personnage féminin principal est Zaphira dont l’existence est contestée par les historiens mais dont la légende est très forte. L’autre Chegga est une reine berbère, une guerrière dans la lignée des figures historiques féminines de la résistance aux différents envahisseurs...
Les deux femmes vont dans une grandiose chorégraphie de sang, de furie et de courage se battre pour protéger leurs familles et leur pays. Ce premier vrai film d’époque algérien nous porte dans cette Alger magnifique convoitée par tant d’appétits depuis toujours.
En 1516, les Espagnols occupent la ville. Appelé à la rescousse, le légendaire corsaire Aroudj Barberousse arrive pour libérer la région. Les scènes de bataille dans le magnifique décor des plages algéroises, sous la lumière d’un ciel bleu parfait sont filmées comme une fresque picturale.
On passe de cette violence des armes, et des corps qui s’entrechoquent, au luxe du palais royal. Zaphira (incarnée par Adila Bendimerad elle-même), femme du roi Salim El Toumi, se divertit avec ses amies, toutes dans de somptueux costumes algérois. Zaphira est espiègle, forte et passionnée. Elle exige de son époux qu’il soit plus présent et prépare son jeune fils à l’avenir de monarque qui l’attend.
Ce que l’on pressentait au début du film se confirme lorsque Barberousse après avoir enfin battu l’envahisseur espagnol, s’allie au roi Salim et accède aux plus hautes fonctions du pouvoir. Cependant le pirate, soutenu par ses frères et leurs hommes, ne se contente pas de cette réussite. Il veut aussi prendre Alger et sa reine Zaphira "Je prendrai son palais, je chevaucherai son cheval, et sa femme", proclame-t-il à ses compagnons.
Le roi Salim ne tarde pas à être retrouvé assassiné dans son hammam. Comme le veut la tradition, Zaphira, désormais veuve, doit retourner vivre dans sa famille avec son fils. Mais elle refuse d’abdiquer et tient tête à ses frères et aux assauts de Barberousse qui veut l’épouser.
L’oeuvre de Adila Bendmerad et de Damien Ounouri gagne le pari de rendre hommage à des figures féminines fortes, authentiquement algériennes, qui parlent l’algérien, portent des vêtements algériens et évoluent dans des intérieurs, comme ceux que l’on peut encore visiter dans la capitale, à Tlemcen ou à Constantine. De véritables repères identitaires si souvent exclus des productions audiovisuelles.
La grande prouesse de ce film reste la réinvention, si l’on peut dire, des costumes d’époque qui font écho aux tenues portées aujourd’hui encore par les Algériennes. En cela on peut dire que La Dernière Reine est en quelque sorte «le Barry Lindon» algérien.
Comme dans le chef d’œuvre de Stanley Kubrick, sorti en 1976, l’effort de reconstitution dans La Dernière Reine d’une époque qui faire revivre une ambiance, montre des codes vestimentaires, est remarquable. Le travail de Stanley Kubrick lui a valu l’oscar de la meilleure création de costumes. Cependant le cinéaste avait eu à sa disposition des livres, des peintures, des archives pour chaque détail. Adila et Damien, pour leur part, ont dû recréer et reconstituer à partir de bribes d’histoire, faisant parler des lambeaux de patrimoine, pour nous projeter dans Alger du 16ème siècle.
Adila, lors de la récente projection en avant-première à Paris a confirmé cette difficulté à rendre en images cette époque : «la colonisation a effacé le patrimoine culturel d’Alger. Il a fallu recréer les costumes, rendre à Alger sa méditerraneité, son africanité », a-t-elle précisé.
Un membre de l’équipe de tournage se souvient qu’ils avaient trouvé à profusion des documents sur les tenues des soldats espagnols mais aucun indice sur celles des combattants algériens de cette époque. De fait le spectateur algérien a toujours vu dans les productions nationales ou étrangères des costumes inspirés de la culture arabo-musulmane d’un Orient fantasmé, où l’«Arabe» oscille entre le miséreux vêtu de haillons de djellaba et le sultan recouvert d’or et de pierres précieuses.
La Dernière Reine ouvre donc la voie à d’autres cinéastes pour d’autres époques de l’histoire du pays. Un autre regard est donc possible. Celui d’Adila et Damien rend justice à cette Alger lumineuse, méditerranéenne avec ces images de Tipaza et ses ruines romaines pour rappeler que l’Algérie avant la colonisation « n’était pas un simple caillou » selon les propos de Damien Ounouri mais bien une civilisation, un peuple, une culture.