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Écrit par Pascale Sawma - journaliste et autrice libanaise
Il y en aura toujours qui te feront ressentir que tu es « inachevée » ou pour te dire que tu ne suffis pas. Tu ne suffis pas à être choisie par quelqu’un, tu ne suffis pas pour qu’il te garde chez lui, comme un canapé en velours au milieu du salon, ou une œuvre d’art dans une vitrine, amassant la poussière ou dévorée par l’ennui et la solitude. Même une œuvre a parfois besoin d’être reconnue, qu’on lui rappelle à quel point elle a de la valeur et à quel point elle est spéciale.
Il y en aura toujours qui te considèreront encore moins qu’un canapé en velours ou une œuvre d’art décorative, super pour frimer devant les amis. Pas un jour ne passera sans que quelqu’un ne te dise que c’est de te faute et qu’il faut que tu fasses quelque chose pour changer. Essaye peut-être une nouvelle coupe de cheveux, ou arrête de sortir danser le week-end. Porte une robe moulante ou couvre-toi plus. Fais de nouvelles rencontres. Ou arrête de parler de libertés et des droits humains ! Ne sois pas trop cultivée. A quoi peut bien servir d’épouser une femme cultivée quand on est un homme ? Elle pourrait même aller jusqu’à ne pas faire la vaisselle ni s’occuper des enfants. Arrête d’acheter des livres. Les livres sont les plus grands ennemis des hommes.
Il est difficile pour les autres de comprendre que tu as de l’ambition. Comment est-ce que tu expliquerais que tu veux être plus qu’un objet dont on dispose dans la maison de quelqu’un d’autre ? Quelque chose qui passe de mode et qu’on jette aussitôt. C’est un combat de tous les jours de montrer que tu es plus qu’une pièce dans une collection d’œuvres d’art, mise en valeur dans une belle maison. Il va falloir que tu te démènes pour essayer de faire comprendre que c’est bien ta décision, et seulement la tienne. Et non, tu n’es pas en train d’attendre un mariage qui remplirait toutes les cases. Quel que soit ton âge, et peu importe tes accomplissements, il faut que tu répètes encore et encore qu’être célibataire trentenaire ou quarantenaire n’est pas un défaut ni une faiblesse. Cela ne veut pas dire que personne ne t’a choisie. Cela veut simplement dire que tu es le capitaine de ton propre navire. C’est toi que personne n’a encore convaincue, ou c’est toi qui, pour commencer, ne crois pas vraiment à l’institution du mariage.
C’est une discussion typique à avoir avec une trentenaire célibataire. Sa lutte pour démêler ses mots et exprimer ce qu’elle ressent vraiment est visible. Comme s’il était du droit de chacun d’interroger une femme sur les raisons de son célibat passé trente ans et de la juger sur sa vie privée.
Dalida était-elle « inachevée » quand elle était sur scène, insufflant la vie à des milliers de personnes à travers plusieurs générations ? Était-elle « incomplète » quand elle chantait à cœur ouvert Pour ne pas vivre seul, en se basant sur ses échecs sentimentaux et maritaux ? L’exceptionnelle Oprah Winfrey, qui, au cours des années, a reçu de nombreuses personnalités et a changé la façon dont on voit le monde, les femmes et les médias, n’a jamais été mariée non plus. Cela la rend-elle inachevée, malgré sa grande intelligence et son rire magnifique ? Est-elle considérée comme incomplète parce qu’un homme ne l’a pas gardée chez lui ? Est-ce que Sheryl Crow, la grande actrice et chanteuse américaine, doit vivre avec l’idée que tous ses succès ne valent rien parce qu’elle a plus de 60 ans et est toujours célibataire ? Est-ce que Jacqueline Bisset, l’une des actrices les plus belles du monde, n’est pas assez jolie pour attirer un homme ?
Dalida était-elle « inachevée » quand elle était sur scène, insufflant la vie à des milliers de personnes à travers plusieurs générations ? Était-elle « incomplète » quand elle chantait à cœur ouvert Pour ne pas vivre seul ?
Ironiquement, les femmes ne sont plus incomplètes quand elles viennent de pays étrangers ou habitent à l’autre bout du monde. Leur liberté est magnifique, mais ce n’est pas un exemple à suivre. Les femmes libres du monde occidental ont le droit de choisir, y compris leur vie amoureuse et leur sexualité. Mais dans nos sociétés, c’est là où l’alarme sonne.
On donne aux femmes les droits dont la société bénéficiera, mais on leur interdit ceux qui menacent le statu quo. Autrement dit, certains régimes et certaines sociétés se sont rendus compte que l’éducation et l’emploi des femmes avaient une importante valeur économique. Les filles ont eu le droit d’aller à l’école, et les femmes d’aller au travail. Mais il ne fallait pas qu’elles aillent trop loin. Par rapport aux femmes, les hommes ont continué de gagner plus d’argent et d’accéder aux postes à responsabilité. La société voulait clairement que les femmes restent à l’arrière-plan et qu’elles ne pensent pas qu’elles puissent, un jour, atteindre l’égalité des sexes. Comme le poète al-Farazdaq l’a dit : « Abattez les poules qui osent chanter comme les coqs ». Et les coqs sont persuadés que s’ils ne chantent pas, le soleil ne se lèvera pas...
Les sociétés patriarcales ont découvert qu’en acceptant la liberté entière des femmes de se marier et de faire des enfants (ou pas), elles en perdent le contrôle absolu. Les femmes vivent constamment avec la pression de trouver un mari qui leur évitera le scandale, leur offrira un foyer et les protègera, comme si elles étaient des proies ayant besoin en permanence d’un garde du corps ou d’un « bon » mafieux. Un héros, qui finira par les asphyxier au nom de leur protection contre les méchants, ou, en d’autres mots, d’hommes comme lui. Car le bon mafieux peut être le méchant dans l’histoire de quelqu’un d’autre...