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Le Mufti des territoires palestiniens a annoncé la confirmation de l’observation du croissant de lune marquant l’Aïd en Palestine. Mais personne, ici, n’a vu poindre le croissant de la trêve à Gaza.
Les habitants attendaient davantage la nouvelle d’un retour au calme et la confirmation d’un cessez-le-feu que celle de l’Aïd lui-même.
" Comment fêter l’Aïd, répétaient-ils, alors que nous ne sommes jamais à l’abri des ruses ni de la perfidie de l’occupant " ?
Israël n’hésite pas à frapper les civils, même durant leurs fêtes.
Le troisième Aïd sous le feu du génocide
C’est le troisième Aïd consécutif que Gaza vit sous l’ombre d’un génocide.
Les deux précédents avaient déjà été baignés de sang, de deuils et de larmes.
À peine le mois de Ramadan s’achevait-il — coïncidant cette année avec la fin du mois de mars — que le ministère de la Santé annonçait l’arrivée de dizaines de victimes dans ses hôpitaux, après des frappes israéliennes sur différentes zones de la bande de Gaza.
Dans le quartier de Rimal, au centre-ville, la population s’était timidement aventurée dans les rues à la recherche d’un semblant de fête, entre chaussées éventrées et vitrines détruites. Mais l’aviation israélienne a frappé une zone agricole proche du ministère des Prisonniers, tout près du lieu de rassemblement.
L’explosion a glacé les cœurs, semant la panique parmi les passants.
Quelques minutes plus tard, une autre frappe visait une tente de déplacés installée dans l’enceinte du centre de sécurité sociale à l’ouest de Gaza.
Trois femmes y ont trouvé la mort.
J’ai voulu, pour cet Aïd, offrir un peu de joie à mes enfants, malgré la peur omniprésente, malgré les célébrations interrompues depuis plus d’un an et demi.
Une mère attentive aux détails, même en guerre
Avant le 7 octobre, j’étais de celles qui croyaient fermement que le bonheur est un choix, et je vivais chaque occasion familiale selon cette philosophie.
Fidèle à ce principe, j’ai voulu, pour cet Aïd, offrir un peu de joie à mes enfants, malgré la peur omniprésente, malgré les célébrations interrompues depuis plus d’un an et demi.
Je suis sortie plusieurs fois pour leur acheter des vêtements neufs dans les rares magasins encore debout.
Je voulais qu’ils retrouvent, ne serait-ce qu’un instant, les petits rituels qui accompagnaient autrefois l’Aïd.
Ceux qui me connaissent savent combien je suis attentive aux moindres détails : l’apparence, les couleurs, les chaussures bien cirées, surtout lors des fêtes.
J’ai tout fait… jusqu’à ce que les bombardements reprennent, violents, soudains, destructeurs.
Mes préparatifs se sont arrêtés net. Je me suis confinée dans notre « maison de déplacement », de peur des frappes qui ciblent désormais tout : civils, voitures, tentes, centres d’accueil.
Il n’y avait plus de sucreries en ville — les points de passage sont fermés depuis un mois, interdisant l’entrée de l’aide humanitaire. Je suis restée ainsi jusqu’au dernier jour du Ramadan. Puis, lorsque les médias ont évoqué un éventuel cessez-le-feu pour l’Aïd, je suis ressortie acheter ce qu’il manquait, surtout pour les enfants.
Mais lorsque l’Aïd est arrivé, sans que le calme ne revienne, la peur a regagné mon cœur. J’ai décidé que nous le passerions seuls, à la maison, sans aller rendre visite à notre famille dans le sud comme nous en avions l’habitude.
Le matin de l’Aïd, mes enfants ont mis leurs habits neufs. Je leur ai préparé un petit-déjeuner que je voulais spécial, et leur ai offert quelques friandises et cadeaux.
