Assise ici au bureau de l’Union Féministe Libre à Rabat, avec un thé Marocain et une vue sur le Bouregreg, fleuve prenant sa source du Moyen Atlas et longeant des centaines de kilomètres, je me retrouve instantanément à Sidi Boussaid, lieu de notre grande rencontre de Tunis tel que l’a intitulée ma chère amie Olfa Belhassine. Je me retrouve parmi mes sœurs qui, elles, ont longées des milliers de kilomètres à travers cette Méditerranée pour qu’on se réunisse toutes après une séparation forcée par une pandémie, mais aussi par le manque de moyens que connaît notre mouvement des femmes.

Moi qui suis militante, moi qui travaille dans cette région et d’autres depuis une décennie déjà, moi qui vois au quotidien les affaires - plutôt les horreurs - des violences que subissent les femmes et toutes les personnes à cause de leurs genre ou sexualité, et qui prône avec tant de conviction l’importance des mots dans nos combats, qu’ils soient législatifs ou descriptifs, j’avais oublié celle de nos propres mots rapportant nos sentiments, nos difficultés et nos succès au sein même du mouvement des femmes, nos propres mots qui préservent notre histoire …
Mais comment ne pas retrouver cette plume et retranscrire ces sensations après 5 journées entourée de femmes journalistes féministes des deux rives de notre Méditerranée ?
Comment ne pas voir la nécessité de ces mots, vidéos, reportages, articles, documentaires, et podcasts qui portent notre combat ? Qui influencent notre travail, qui communiquent directement avec nos sociétés et nos peuples, et qui à travers notre plateforme nous aident à aider, nous aident à réformer, nous aident à continuer ...

Je me rappelle une phrase de notre sultane inoubliable, feu Fatema Mernissi, que son âme repose en paix, qui disait que « La dignité c'est d'avoir un rêve, un rêve fort qui vous donne une vision, un monde où vous avez une place, où votre participation, si minime soit-elle, va changer quelque chose. (1) ». Et quoi de plus beau, de plus perçant, de plus complexe, de plus douloureux, de plus engageant et motivant que ce ‘Mediterranean Dream’, le rêve de nous voir uni.e.s, le rêve de ne plus voir les un.e.s mourir d’un côté de cette Méditerranée pour retrouver l’autre, et le rêve de voir chaque femme porter son hymne, sa diversité, sa force et sa grandeur, tel que nous l’avons toujours fait, avec comme but, celui de vivre dans des sociétés justes et équitables .
Ce rêve, mesdames, grâce à vous et à travers vous, s’efforce d’être une réalité, certes nos politiques semblent désengagées, mais notre engagement est ce qui alimentera le futur, votre travail et le nôtre est ce qui fera la politique d’aujourd’hui et de demain.

Mon corps est à Rabat, mais mon cœur quant à lui est à Tunis, en réalité il est avec chacune d’entre vous dans cette maison commune telle que l’a éloquemment décrite la chère Ghania Khelifi. MedFeminiswiya n’est pas uniquement une plateforme media en ligne, c’est aussi une révolution journalistique et féministe, un vecteur de changement, un reflet de sororité, et un espace d’humilité, de force et de partage.
Et pour moi qui fus si longtemps absorbée par les domaines du droit, de l’histoire, des sciences politiques et des relations internationales, par ce combat au quotidien avec toutes ces femmes et personnes venant des quatre coins de mon pays, et du profond pays, pour réaliser un jour le rêve de réformes inclusives, MedFeminiswiya est d’une indéniable nécessité.
Si les muses sont au nombre de neuf, MedFeminiswiya compte dans son réseau des dizaines de muses, qui en inspirent des milliers d’autres, qu’Hésiode n’a pas connu, mais que le monde connaîtra.