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Le 21 mars
Après deux jours d'interruption dus aux intempéries à Gaza, j'ai enfin retrouvé la connexion internet. Durant cette période, je me suis sentie totalement isolée de l'actualité mondiale et de ses célébrations planétaires. Ici, le calme est perpétuellement brisé par le vrombissement des drones volant si bas qu'on croirait qu'ils vont nous percuter. Chaque explosion fait trembler le sol et ébranle notre concentration, nous rappelant inexorablement la fragilité de nos vies.
En fin de journée, alors que je tenais enfin mon téléphone après une longue journée de Ramadan rythmée par des tâches éprouvantes, j'ai reçu un message de mon amie via WhatsApp : elle me suggérait de parler de la fête des mères à Gaza ! J'ai d'abord été saisie. Étions-nous déjà le 21 mars ? Ce jour qui devrait normalement être empreint de joie, de petits préparatifs et de cadeaux pour célébrer l'amour et la reconnaissance des enfants envers les mères ?
Des mères sans enfants
Ce jour aurait dû être chaleureux, ponctué de surprises, de présents, de tendresse et d'étreintes sincères. Mais à Gaza, où la guerre et la destruction sont notre quotidien, il est arrivé discrètement, chargé d'une douleur sourde, rappelant les pertes incessantes. La fête des mères s'est muée en une journée pesante, marquée par la solitude et le deuil. Depuis que je suis mère, cela fait huit ans, ce jour a toujours été spécial. Mon mari et mes enfants veillaient à rendre cette journée unique, avec des attentions simples emplies d'affection. Nous allions aussi rendre visite à ma mère pour partager des moments de chaleur et de convivialité. Mais cette année, comme l'an passé, la fête des mères est venue froide et lourde, imprégnée des larmes des mères endeuillées, dont les cœurs battent de douleur et d'impuissance.
Car les bombardements israéliens ont endeuillé massivement les mères de Gaza. Ce ne sont pas un ou deux enfants qu'elles ont perdus, mais parfois toute leur progéniture. Ces frappes ont brisé leurs cœurs, anéantissant en un instant des années d'espoir et de combats pour devenir mère.
Tout au long de décennies de conflit, les mères de Gaza ont déployé des efforts considérables pour élever et prendre soin de leurs enfants, mais ces moments de bonheur se sont tragiquement transformés en cauchemars au fil des guerres.
Des mères impuissantes
Chaque jour, nous parviennent des témoignages de mères privées par l'occupant du mot « maman » après que leurs nourrissons ont été tués. Certaines ont perdu leur enfant dès ses premiers instants, d'autres l'ont accompagné quelques jours seulement après sa naissance, tandis que d'autres encore ont vu leurs fœtus mourir dans leur ventre. Ces mères souffrent non seulement de ces pertes, mais aussi du manque de rires de leurs enfants, de leur odeur, et de leur besoin d'elles.
Comment expliquer que les mères rassemblent volontairement leurs enfants chaque nuit dans un même espace pour qu'ils partagent le même sort si une frappe israélienne venait les prendre par surprise dans leur sommeil ?
Les statistiques sont terrifiantes : selon le bureau gouvernemental de l’information à Gaza, 17000 mères seraient endeuillées depuis la reprise des hostilités. Les chiffres publiés par le ministère de la Santé à Gaza parlent de 15 613 enfants tués, soit 31 % des victimes du conflit. Ces chiffres dépassent de loin les simples données ; ils reflètent des centaines de cris de douleur et de vies bouleversées à jamais.
Imaginez la vie pour une mère qui, soudainement, a tout perdu, passant du statut de « mère de famille » à celui de « mère de martyrs » ! Quelle épreuve doit-elle traverser face à cette réalité amère ?
Pendant les mois d'agression, les mères de Gaza ont vécu les pires instants de leur vie, envahies par un sentiment d'impuissance face aux besoins de leurs enfants. Ces besoins, autrefois si évidents – comme une friandise ou une petite surprise au moment des repas – sont devenus des rêves inaccessibles.
Comment un simple sandwich shawarma, par exemple, est-il devenu un souhait pour lequel l'enfant ferme les yeux pour en retrouver le goût, sans pouvoir le voir ni le toucher, alors qu’il y avait accès chaque fois qu'il en avait envie avant les bombardements ?
Et comment expliquer que les mères rassemblent volontairement leurs enfants chaque nuit dans un même espace pour qu'ils partagent le même sort si une frappe israélienne venait les prendre par surprise dans leur sommeil ?
Ici, la prière des mères est devenue : « Ô Seigneur, si tu nous as destinés au martyre, fais que cela soit avec mes enfants, afin que nul d'entre nous n'ait à porter la douleur de la perte de l'autre ! »
À Gaza, la fête des mères s’est déroulée dans la tristesse, pour les mères privées de leurs enfants et les enfants privés de leurs mères.