A Gaza, les femmes ont la vie dure
Faut-il le rappeler toute réalité de guerre affecte particulièrement les femmes. Celles-ci sont en effet affectées à plusieurs niveaux. Elles déplorent toutes un accès quasi inexistant aux soins gynécologiques et obstétricaux. Selon Médecins Sans Frontières (MSF), des femmes ont accouché sans anesthésie ni assistance médicale, parfois à même le sol dans les décombres (MSF, 2023). Il convient de souligner aussi le risque accru de violences sexuelles et sexistes dans les camps de réfugiés, notamment pour les femmes déplacées ou seules avec leurs enfants (UN Women, novembre 2023).
De manière plus prosaïque, le quotidien des femmes de Gaza, sur lesquelles reposent le soin des enfants et des personnes âgées, dont elles ont la charge, les placent dans une situation particulièrement cruelle : comment faire alors qu’on est victime d’un siège moyenâgeux pour nourrir, hydrater, laver petit.e.s et vieillard.e.s alors qu’il n’y a plus d’eau potable, et que les camions de ravitaillement de denrées premières sont bloqués par l’armée israélienne. (Lire la chronique de notre correspondante Rola Abu Hachem)
Enfin, des figures du féminisme palestinien, comme l’artiste Randa al Majdalawi, morte avec ses enfants sous les bombardements, Lama al-Sulaiman, ou encore à l’écrivaine Rimal Baktash, artistes et militantes de la cause palestinienne ont été ciblées de manière préméditées par les frappes israéliennes qui les ont éliminées (Al Jazeera, octobre 2023).
Les journalistes femmes à Gaza sont aussi des proies de choix pour l’armée israélienne. Selon les autorités palestiniennes, 24 femmes ont été tuées à Gaza depuis le début de la guerre sur un total de 210 journalistes décédé.e.s en tentant de couvrir l’actualité de l’enclave palestinienne.
Le mouvement féministe pour Gaza

Depuis le début de l’offensive israélienne en territoire gazaoui, début octobre 2023, une partie importante du mouvement féministe international s’est mobilisée en solidarité avec le peuple palestinien, et les femmes de Gaza, à travers une approche intersectionnelle. Des intellectuelles féministes comme Judith Butler, philosophe et professeure à l’Université de Californie à Berkeley, et Angela Davis, icône du féminisme noir, ont pris courageusement position.
Dans une interview, Judith Butler a déclaré : « Nous devrions tous nous lever et protester, et appeler à la fin du génocide. J’ai signé plusieurs pétitions, l’une appelant à un cessez-le-feu immédiat. C’est le minimum. Mais le fait est que la violence que nous voyons appartient à une violence de longue date, une violence de 75 ans, caractérisée par les déplacements systématiques, les meurtres, l’emprisonnement, la détention, les terres volées, les vies endommagées. Nous avons en fait besoin d’une solution politique beaucoup plus complète ... »
Angela Davis a de son côté déclaré que : « soutenir les femmes palestiniennes, c’est refuser le féminisme sélectif qui ferme les yeux sur l’apartheid et le colonialisme » (Democracy Now!, 2023).
Ainsi, les féministes dénoncent la guerre comme un système de domination à la fois patriarcal, colonial et raciste, qui affecte les femmes palestiniennes de manière spécifique. Le collectif “Feminists for a Free Palestine”, a appelé à un cessez-le-feu immédiat et à la fin de l’occupation israélienne. Leur manifeste a été largement relayé sur les réseaux sociaux (Feminists for a Free Palestine, 2023).
Le 8 mars 2024 et 2025, la grève féministe internationale a intégré dans ses revendications la solidarité avec les femmes de Gaza. À Paris, Barcelone, Montréal ou Johannesburg, des pancartes « Feminism for Palestine » ou « Free Gaza » se sont dressées dans les cortèges (Le Monde, 9 mars 2024).
Certaines féministes dénoncent aussi les silences coupables d’un féminisme dit « libéral », dominant dans les institutions. L’absence de position claire de l’Union européenne sur les violences spécifiques contre les femmes palestiniennes, en particulier le manque de position nette de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ont été vivement critiqués par plusieurs collectifs féministes européens.

