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Par Pascal Sawma et Hayat Al-Zein - Ce reportage est publié en collaboration avec Daraj Media
« Une expérience que je ne souhaiterais pas à mon pire ennemi ... »
Au Liban, la situation dans les lieux de détention pour femmes est grave. Les quatre prisons, où elles sont dirigées, apparaissent comme un espace supplémentaire de harcèlement à leur encontre et un lieu de privation de leurs droits les plus élémentaires. Les prisons libanaises sont loin d’être des lieux de réhabilitation d’où les détenu-e-s sortent en étant de meilleures personnes.
Cette enquête porte sur la grande souffrance des femmes en univers carcéral. Elle aborde également les affaires les plus importantes pour lesquelles elles sont incriminées. Des témoignages recueillis auprès d'un certain nombre de détenues, de défenseurs des droits humains et d'experts montrent que nombre de ces cas sont le résultat de la violence générale exercée contre les femmes. A leur demande et par crainte pour leur sécurité, nous avons changé les noms de celles qui témoignent.
Au Liban, la maltraitance est la même quelle que soit la prison (de femmes ou d’hommes). Elle est imposée par la crise économique qui frappe le pays et se traduit par une baisse des services, de la qualité des repas fournis, et le retard dans la tenue des procès, dû au Covid puis à la grève des juges. Cela signifie qu'un grand nombre de prisonniers dont les peines auraient pu prendre fin, sont encore en détention ; sans parler des personnes innocentes dont la non-culpabilité n'a pas été établie car les juges sont en grève et ne peuvent assurer les audiences.
La maltraitance a commencé dès le premier instant...
En 2021, Ro’ya (le prénom a été changé), vingt ans, a été emprisonnée pour avoir volé l'arme d'un agent de sécurité et l'avoir remise à une autre personne, qui s'est rapidement enfuie vers une destination inconnue. Ro’ya a passé environ six mois en prison, dont quatre dans les locaux du palais de justice de Tripoli, et le reste à la prison d'al-Qubba, à Tripoli.
La maltraitance commence dès son arrestation au poste de police où les scènes d'injustice sont flagrantes. Un grand nombre de prisonnières sont tassées dans une salle en attendant leur sort… « Ils nous donnaient un repas par jour, c'était souvent rassis et infect », raconte Ro’ya. La vie des femmes dans les lieux de détention provisoire est rude, elles peuvent y agoniser en silence à cause de l’impossibilité d’obtenir un comprimé. Se faire soigner est quasi impensable dans ces lieux où elles sont traitées de manière impitoyable. Ro’ya souligne aussi que dans un tel contexte le besoin des femmes en serviettes hygiéniques et antalgiques au moment de leurs règles ne sont pas pourvus. « Notre nourriture, nos boissons sont à notre charge, toute détenue sans lien avec l’extérieur ou sans argent est vouée à l’humiliation », ajoute-t-elle.
Dans la prison d'al-Qubbah, la scène n'est pas vraiment différente de celle que l’on peut vérifier dans les lieux de détention provisoire. La détenue subvient à ses besoins sur son propre argent. Chaque cellule compte neuf ou dix femmes, responsables de la propreté de leurs cellules et de l’espace immédiat autour de celles-ci. Ro’ya a été témoin de nombreux cas d'injustice pendant son incarcération : « Une détenue sans moyens d'engager un avocat est souvent délaissée, sans procès, pendant une longue période, parfois cinq ou dix ans. Dans la prison, même la femme qui allaite ne reçoit pas de traitement particulier ; elle doit subvenir à tous ses besoins et à ceux de son bébé en médicaments et nourriture. L'État n’assure rien », dénonce Ro’ya.
Pourquoi les femmes commettent-elles des crimes ?
Il existe quatre prisons pour femmes au Liban ; elles se trouvent dans les quartiers de Barbar El-Khazen à Beyrouth, d’Al-Qubba à Tripoli, de Baabda, et de Zahlé, en plus d'une prison pour mineures située dans le quartier Dahr al-Bashiq au Mont Liban. Ces prisons comptent 240 femmes détenues, ce qui est un nombre relativement faible. Par conséquent, traiter les problèmes des prisons pour femmes ne nécessite pas un gros budget ou un plan colossal. Avec un peu d'effort et d’attention, les détenues pourraient jouir de droits et de soins nécessaires.
Dans une interview accordée à "Medfeminiswiya", l'avocate Manar Zaiter, qui a précédemment mené une étude sur les prisons de femmes, affirme qu'il existe plusieurs facteurs poussant les femmes à commettre un certain type de délits, et que ceux-ci sont souvent le résultat d'actes commis contre elles. Les femmes, par exemple, remettent rarement un chèque sans solde ou des obligations de fiducie, car elles ne font pas de commerce comme les hommes, et donc la plupart d'entre elles ne possèdent ni compte bancaire ni sociétés commerciales pour pouvoir commettre ce genre de délit. De plus, selon Mme Zaiter, ces femmes ne possèdent pas de biens immobiliers, leur patrimoine se résumant la plupart du temps en somme d'argent, cela signifie que si elles sont impliquées dans des affaires d’escroquerie, c’est à cause des hommes. L’avocate ajoute que les femmes ont peu d’activités à l'extérieur qui expliquent leur emprisonnement. Par ailleurs, elles ne détiennent pratiquement jamais d'armes pour commettre des crimes. A contrario, les hommes peuvent aller en prison à cause de la possession d’armes et des crimes qui en découlent.
