À peine réinstallé à la Maison Blanche, Donald Trump, redevenu figure centrale de la politique américaine, a récemment relancé une proposition controversée visant à raser entièrement Gaza pour y bâtir une ville balnéaire ultramoderne — une « Riviera du Moyen-Orient » selon ses mots — sous contrôle occidental. Ce projet, qui impliquerait le déplacement massif de la population palestinienne, a été dénoncé par la communauté internationale comme une forme de nettoyage ethnique et de néocolonialisme urbain. Dans ce contexte explosif, alors que l’effacement physique et symbolique de Gaza est ouvertement envisagé par certains dirigeants mondiaux, l’exposition de l’IMA prend la forme d’un acte de résistance culturelle.
Dans les salles feutrées de l’Institut du Monde Arabe, loin des fracas de la guerre qui dévaste la bande de Gaza, quelque 130 œuvres archéologiques murmurent une autre histoire. Celle d’un carrefour de civilisations, d’une terre ancienne et fertile qui fut, bien avant de devenir le symbole d’une tragédie humanitaire, un haut lieu de culture, de commerce et de beauté. Intitulée « Trésors sauvés de Gaza. 5000 ans d’histoire », l’exposition met en lumière un pan méconnu, voire occulté, de l’histoire palestinienne : sa profondeur, sa richesse, sa permanence.
L’histoire avant les bombes
Depuis octobre 2023, la guerre entre Israël et le Hamas a plongé Gaza dans un chaos sans précédent. Les pertes humaines sont incommensurables. Mais aux côtés des vies fauchées, c’est aussi la mémoire collective qui vacille : selon l’UNESCO, au moins 69 sites culturels ont été endommagés ou détruits, parmi lesquels des églises byzantines, des mosquées ottomanes, des monuments antiques. À Gaza, plus des deux tiers du bâti ont été anéantis.
Face à cette hémorragie patrimoniale, l’IMA, en collaboration avec le Musée d’art et d’histoire de Genève (MAH), l’Autorité nationale palestinienne et plusieurs institutions scientifiques, ont sauvé de l’oubli une partie de ce qui pouvait l’être. Sculptures, mosaïques, stèles, amphores, bijoux, tous exhumés lors de fouilles menées depuis les années 1990 dans des conditions souvent précaires, trouvent aujourd’hui refuge à Paris.
Parmi les pièces maîtresses de l’exposition, une mosaïque byzantine spectaculaire, découverte en 1997 sur le site d’Abu Baraqeh à Dayr al-Balah, trône au cœur du parcours. Datée de 579, elle ornait autrefois le sol d’une église chrétienne et illustre l’importance de Gaza comme carrefour stratégique depuis l’Antiquité. Son état de conservation remarquable et sa richesse iconographique en font un témoignage unique d’un patrimoine liturgique et social aujourd’hui menacé.
L’exposition dévoile également des pièces rares issues des fouilles franco-palestiniennes débutées en 1995 et présentées pour la première fois en France : une tête de cavalier du Ve siècle avant notre ère, un bol vieux de 4000 ans ou encore une statue en marbre de la déesse Aphrodite de l’époque helléniste, découverte par un pécheur après avoir passé plus de deux siècles sous les eaux.
Témoins fragiles mais puissants d’une civilisation millénaire, ces objets rappellent que Gaza fut jadis une oasis prospère, un port stratégique entre l’Orient, l’Afrique et la Méditerranée, un nœud de routes caravanières et un foyer artistique vivant.
« Plus que jamais aujourd’hui, en particulier depuis le 7 octobre et les destructions ultérieures, Gaza mérite que l’on raconte son Histoire. Parce que les pièces archéologiques qui sont présentées dans cette exposition inédite ont été sauvées de la destruction par l’exil. Parce que la guerre qui fait rage abîme, parfois efface des pans entiers de l’identité de cette terre jadis florissante. »
Une mémoire en exil
Cette exposition n’a rien d’un simple parcours muséal. Elle est un acte politique et mémoriel, un hommage rendu à une culture aujourd’hui en péril. « Rien n’est pire que l’abandon et l’oubli. Cette exposition, que je qualifierais de salut public, rend hommage à Gaza, vibrante et merveilleusement jeune. Nous voulons dire aux gazaouis : Tenez bon ! Et nous tenons bon, à notre manière, avec vous. », déclare Jack Lang, président de l’IMA.
Une section entière est d’ailleurs consacrée à la cartographie des destructions patrimoniales. Grâce à des images satellitaires et des travaux de chercheurs, le visiteur prend la mesure de ce qui a déjà été perdu. Des photographies inédites du Gaza du début du XXe siècle, issues des archives de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, prolongent ce récit d’une ville palimpseste, à la fois effacée et persistante.
Paradoxe cruel : la plupart des œuvres exposées ne retourneront sans doute jamais à Gaza. Depuis 2007, le MAH de Genève conserve en dépôt près de 530 objets appartenant à l’Autorité nationale palestinienne. Ce sont ces pièces, devenues malgré elles des exilées, qui forment le cœur de l’exposition parisienne. À celles-ci s’ajoute une collection privée, celle de Jawdat Khoudary, offerte en 2018 et montrée pour la première fois en France.
Au-delà de la beauté des artefacts, c’est leur simple existence qui constitue un message. Une mosaïque intacte face aux ruines, un fragment de stèle contre l’effacement. Dans une région où l’histoire est régulièrement effacée à coups d’obus, conserver devient un acte de résistance.
En redonnant à Gaza son visage d’héritière des grandes civilisations, l’Institut du Monde Arabe invite à penser autrement. Contre la tentation de l’oubli, contre l’image réduite d’un territoire figé dans la guerre, l’exposition rappelle que la culture est une des premières victimes des conflits, mais aussi l’un des derniers remparts contre la disparition d’un peuple.
« Plus que jamais aujourd’hui, en particulier depuis le 7 octobre et les destructions ultérieures, Gaza mérite que l’on raconte son Histoire. Parce que les pièces archéologiques qui sont présentées dans cette exposition inédite ont été sauvées de la destruction par l’exil. Parce que la guerre qui fait rage abîme, parfois efface des pans entiers de l’identité de cette terre jadis florissante. », atteste Jack Lang.
Dans cette exposition, Gaza revêt ainsi un autre visage, celui d’une civilisation menacée mais qui continue inexorablement de briller même par fragments.