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Le marché du sexe est la troisième industrie illégale au monde en termes de chiffre d'affaires, après les armes et la drogue. Dans tous les pays, des milliers de personnes, en particulier des femmes et des mineur.e.s, sont contraintes de vendre leur corps. Les organisations criminelles qui les “encadrent”, savent désormais parfaitement exploiter le phénomène migratoire pour recruter des victimes de la traite aussi bien dans des contextes de guerre que dans des situations d'extrême précarité sociale et économique.
Les formes et les lieux d'exercice de la prostitution sont en constante évolution, mais ont fini avec le temps par échapper, en les contournant, aux nombreuses règles et normes sécuritaires jusqu’à devenir quasi invisibles. Ainsi immergés, leur traçabilité est très difficile, voire impossible.
Le contexte italien

En Italie, l'abolition des maisons closes a été sanctionnée par la loi 75 du 20 février 1958. Elle est connue sous le nom de loi Merlin, du nom de sa promotrice et première signataire, la sénatrice socialiste, partisane et féministe Angelina Merlin.
Après son adoption, 560 maisons closes ont été démantelées et les 3 000 femmes qui y travaillaient ont pu s’extraire plus facilement à une vie d'abus et de violence. Outre l'introduction des délits d'exploitation, d'incitation et d'aide à la prostitution, la législation visait, en effet, à garantir aux victimes la possibilité de recommencer une nouvelle vie.
Toutefois, soixante-six ans plus tard, les lieux illégaux où la prostitution est pratiquée à l’intérieur ne cessent d'augmenter dans le pays et, très souvent, il s'agit d'espaces où des milliers de femmes vivent et travaillent dans des conditions de semi-esclavage.
L'expansion du phénomène est en grande partie liée à la prolifération des sites d'annonces sexuelles payantes, apparus au début des années 2000, et dont le chiffre d'affaires est aujourd'hui estimé à 50 millions d'euros par an. Il s'agit généralement de portails spécialisés où les mots d’« escorte» et de « loft girl» sont préférés au terme « prostituée ». Ces deux termes renvoient à une catégorie très demandée qui incarne, dans l'imaginaire des hommes, le stéréotype de la fille de la porte d’à côté, ou de l'étudiante arrondissant ses fins de mois pour terminer l'université. Enfin, il y a ce que l’on appelle les « filles d'agence » : celles-ci dépendent précisément d'agences spécialisées qui gèrent leur agenda, communiquent le lieu de la rencontre – la plupart du temps dans un hôtel –, et négocient le coût du service en se chargeant de la transaction.
« Nous travaillons sur des projets expérimentaux pour cartographier ces différentes offres annoncées en ligne et nous avons découvert que la prostitution masculine In door se répand elle aussi », explique Germana Cesarano, psychologue et directrice de la coopérative Magliana 80. Cette structure est active dans la capitale depuis des années avec des unités mobiles, des bureaux d'écoute, une assistance sanitaire et des programmes de protection pour les victimes de la traite d’êtres humains. « Par ailleurs, depuis 3-4 ans nous ne trouvons plus de mineures nigériannes dans la rue, soit parce qu'elles ont été arrêtées, soit parce qu'elles ont été déplacées dans des espaces fermés, où il nous est impossible de les intercepter », ajoute-t-elle.

À Rome, la prostitution de rue est en nette diminution : en juin 2024, on estimait qu'il y avait 1/3 de prostituées de moins qu'il y a 7 ans. C’est en partie une conséquence de la pandémie, puisque, pendant et après les fermetures prolongées, la plupart des prostituées ont été placées par leurs proxénètes dans des appartements privés où elles sont quotidiennement exposées à des dangers parfois bien plus importants que ceux qu’elles pourraient rencontrer au dehors.
La diversité des lieux et des installations utilisés est assez vaste et comprend des espaces privés, tels que maisons, appartements, clubs privés, et des espaces publics, comme les discothèques, bars, restaurants et hôtels. Les lieux publics servent souvent de couverture aux autres activités illégales pratiquées par des groupes de criminels qui gèrent également le commerce du sexe.
Certaines femmes ou personnes transgenres ont aussi tenté de s'autogérer en s'installant dans leur propres intérieurs. Cela a aggravé leur situation économique, ayant l’obligation de louer un lieu de travail et de promouvoir des publicités coûteuses sur le web. « On peut se demander si ce choix est libre ou non, poursuit Germana Cesarano. De nombreuses personnes transgenres cherchent des clients dans la rue, se font connaître et les reçoivent ensuite à leur domicile, qui est souvent l'endroit où elles vivent aussi, et qu’elles partagent avec d'autres. Parfois il s’agit d’un lieu mis à disposition par leurs proxénètes. Enfin, conclut la thérapeute, il existe de nombreux sites qui annoncent les prestations de filles différentes mais qui renvoient à un seul numéro de téléphone, ce qui signifie qu'il y a quelqu'un qui dirige ce réseau de prostitution en ligne .»
Le scandale des 1 500 femmes chinoises « enfermées chez elles ».

