C'ette idée d’article est née d’un vécu. C’était un soir, de ceux où le temps s’arrête pour vous laisser apprécier à sa juste valeur la noirceur du pandémonium dans lequel la vie vous jette sans préavis. On m’annonce au téléphone que les médecins ne peuvent plus rien pour ma mère. Qu’il valait mieux la ramener chez elle et attendre de pied ferme la fatalité. Pendue au téléphone, aucun mot ne sort. Comme si la douleur qui me tétanisait les entrailles n’était pas suffisante, un grain de sel vient se rajouter sur la plaie déjà ouverte. Mon oncle me lâche un aveu comme on lâche un missile sur une terre calcifiée « Elle aussi, elle n’a pas toujours fait les bons choix. Elle aurait pu éviter ça ». La phrase me percute de plein fouet. « Qu’est-ce que tu veux dire par là ? ». « Elle a refusé l’ablation quand il était encore temps ».
Les transformations physiques jalonnent la vie des femmes de la puberté à la ménopause. Elles influencent leur intimité, leur rapport à leur propre corps mais également le regard que la société porte sur elle. Lorsque la poitrine commence à pointer le bout de son nez, les premières règles synonymes de potentielle fécondité, la femme est dénuée de son individualité pour incarner un corps sexuel.
Depuis l’antiquité, les femmes sont représentées par un corps à la solde d’une fonction binaire : sexuelle ou maternelle. Dans son livre « un corps à soi », Camille Froidevaux-Metterie expose la notion de « corps-objet ». Elle explique que la sexualisation des corps féminins produit une mécanique d’empêtrement et d’inhibition qui va marquer de manière handicapante leur propre épanouissement physique.
Que dire alors des femmes ayant subi ou devant subir une ablation du sein (mastectomie) ?
Au-delà des gestes d’auto-palpation nécessaires au dépistage du cancer du sein que tout le monde partage à l’occasion du « Octobre rose », j’aimerai parler d’un autre sujet de sensibilisation.
En plus de la dureté de cette maladie, tant sur le plan physique que psychologique, beaucoup de femmes ayant subi ou devant subir une mastectomie doivent en plus faire face au dénigrement et à l’abandon.
Elles sont nombreuses à être rejetées par leur conjoint, leur belle famille et parfois même par les membres de leur propre famille, au moment où elles doivent affronter le traumatisme post-opératoire et de lourds traitements. Beaucoup considèrent leur maladie comme honteuse parce qu’elle diminuerait leur féminité.
Voici quelques témoignages recueillis dans le cadre d’une étude sur le sujet par le site Capital.fr:
« Le cancer ? C'est rien comparé au fait d'être rejetée après 18 ans de mariage", assure Linda, abandonnée par son mari, comme de nombreuses Algériennes, après une ablation du sein due à la maladie. »
« Après l'opération, son mari l'appelait "nass mraa" (demi-femme) ou "lamgataa" (la mutilée), raconte, d'une voix toujours nouée plusieurs années après, cette assistante médicale, mère de trois enfants qui l'ont soutenue face à leur père. »
« Zohra a, elle aussi, subi une ablation du sein en 2015. Après 25 ans de mariage, son époux a demandé le divorce, la laissant sans ressources. "Il a été odieux", assure cette mère au foyer de 53 ans. »
« Le mari de Saïda, lui, n'a pas attendu qu'elle soit sortie de l'hôpital pour demander le divorce et la garde de leur enfant, mais aussi vider son compte en banque. Chassée de chez elle, cette médecin aujourd'hui âgée de 55 ans avait dû "prendre une chambre d'hôtel". "J'étais à bout", se souvient-elle. »
La déshumanisation du corps des femmes au profit du plaisir des hommes doit faire l’objet de sensibilisation militante autant que le dépistage précoce. Car tant que les femmes sont pensées comme des objets disponibles dont le but essentiel est d’assouvir le désir des hommes, tant qu’on leur laisse penser injustement que leur principal capital repose sur leur physique, leur corps restera un lieu de confinement.
Si je l’avais su plutôt, j’aurais aimé dire à ma mère, que même avec un sein en moins, il reste le cœur pour aimer.