Dans un article du Guardian, la chercheuse féministe Sara Salem parle d’un « deux poids deux mesures moral », où les féministes occidentales s’indignent pour l’Ukraine ou l’Iran, mais restent « timides », voire absentes, face aux massacres en Palestine. (The Guardian, novembre 2023).
Cependant la solidarité féministe va au-delà des slogans : des ONG féministes et des collectifs comme Women in Black (Israël), Feminist for Palestine, féministes juives anticolonialistes, organisent des veillées silencieuses chaque semaine à Tel Aviv et Jérusalem contre l’occupation. En Palestine, des associations comme Women’s Affairs Technical Committee (WATC) continuent de documenter les violences genrées malgré la guerre et le manque de moyens (WATC, 2024).
« La violence que nous voyons appartient à une violence de longue date, une violence de 75 ans, caractérisée par les déplacements systématiques, les meurtres, l’emprisonnement, la détention, les terres volées, les vies endommagées. Nous avons en fait besoin d’une solution politique beaucoup plus complète ... », Judith Butler
Voix de résistance des féministes arabes
Contre la guerre à Gaza, les féministes arabes jouent un rôle central dans la dénonciation des violences israéliennes, la défense des droits des femmes palestiniennes et la lutte contre les oppressions croisées du colonialisme, du racisme et du patriarcat. Présentes dans les pays arabes , elles affirment un féminisme anticolonial, intersectionnel et profondément engagé.

En effet, le féminisme arabe s’est historiquement développé en lien avec les luttes anticoloniales et nationalistes. Des figures comme Nawal El Saadawi (Égypte) ou Fatema Mernissi (Maroc) ont défendu l’émancipation des femmes dans un contexte de résistance à l’impérialisme occidental. Cette tradition se poursuit aujourd’hui avec des militantes palestiniennes comme Leila Khaled, icône de la résistance féministe et armée, ou Rula Abu Daho, universitaire engagée dans l’analyse critique du genre en contexte colonial.
En Palestine même, des associations comme le Women's Centre for Legal Aid and Counselling (WCLAC) ou l’Union des Comités de femmes palestiniennes (UPWC) documentent les violences sexistes liées à la guerre et soutiennent les femmes dans les territoires occupés. En Jordanie, en Tunisie, au Liban ou en Égypte, des collectifs féministes ont organisé des marches, des sit-ins et des conférences en solidarité avec Gaza. À Beyrouth, le collectif Nasawiya a mobilisé les jeunes femmes contre les massacres et pour la libération de la Palestine. Dans la diaspora, des militantes comme la Franco-Palestinienne Mariam Abu Daqqa ou l’Algérienne Ghania Mouffok portent la voix féministe arabe dans les médias et les espaces militants internationaux.
Il arrive que les féministes arabes dénoncent le féminisme occidental dominant, souvent silencieux face aux violences israéliennes ou complice du discours sécuritaire. Elles appellent à un féminisme de solidarité internationale. Dans leurs écrits et leurs actions, elles lient la lutte pour les droits des femmes à celle contre l’occupation, le racisme d’État, l’islamophobie et l’impérialisme.
Dans de nombreux pays arabes, les féministes qui soutiennent la Palestine font face à la répression de régimes autoritaires qui répriment la solidarité avec Gaza par peur des soulèvements populaires. Cela n’empêche pas les femmes de prendre la parole dans les médias alternatifs, sur les réseaux sociaux, ou à l’occasion de rencontres internationales, souvent au risque de leur sécurité.
La guerre à Gaza a révélé les fractures mais aussi la force du mouvement féministe international. Cette mobilisation montre que le féminisme est profondément politique, engagé contre toutes les formes d’oppression.