Une recherche (1) menée par le professeur de sociologie de l'université La Sapienza, Francesco Carchedi, a révélé que la capitale compte environ 1 500 prostituées chinoises forcées de travailler dans plus de 600 appartements, 80 centres de massage et une douzaine de clubs privés. En analysant environ 6 000 annonces publiées sur 20 sites, le professeur a reconstruit le mécanisme complexe de recrutement et les règles d'engagement, en recueillant les témoignages de dizaines de femmes originaires notamment de Whenzou, Hangzhou, Liaoling, Jilin et Pékin. Elles ont principalement entre 23 et 40 ans et sont pour la plupart séparées ou veuves, sans ressource. Une fois arrivées en Italie, elle remettent leurs documents aux membres de l’organisation qui a payé leur voyage pour les confier ensuite aux « tenancières » qui les dispatcheront dans des lieux où elles recevront une clientèle presque exclusivement chinoise.
« C’est dur pour une femme de dénoncer ceux qui l’exploitent parce que le prix à payer est très élevé », rapporte une personne interrogée dans la recherche. Non seulement en termes économiques, parce qu’il est peu probable qu'elle trouve un autre emploi, mais aussi parce qu'elle risque d'être marginalisée par la communauté. [...] Rester dans les règles qui sous-tendent la prostitution, c'est survivre, c'est être dans la communauté quoi qu’il en soit.» (2)
La tenancière est la figure centrale de tout le processus : avec elle, les femmes signent un accord économique précis selon lequel 70 % des bénéfices leur reviennent, en plus d'éventuelles récompenses en espèces en fonction du succès qu’elles obtiennent. Les filles ne restent jamais plus de trois mois dans le même appartement et beaucoup travaillent en même temps dans des salons de massage et des centres de bien-être disséminés dans presque tous les quartiers de la capitale. Les premiers, plus nombreux, proposent des massages simples ou érotiques et des rapports sexuels à une clientèle fidélisée, tandis que les seconds offrent également des saunas, des bains à remous et des traitements de physiothérapie. Dans ces établissements, l'hôtesse est souvent encadrée par des criminels qui lui réclament de l'argent en échange de protection et exigent d'utiliser ses “prestations” à leur guise.
Violence, abus et féminicides
Bien qu'elles soient privées à tous les effets de liberté, la quasi-totalité des prostituées chinoises ayant participé à l'étude ont déclaré ne pas subir de violences physiques dans les établissements où elles travaillent, mais les risques pour elles restent très élevés, en particulier lorsqu'elles exercent dans des maisons privées.
Le meurtre atroce de Li Yan Rong et Yang Yun Xia, âgées respectivement de 55 et 45 ans, poignardées dans un appartement de Prati, un quartier chic de Rome, remonte au 17 novembre 2022. Toutes deux seraient mortes quelques heures seulement après le meurtre d'une autre femme, la Colombienne Marta Castano Torres, âgée de 65 ans, tuée dans une cave voisine. L'enquête a conduit à l'arrestation de Giandavide De Pau, qui a été jugé dans la salle du bunker de Rebibbia en février dernier. Le parquet de Rome a inculpé le prévenu de triple homicide aggravé de cruauté, les motifs futiles et la préméditation « résultant d'un esprit lucide et conscient ». Son téléphone portable, retrouvé sur les lieux du crime, contenait des vidéos du massacre, qui a eu lieu après que l’assassin a consommé des relations sexuelles avec ses victimes.