Mais ils n’ont pas eu l’air heureux. Leur insistance à me poser la même question m’a bouleversée :
— Maman, quand est-ce qu’on va à la fête ?
C’est alors que j’ai compris : on ne choisit pas toujours le bonheur.
L’Aïd, ce n’est pas une célébration qu’on vit seuls. C’est une joie qui se partage. Et j’ai réalisé que, chaque année, la fête commençait vraiment avec la visite de mon père et de mes frères. Cette année, ils n’ont pas pu venir. Les routes sont trop dangereuses.
Aïd… fête, puis mort
Mes enfants ont passé toute la journée à réclamer une sortie " pour voir l’Aïd dans la rue ."
J’ai tenté de détourner leur attention, d’inventer des excuses. Mais j’ai fini par céder, à contrecœur, le cœur serré.
Nous avons marché dans notre ville endeuillée, à la recherche d’un peu de lumière.
J’ai été abasourdie par les prix : tout était hors de portée.
Nous avons vu les corps tomber, les passants qui marchaient près de nous quelques instants plus tôt, s’effondrer sous les éclats. Mes enfants ont tremblé. Leur joie s’est envolée. Leurs rires se sont changés en larmes. Et tout ce que j’avais fait pour les faire sourire s’est évaporé. J’ai compris qu’il n’y avait plus de sens à essayer d’inventer la joie dans cette ville.
Depuis la fermeture des passages, il y a un mois, les prix ne cessent de grimper, aggravés encore par la reprise des hostilités, puis par l’approche de l’Aïd. Une flambée aussi brutale qu’injustifiable.
J’ai acheté ce que j’ai pu pour mes enfants, pour leur faire plaisir.
Mais au coucher du soleil, j’ai décidé qu’il était temps de rentrer.
La nuit, à Gaza, est synonyme de peur. Les bombardements deviennent plus intenses. Les frappes sont plus ciblées.
Et puis, ce que je redoutais s’est produit.
Ce pourquoi j’avais hésité à sortir.
Nous étions à peine à une minute, peut-être à quelques mètres, lorsqu’un drone israélien a frappé une voiture civile, à un grand carrefour du centre-ville — juste là où nous venions de passer.
Nous avons entendu les cris.
Nous avons vu les corps tomber, les passants qui marchaient près de nous quelques instants plus tôt, s’effondrer sous les éclats.
Mes enfants ont tremblé. Leur joie s’est envolée. Leurs rires se sont changés en larmes.
Et tout ce que j’avais fait pour les faire sourire s’est évaporé.
J’ai compris qu’il n’y avait plus de sens à essayer d’inventer la joie dans cette ville.
La mort qui nous guette est plus tenace que toutes nos tentatives de survie.
Un Aïd terminé dans le sang
Le premier jour de l’Aïd s’est clos sur l’arrivée de plus de 70 victimes à l’hôpital de Gaza.
Des dizaines de blessés aussi, pour la plupart des femmes et des enfants, vêtus de leurs habits de fête, aujourd’hui tachés de sang.
Les tentes des déplacés ont perdu toute couleur de fête.
L’odeur des gâteaux et du ma’amoul a été noyée par celle de la poudre.
Là où devaient résonner les takbîrs de l’Aïd, ne s’entendait plus que le bourdonnement continu des avions.
Ils volaient si bas qu’ils semblaient aspirer les âmes des femmes et des enfants, transformant les chants religieux en lamentations.
Les prières de l’Aïd ont laissé place aux prières funéraires.
Le bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU l’a confirmé : à Gaza, tout manque.
Les vivres, les soins, le temps… et la vie elle-même.
La situation humanitaire s’effondre.
Toutes les organisations le disent.
Mais sur le terrain, le seul bruit qui persiste est celui des bombes, des sièges, et des points de passage fermés.
Et malgré tout cela, je reste une mère.
Une mère qui cherche, encore, un peu de bonheur pour ses enfants… au milieu d’un génocide.