Madame Zaiter poursuit : « Le crime ne naît pas instinctivement, il est en lien étroit avec les rôles sociaux, assignés en fonction du genre. Par exemple, les femmes ne commettent pas les mêmes crimes que les hommes qui sont responsables de la violence domestique. Quand il l’exerce contre elle, la femme peut être amenée à tuer son partenaire en réaction au comportement violent qu’elle subit. » L'avocate Diala Shehadeh confirme : « les statistiques ont montré que la majorité des femmes sont reconnues coupables de crimes commis par des hommes, avec qui elles ont des liens familiaux. Au Liban, le taux de crimes commis par des femmes est relativement faible par rapport à d'autres pays, le plus fort pourcentage de ces crimes est dû soit à leur immixtion dans des crimes commis et planifiés par des hommes auxquels elles sont liées, soit en réponse aux crimes commis à leur encontre par ceux-ci ».
"Le taux de crimes commis par des femmes est relativement faible au Liban par rapport à d'autres pays. »
Sur la double discrimination : « Prisonnière et divorcée »
« Une sombre tombe que je ne souhaite pas à mon pire ennemi » ... C’est ainsi qu’Etab (le prénom a été changé) décrit la vie des détenues à l'intérieur de la prison où elles sont traitées avec dureté. Etab nous raconte l’épreuve de la nourriture : « même les chiens n’en voudraient pas, ça sent souvent le rance avec une nuée de mouches dessus... » Malgré ses problèmes de santé, ses migraines et son besoin de médicaments particuliers, elle a été forcée de lutter seule contre ses crises sans recevoir de soins. « Même à l'intérieur de la prison, l'argent est très important, raconte Etab. Si la détenue est ‘friquée’ elle peut tout acheter, mais si elle est pauvre, elle doit se taire et subir. Il n'y a pas d'électricité, pas d'eau pour prendre de douche ; le thé, l’anis sont interdits, même une tasse de café peut être refusée à la détenue », explique Etab. Quant aux besoins des femmes pendant le cycle menstruel, Etab dit avoir dû payer les serviettes hygiéniques de sa poche. De nombreuses prisonnières les remplaçaient souvent par des morceaux de tissu et si elle n'en trouvait pas, elles étaient mouillées, ce qui lui est également arrivé.
En plus de l'expérience carcérale et de la discrimination sociale dont elle a fait l’objet, à sa sortie Etab est confrontée à deux grand reproches : être une ancienne détenue et une femme divorcée. « Mes filles ont été harcelées, elles étaient sans abri. Pendant ma détention, mon ex-mari ne s’est pas beaucoup soucié d’elles. A ma sortie, mes filles et moi avons été stigmatisées, la société n'a pas eu pitié de nous », explique-t-elle. Et d’ajouter : « de nombreuses détenues sont obligées de changer de vie après leur sortie de prison et de vivre dans un endroit où personne ne les connaît, surtout si elles sont divorcées, c’est la seule façon d’échapper aux regards méprisants. » Etab a été emprisonnée en 2021 pour une durée de six mois, sur fond de fausse allégation. Selon ses dires, son ex-mari aurait joué un rôle important dans son implication et son incarcération.
« Même à l'intérieur de la prison, l'argent est très important. »
« Je suis allée en prison à cause de lui. »
Hind (actuellement détenue à la prison de Baabda) a rencontré son actuel mari après une première expérience malheureuse. Ce fut pour elle une sorte de refuge, cependant il l'a impliquée dans un crime sans qu’elle en porte une quelconque responsabilité. Le mari de Hind était trafiquant de drogue, ce qui l'a conduit en prison après une perquisition par la police à leur domicile et la découverte de stupéfiant.
Hind savait que son mari était impliqué dans le trafic de drogue, mais elle n'a rien dit aux autorités compétentes, préférant garder le silence par peur des représailles. Ses arguments n'ont toutefois pas convaincu le juge d'instruction, qui ne l’a pas crue. Selon l'avocat de Hind, le tribunal a considéré que ses actes étaient assimilés à ceux de son mari, à savoir le recel et le trafic de drogue. Son avocat a fait opposition et sa libération est en cours, mais la grève des juges et leur sit-in font que Hind reste à ce jour derrière les barreaux.
Menacer les hommes à travers leurs femmes pour les forcer à avouer
Les forces de sécurité libanaises ont arrêté une femme reconnue coupable de complicité avec son mari, un Syrien accusé d'appartenir à une organisation terroriste. Selon les témoignages de réfugiés et d’avocats, les forces de sécurité libanaises détiendraient des femmes pour faire pression sur leurs maris ou leurs proches pendant les interrogatoires afin qu'ils se rendent. La présence de femmes lors des interrogatoires a incité les détenus à avouer tout ce que les enquêteurs leur demandaient, afin d'obtenir la libération des femmes. Selon des réfugiés syriens, des réfugiés de sexe masculin ont été témoins de passages à tabac de femmes. Dans les deux cas, documentés par Amnesty International, les enquêteurs ont proféré des insultes et des menaces sexistes pour faire pression sur les femmes lors de leurs interrogatoires.
Selon les informations recueillies par Amnesty International, l'arrestation et la détention de femmes - pour des périodes allant de quelques heures à plusieurs jours, voire des semaines - sont utilisées comme un moyen de pression sur leurs maris ou leurs proches.
Croiser les témoignages obtenus dans le cadre de cette enquête permet d’aboutir à un constat terrifiant : de nombreux crimes commis par les femmes ne sont que le résultat de la violence générale des lois et de la société pratiquée à leur encontre. Ce qui les expose à une série de maltraitance en termes de services défaillants, de retards dans la tenue des procès et du report indéfini de leurs droits les plus élémentaires. Le tout comme s'il s'agissait d'une question sans importance...